Epreuves, épreuves...

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— Mais le taux est mauvais, c'est ça ?

— On ne peut pas envisager le taux séparément de la clarté nucale. Il faut prendre en compte ces deux résultats afin de...

La placidité du praticien me désespère.

— Il est mauvais ou pas ?

— En l'état, oui, mais...

Il continue ses explications, mais je ne l'écoute pas. Les résultats sont mauvais. Cela signifie qu'il y a de très fortes chances que mon bébé soit porteur d'une trisomie. Ma cousine germaine a un syndrome de Down, et je sais très bien ce que cela signifie. Je ne veux pas de ça pour mon enfant, ni pour son grand frère.

— Nous avons aujourd'hui deux options, une nouvelle échographie, très poussée, où nous allons mesurer précisément tous les os. Ou une amniocentèse.

— C'est quoi le mieux ?

— L'amniocentèse est sûre à cent pour cent. Mais elle vous fait prendre le risque de perdre votre bébé. L'échographie n'est que prédictrice. Elle ne fera pas foi.

— Donc, j'ai le choix entre perdre un bébé en parfaite santé ou prendre le risque de porter un enfant trismomique?

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, les risques sont minimes et...

A nouveau, mon esprit papillonne. Hier soir, Florent a levé la main sur Louis, parce qu'il a dit un gros mot. Il lui a mis une forte tape sur la cuisse, qui a laissé une marque rouge. Il pleurait. C'est la deuxième fois. La première, il lui avait mis une fessée. Je ne sais même plus pourquoi. Nous avions eu une longue conversation à ce sujet. Je ne veux pas de violence à l'intérieur de mon foyer. Il m'a assuré avec force que ce n'était qu'une réaction instinctive, et que ça n'arriverait plus. Pourtant hier, il a recommencé. Dans ma tête, tout se mélange. La fois où il m'a poussé contre ce mur et où j'ai failli perdre connaissance. Le visage de Louis, choqué, qui ne comprend pas pourquoi le père qu'il adore tant lui fait soudain du mal. Et ce bébé, tellement désiré, qui n'en finit pas de me faire inquiéter. Et si c'était un signe du destin ? Est-ce que je dois vraiment avoir un autre enfant avec Florent ? S'il n'était tout simplement pas le père que j'espérais ?

— Je vous laisse quelques jours pour réfléchir, mais il va falloir vous décider très vite.

— Je vais en parler à mon mari.

Je sors du cabinet et appelle Florent sur le trottoir. Comme d'habitude, il ne répond pas. A la maison, je m'empresse de confier mes craintes à mes copinautes. J'omets pourtant de leur dire ce qui s'est passé la veille. J'ai honte.

— Mais tu vas faire l'amniocentèse quand même ?

— Je ne sais pas, je ne crois pas.

J'ai longuement réfléchi à la question, et je ne suis pas prête à perdre cet enfant. Au fond de moi, j'y suis déjà bien trop attachée. Comme d'habitude, Florent ne semble pas particulièrement intéressé par le sujet. Il me laisse le choix.

— Mais s'il n'est pas normal ! Tu te rends compte !

Ma belle-mère vient de m'appeler pour la deuxième fois en huit jours. D'ordinaire, elle ne m'appelle jamais. Il est même arrivé que lorsque je décroche, elle me demande de lui passer son fils sans même me demander comment je vais. J'en ai pris mon parti. Ce matin, son coup de fil succède à celui de sa fille, qui a tenu exactement le même discours. Je ne les supporte plus.

— On y réfléchira à ce moment-là.

— Mais enfin, tu ne vas pas faire à mon fils un enfant handicapé !

Je résiste à l'envie de lui raccrocher au nez. Même mon corps, elle aimerait le contrôler.

— Tout se passera bien. Je vais vous laisser, Louis m'appelle.

En réalité, Louis est à la garderie. Je raccroche précipitamment.

Tout ira bien, j'en suis sûre.

Mon bébé ira bien. C'est ce que m'ont dit les médecins. Même si l'échographie n'est pas fiable à cent pour cent, j'ai confiance en l'équipe qui me suit. Et ils en sont presque sûrs : mon fils sera en parfaite santé. Pourtant une part de moi me dit que si quelque chose se passait mal, tout serait de ma faute. Implicitement, une part de Florent me le dit aussi.

— Oh, c'est la même chose que la dernière fois, franchement, je ne vois pas l'intérêt !

C'est vrai. La préparation à l'accouchement est sensiblement la même que celle que j'avais eu pour Louis. Mais je n'avais pas envisagé de ne pas y aller. Ces cours, c'est aussi l'occasion de rencontrer d'autres parents et de discuter de tout et de rien. Moi qui ne vois jamais d'autres adultes, je voyais ça comme une petite récréation. Naïvement, je le lui dis.

— Et tu crois que j'ai que ça à foutre ? Je bosse, moi !

Moi aussi. De plus en plus, d'ailleurs. Je suis déjà à sept mois de grossesse et j'essaie de faire le maximum d'heures de cours pour pouvoir prétendre à un congé maternité. Pour Louis, je ne l'avais pas eu. Alors j'accepte tous les contrats, même les plus inintéressants ou ceux qui sont à plus d'une heure de transport. J'aimerais que mon bébé ne manque de rien. Je regarde la brochure avec regret, puis la plie en boule avant de la jeter dans la corbeille. Les non de Florent sont toujours définitifs, je le sais.

— Louis, où tu vas avec ça ?

Il vient de chiper une bouteille de démaquillant sur l'étagère de la salle de bains. Qui sait ce qu'il va bien pouvoir décider d'en faire ? En ce moment, il est infernal. J'ai beau l'amener au parc tous les matins pour tenter de le fatiguer, il me rend dingue. Florent n'est pas de mon avis. Il faut dire que lorsque son père rentre, il s'allonge avec lui devant la télé et ne bouge plus. A croire que ce n'est qu'à moi qu'il réserve ce genre de comportements. Mais maman est toujours occupée... Elle fait le ménage, les courses d'appoint, le linge, ses cours... Je n'arrive pas à m'occuper de lui autant que je le voudrais. Le plus frustrant sans doute est que quand Florent rentre, il n'y a plus rien à faire qu'à jouer avec lui. Mais c'est à ce moment-là que je dois partir travailler. Et son père, trop fatigué par sa journée, préfère jouer sur son téléphone pendant qu'il regarde la télévision. Louis, captivé par l'écran, devient un vrai petit ange.

— Viens ici et rends-moi ça !

Je lui cours après mais ne parviens pas à le rattraper. Quand enfin je suis sur le point de le coincer dans la salle de bains, je sens mon pied heurter le bac de douche. La douleur, fulgurante, m'arrête net. Louis aussi.

— Ca va, maman ?

J'ai le visage tordu par un rictus de douleur. Aussitôt, je tente de le rassurer et l'embrasse sur les cheveux.

— Mais oui, poussin, ne t'inquiète pas, maman va bien...

— Je pense que vous vous êtes fracturé trois orteils.

Mon pied, noir comme le charbon, trône sur la table de notre généraliste. Je n'ai même pas réussi à enfiler une paire de chaussures.

— Et je fais quoi ?

— Rien... On ne peut pas vous faire passer de radios dans votre état de toute façon. Bandez-les, et ça finira par se remettre tout seul. Je vais vous faire un arrêt maladie.

— Non !

— Non ?

— Ca ne sert à rien.... Avec mon statut, je ne peux pas m'arrêter de travailler

— Vous êtes sûre ? Faîtes attention à vous, mademoiselle...

— Promis.

— S'il ne t'a pas fait d'arrêt, c'est que tu peux marcher, non ?

— Il voulait, mais je ne peux pas m'arrêter en ce moment, il me manque des heures pour le congé maternité...

— Désolé, mais moi le soir, je suis crevé. En plus, si on vient te chercher, je ne pourrais pas baigner Louis, ni le faire manger avant que tu arrives. Il a garderie demain, il ne doit pas se coucher trop tard. Prends le bus !

Je n'insiste pas. Mon dernier cours de la journée finit à vingt-et-une heure trente, et j'aurais aimé ne pas avoir à prendre les transports. En bus, j'en ai pour une heure et quart. En voiture, c'est à peine à un quart d'heure aller-retour. Mais je comprends. Le confort de Louis passe avant tout. Depuis une semaine, j'enchaîne les trajets avec mon pied bandé, et mes orteils me font souffrir. Et ce soir, il commence à neiger. Heureusement, j'ai trouvé une paire de bottes un peu trop grandes dans une boutique du centre et j'arrive à y loger mon bandage. Pour tenir le coup, j'avale les Doliprane comme des Dragibus.

La neige est tombée à gros flocons pendant mon cours. Les tours de Bagneux, recouvertes de neige, sont plus jolies à regarder. Je me dirige vers l'arrêt de bus à petits pas : avec mon gros ventre qui me pousse en avant et mes chaussures trop grandes, j'ai la sensation d'être un culbuto ! Je suis presque sous l'abribus quand mon plus petit orteil se rappelle à moi. Surprise, je manque de vigilance et m'étale de tout mon long, sur les fesses, au milieu de la chaussée. Il y a deux hommes sous l'auvent, mais aucun ne vient me demander si je vais bien. Je prends péniblement appui sur mes bras et me relève, puis j'attends, trempée, le prochain bus à leurs côtés.

J'ouvre la porte avec délicatesse, pour ne pas réveiller Louis qui dort peut-être. La maison n'est pas plongée dans l'obscurité comme je le croyais. Tout est allumé. Louis joue seul devant la télé. Il porte les mêmes vêtements que tout à l'heure. Intriguée, je me dirige vers la chambre où je trouve Florent, allongé sur le dos, au téléphone.

— Ah ben, elle vient d'arriver, je te laisse !

— C'était qui ?

— Benoit.

— Ah, il va bien ?

— Ouais nickel, ça m'a fait plaisir, ça fait deux heures qu'on est au téléphone.

Je serre les dents.

— Louis n'est pas douché ?

Florent hausse les épaules.

— J'ai pas eu le temps.

— Il a mangé, quand même ?

— ça fait deux heures que je suis au téléphone, je te dis ! Mais bon, ça va, j'y vais !

La colère s'invite en moi comme un ouragan.

— Tu m'as dit que tu ne venais pas me chercher pour le laver et lui faire à manger !

— Je ne pouvais pas savoir que Benoit allait appeler, c'est bon !

— Je viens de rentrer sous la neige et je suis tom...

Comme à son habitude, Florent quitte la pièce au beau milieu de ma phrase. Mes aventures ne l'intéressent pas.

— Mais tu m'écoutes ?

— Ben non, je vais te faire à manger, puisqu'il n'y a que ça qui t'intéresse ! Tiens, t'as qu'à doucher ton gosse pendant ce temps, rends-toi utile !

Ma colère se coince dans ma gorge. Je n'ai plus de mots. Dans le salon, Louis m'appelle. Alors comme je le fais de plus en plus souvent, je colle un sourire de circonstance sur mon visage et le rejoins.

— Maman est là !

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