Je m'installe à la table, et tandis que Madeline prépare de l' " Earl Grey ", je contemple les murs de son appartement. C'est un joyeux désordre de photos punaisées et de cadres suspendus, le décor typique de l'étudiante qui veut " faire son trou " dans la précipitation. J'y vois notamment des photos de copines, des souvenirs de vacances... Autant de clichés cohabitant dans le plus grand désordre.

Je me perds dans mes pensées, quand la jeune femme revient avec le service à thé. M'offrant une tasse, elle me verse un peu de sa boisson préférée, avant de s'asseoir en face de moi. Nous discutons de choses et d'autres, dans la bonne humeur. Madeline ne se doute pas un seconde que je l'ai surprise en train de se masturber, ce qui me rassure.

A un moment, je lui montre des clichés accrochés au mur et pose des questions sur les personnes et lieux photographiés. Elle me répond avec entrain :

_ " Ca, c'est Noémie, elle était avec moi en Terminale " , " Là, c'était à Rome " , " Lui, c'était un professeur de français ", " Là, c'est Alice et Perrine. Elles étaient avec moi en première année d'école de journalisme... "

Les souvenirs défilent, jusqu'à ce que je lui demande :

_ C'est qui, ce garçon là ?! dis-je en montrant du doigt une des images.

_ Lui, c'est Nathan. Mon petit ami.

_ Ah, je ne savais pas... avant de rectifier immédiatement, remarque bien ça ne me regarde pas.

_ Mais tu ne pouvais pas le savoir, me répondît-elle, cela ne fait que quelques semaines que nous sommes ensemble...

_ Tu me le présenteras ?

_ Si tu veux, mais pas dans l'immédiat. Il est actuellement à l'étranger.

_ Ah ?

_ Oui, il est lecteur à l' UCLA.

_ Euh... Comprends pas...

_ Ah pardon... " lecteur ", cela veut dire qu'il séjourne dans une université étrangère, pour aider des étudiants à apprendre le français. Et l' UCLA, c'est l'acronyme de l' Université de Los Angeles...

_ Il a de la chance, dis donc...

_ Oui, mais en même temps il a des parents qui l'aident... Aux Etats-Unis, si t'as pas de thunes, pas de séjour possible... Tu dois travailler en même temps qu'étudier... Et pas question de faire du " black ", ou tu te fais éjecter du pays...

Nous discutons encore de choses et d'autres, et les heures défilent. Soudain, Madeline regarde le réveil, posé sur une étagère, et me dit :

_ Je ne veux pas te mettre à la porte, mais je vais te demander de me laisser. Je vais devoir me laver, préparer mes cours pour demain, et faire le repas...

_ Eh oui, les études...

_ Houlà ! M'en parle pas... Travaux dirigés...

_ C'est tout de même mieux que l'amphi', non ?

_ Bof... sauf que notre intervenant se prend pour Albert Londres sans en avoir le prix... Ni même être allé à Londres, d'ailleurs...

_ Tu exagères !

_ Et si je te disais que c'est un snobinard ?

Nous plaisantons quelques instants encore sur ce curieux personnage, avant de nous quitter sur le pas de la porte :

_ Sans toi, me dit-elle, j'aurais complètement oublié mes clefs.

_ Mais de rien. Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

Ah ! Purée ! La question que je n'aurais pas dû poser ! Pour mettre ma voisine dans l'embarras, je ne pouvais pas trouver mieux. Effectivement, Madeline eut une brusque hésitation avant de répondre :

_ Euh !... Je dormais... Enfin, je voulais dire, je faisais la sieste...

Avalant le mensonge, je réponds dans la foulée :

_ Je suis vraiment désolé de t'avoir dérangée en plein sommeil. Sincèrement, je regrette...

_ Mais non, ce n'est rien. Je préfère que ce soit toi plutôt qu'un rôdeur... Allez, je te laisse. Bonne soirée.

_ Bonne soirée à toi aussi, répondis-je.

_ Bye ! fit-elle en m'adressant ce salut de la main, si délicieusement féminin, que j'adore. Je lui rends un sourire, et l'étudiante claque la porte. Quant à moi, je redescends à mon appartement, quelque peu chamboulé par l'expérience de tout à l'heure, mais heureux d'avoir assisté à ces quelques instants de vie féminine, si intenses et si troublants.