Première partie - Chapitre 5

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L'objectif que s'était fixé Léonard se situait haut, très haut. En tout, il devait être le meilleur : le plus intelligent, le plus cultivé, le plus performant, le plus musclé, le plus rusé, le plus... Depuis des années, depuis sa plus tendre enfance, Léonard devait être le premier, rapporter les meilleures notes, dans toutes les matières, sport compris, et plus tard, exceller dans tout ce qu'il entreprenait. Même si ce mode de fonctionnement lui était devenu coutumier, avec le temps et l'accumulation, certains jours, un poids s'abattait sur ses épaules et le combattre lui demandait un effort faramineux qu'il avait jusque-là réussi à produire.

Prétentieux, c'est le qualificatif que d'aucuns lui attribuaient parfois. Oui, il levait la tête souvent et regardait les gens avec une certaine distance, mais qui savait vraiment pourquoi ? Il levait la tête parce qu'on l'attendait de lui, parce qu'il s'encourageait ainsi, parce qu'il fallait continuer coûte que coûte. Et toujours, il s'efforçait de conserver un minimum d'éloignement avec ceux qu'il côtoyait par crainte de la nature humaine.

Des amis ? Quand votre portefeuille se trouve bien garni, on en a. Une nuée de personnes, hommes et femmes, voletait autour de lui, le complimentait, lui demandait des conseils, l'accompagnait dans son travail, se joignait à lui dans ses loisirs. Bulle de savon. Illusion stupide de sentiments. Cette agitation, certains jours, lui paraissait sympa et même, comblait en partie sa solitude intérieure. D'autres jours, il avait envie de hurler qu'il voulait être tranquille, seul.

Son père, ce super PDG, affichait une réussite effrayante. Sept langues parlées, un talent pour le commerce envié par ses pairs, des affaires menées à cent à l'heure qui ne cessaient d'amplifier un patrimoine colossal. Son père, ce sexagénaire élancé et dynamique dont la présence affolait les femmes. Qui était-il ? Léonard ne trouvait pas le temps de s'arrêter à cette interrogation pourtant fort utile.

Sa mère, athlète de haut niveau, médaillée à deux olympiades, avait été terrassée quelques années plus tôt à la suite d'un problème cardiaque, le laissant muet sur sa douleur.

Une compagne ? Les heures et les jours défilaient trop vite pour que Léonard en trouve une. Des femmes passaient dans sa vie, mais trop souvent, elles s'avéraient plus attirées par la fortune familiale que par ses qualités personnelles. L'âge avançait et il restait seul. Son manque d'enfant, parfois, s'insinuait douloureusement et il devait chasser ce besoin pour poursuivre sa route.

À l'approche de la quarantaine, il cultivait encore sa quête de dépassement de soi et des autres. Léonard possédait un cerveau performant, étonnement développé, quelques années à Harvard et de hautes études commerciales dans une prestigieuse école l'avait encore renforcé. Tout naturellement, il était devenu le bras droit indispensable de son père dans l'entreprise.

Pourquoi les attentes de son géniteur gardaient-elles tant de place dans le quotidien de Léonard ? à moins qu'il ne s'agisse d'une revanche qu'il devait prendre sur le petit garçon à lunettes dont on se moquait et qui restait replié sur lui-même ?

Léonard, avec un prénom comme celui-là, je me dois d'atteindre les sommets.

Bien sûr, son père l'avait prénommé ainsi car il pensait à Da Vinci. Quel être puissant ! Sa passion pour le scientifique dont il parlait avec emphase fleurissait au détour des conversations, parfois, de façon incongrue.

Vingt heures déjà et Léonard quittait son bureau, des préoccupations confuses bouillonnaient dans son esprit fatigué. Il rentrait chez lui sans joie et n'avait même plus envie de lutter contre son malaise.

Il gara sa Porsche dans le garage qu'il verrouilla pour la nuit. Autour de lui, l'ombre commençait à engloutir le parc. À l'intérieur de la villa, les différents leds diffusaient une lumière douce, les quatre saisons de Vivaldi, créaient un fond sonore qui ressemblait à la gaieté, un fumet délicat provenait de la cuisine. Le couvert avait été dressé. Pour une personne. Comme d'habitude, sa gouvernante lui avait préparé des mets succulents. Il en perdait le goût.

Pourtant, il fit honneur au repas qui lui était servi.

— Merci, Bénédicte.

Ses pas feutrés circulaient autour de lui. Elle posa une main sur son épaule.

— Tu es triste, mon petit. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

— Rien. Rien de plus. Tu fais déjà beaucoup.

Il préféra sortir.

À peine avait-il fait un pas, un éclair fendit le ciel et son fatras de nuages. Après une hésitation, il progressa sur la terrasse et descendit sur la pelouse. Un déchirement sonore se fondit à la lumière violente. Sans une seconde de frayeur, une bourrasque l'emporta dans un courant d'air ascendant.

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