Un amour de vacances
— Je ne suis pas sûre de vouloir venir.
— Mais si, tu verras, Christian est très mignon. Et super sympa !
Je regarde Karine, ma meilleure amie, avec une moue dubitative. Elle rentre d'une colonie de vacances où elle était monitrice. C'est durant ce séjour qu'elle a rencontré le fameux Christian, et elle est persuadée que je vais craquer pour lui. Charmant, drôle et célibataire, c'est vrai que la description qu'elle m'en a fait a tout pour me plaire. J'ai dix-huit ans et aucune envie de m'attacher. Alors même si l'idée d'une rencontre arrangée me répugne un peu, je finis par monter dans la voiture à ses côtés. Je connais Karine depuis ma plus tendre enfance. Sous des dehors réservés, c'est une fille bien dans ses baskets qui sait ce qu'elle veut. Elle vient de terminer sa première année de BTS informatique et sort avec un garçon de sa promotion, David, qui est parti chez ses parents pour les vacances. Moi, je poursuis des études en communication dans la ville voisine. Passionnée de journalisme, j'ai été découragée par le prix des grandes écoles et me suis résignée à choisir une voie moins coûteuse. Je viens de valider ma première année de DEUG, mais aussi d'indépendance, puisque j'habite désormais seule dans une chambre universitaire, à deux pas de l'université. Une première année rythmée à la fois par les soirées étudiantes et par les cours que je ne manque sous aucun prétexte. Mon statut d'étudiante boursière ne me le permet pas. J'ai eu plusieurs petits copains cette année, mais rien de vraiment sérieux. Je ne suis pas à la recherche du grand amour.
Christian est tel qu'elle me l'a décrit. Joli garçon, drôle et plutôt entreprenant. Mais au bout de quelques minutes en sa compagnie, je constate rapidement que je ne suis pas celle qu'il a envie d'entreprendre. Cette impression m'est d'ailleurs confirmée lorsqu'il nous demande d'attendre qu'un de ses amis nous rejoignent devant le stade du village. Il a tout prévu, même mon accompagnateur. A chacune de ses blagues ou de ses anecdotes, j'observe Karine à la dérobée. David n'est pas seulement loin des yeux... Une voiture rouge finit par se garer sur le parking et un grand type maigre et anguleux s'en extirpe, vêtu d'une tenue de serveur. Il vient nous saluer d'une voix maniérée, presque féminine, comme s'il n'avait pas encore mué. En mon for intérieur, je soupire : il n'est pas du tout mon genre, je suis partie pour tenir la chandelle toute l'après-midi!
A la plage, les choses se précisent. Et lorsque Christian propose un langoureux massage à mon amie, je choisis de m'éclipser pour une baignade, presque gênée par leurs effusions. Florent ne tarde pas à me rejoindre. Nous discutons de tout et de rien, c'est un garçon réservé qui a toujours l'air de s'excuser. A la sortie de l'eau, il me tend galamment une serviette. Je surprends un regard encourageant de Karine, mais je choisis de l'ignorer. Lorsqu'elle embrasse passionnément Christian, je comprends qu'elle au moins n'a pas le moindre doute sur ses intentions. La conversation se déroule mollement. Florent semble passionné par son travail : il parle avec entrain du prestigieux établissement dans lequel il travaille et répète à de nombreuses reprises que c'est un métier dans lequel on ne compte pas ses heures. Il est très fier de son travail. Lorsqu'il m'interroge sur mes études, je suis presque embarassée lorsque j'évoque mes vingt heures de cours par semaine. Il ne se gêne pas pour s'en moquer gentiment, d'ailleurs. J'ai beau assurer qu'il y a tout de même une grande part de recherches personnelles, je devine son scepticisme et je n'insiste pas. Rapidement, la conversation prend un tour plus romantique. Je devine que je lui plais. C'est la fête locale dans le petit village où les garçons résident tous les deux, et Karine a bien envie de s'y rendre. Florent me propose de les accompagner. J'hésite un peu, mais devant la bonne humeur générale, je me laisse tenter. Il semble ravi et me regarde avec un intérêt non-feint. Subitement, il me murmure que je suis belle. Je crois que je commence à craquer.
— On fait une partie de volley-ball ?
Je rechigne un peu. Le sport et moi, ça fait deux. Enfin, je suppose, nous sommes rarement réunis dans la même pièce. Lorsque je me retrouve debout devant le filet, je regrette déjà : le sable est brûlant et j'ai le soleil dans les yeux. Les échanges de ballon se succèdent et j'essaie d'y prendre part le moins possible. Karine me connaît bien et sait que je ne suis sur le terrain que pour faire de la figuration, elle évite de me passer la balle. Hélas, ce n'est pas le cas de Christian, qui envoie un boulet de canon pile sur moi. Par réflexe, je m'écarte.
— Mais qu'est-ce que tu fais !
Florent, derrière moi, ne décolère pas. Apparemment, c'était le dernier point et nous avons perdu la partie. Je m'excuse en riant, mais cela ne semble pas le convaincre. Comme il est prévu qu'il me raccompagne en repartant au travail, je rassemble mes affaires, interpellée par sa réaction. Nous saluons Karine et Christian, qui restent encore un peu, et nous nous dirigeons en silence vers la voiture. Une fois dans l'habitacle, il allume l'autoradio et m'adresse à peine la parole. Ce n'est qu'une fois arrivés devant chez moi qu'il se décide à m'accorder un sourire ;
— J'espère que tu viendras ce soir.
Je ne suis plus sûre de rien.
— Désolé pour tout à l'heure... mais j'espère vraiment que tu viendras ce soir.
Son ton est tendre, presque suppliant. Je me dis que finalement, il ne s'agit que d'une simple soirée...
— Alors, comment ça se passe ?
— ça va, il est sympa.
— Sympa ? C'est tout ce que tu as à me dire ?
Je hausse les épaules. Florent et moi nous sommes embrassés pendant la fête et cela n'a pas échappé à l'œil aiguisé de ma meilleure amie. La soirée s'est bien passée : nous avons dansé, puis nous nous sommes promenés en tête à tête sur le bord du canal du midi. Florent me disait sans cesse qu'il me trouvait belle et me regardait comme un trophée. Pourtant, il a mis un certain temps à m'embrasser. Depuis, nous nous voyons presque tous les jours. Il travaille de huit heures à quinze heures et je l'attends, chaque après-midi, pour que nous passions quelques heures ensemble. La plupart du temps, nous allons chez lui, puisque ses parents ne sont pas là. Il habite une grande maison dans le village, avec une belle piscine où nous faisons quelques brasses. Les après-midis sont courtes, à dix-huit heures il me ramène pour partir travailler.
— Oui, sympa...
— Un amour de vacances, quoi ?
— Exactement !
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