Ah en fait non

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Je hais les touristes.

C'est vrai quoi, ils ignorent tout de l'endroit où ils passent leurs vacances, et donc forcément ils font n'importe quoi. Bon, d'accord, chacun a le droit de faire une bourde dans sa vie, et sortir pour se promener dans une forêt d'arbre morts n'était pas l'idée du siècle, surtout à vingt minutes du coucher de soleil. Mais sérieusement, c'était pas la peine d'abandonner l'un de vos potes tout seul dans la forêt ! En plus c'est une chochotte, regardez-le, on dirait une course-poursuite sans les poursuivants. Pas très flatteur pour le mec qui court.

En plus, la départementale est juste à côté, franchement ils auraient pu le prévenir. Ils ont trouvé quelqu'un pour les ramener à leur hôtel en moins de deux minutes, et lui il continue à courir comme un dératé en manquant de s'étaler à chaque foulée.

Pfff... C'est n'importe quoi.

Tiens, on dirait qu'il m'a vu. Enfin, qu'il a vu le manoir. Quelle plaie. Pourtant, il n'y a qu'une chambre d'éclairée, la mienne. Et avec des chandeliers, encore. Qu'est-ce que vous croyez, je suis pas riche et j'ai jamais voulu hériter de ce manoir tout moisi. Mais personne ne veut me l'acheter et j'ai pas d'argent, alors...

Bref. Il va sûrement vouloir venir. Et moi qui ai justement des problèmes de teint... J'ai commandé de la crème pour avoir la peau douce, mais le livreur n'a jamais trouvé mon adresse. C'est pénible, mais alors pénible ! Mais vous pouvez être sûr que ce jeune imbécile va réussir à se traîner jusque-là, et je vais devoir l'aider alors que je suis hyper asocial. Qu'est-ce que ça me gave.

Ça y est, il a frappé. Bon ben allons ouvrir.

C'est pas possible, mais qu'est-ce qu'il a à me regarder comme ça ? Il a jamais vu quelqu'un de sa vie ou quoi ? Oh là là, on dirait qu'il va s'enfuir. Ah non, quand même, il entre. Allez, je vais lui servir à bouffer, lui offrir une de mes innombrables chambres (j'arrive pas à payer le chauffage, tant pis pour lui il aura froid) et il me fichera la paix.

Mais qu'est-ce que... Oh non, c'est pas vrai ! Evidemment, il a fallu que j'oublie ! Vite, vite, à la cuisine...

Noooooooooooon ! Ma soupe à la morue est foutue ! C'est trop injuste, j'ai économisé sept mois pour m'offrir de la morue de première qualité et elle est toute cramée maintenant ! Pour un peu, je pleurerais, mais je viens de me rappeler que j'ai un invité. Et j'ai un peu trop de dignité pour pleurer devant un invité, surtout quand l'invité en question a failli mourir de peur quinze millions de fois en voyant des branches mortes sous une nuit d'orage.

Je reviens et l'autre abruti me demande si j'ai mis de l'ail dans ce que je lui ai servi. Genre, j'ai préparé un truc maison rien que pour lui, et j'ai fait la liste des ingrédients pour qu'il puisse faire sa critique ? Merci, mais non merci. Je sais que je suis grognon mais je m'en fous, j'ai perdu ma soupe de morue. Et en plus, depuis trois jours ma compagne de rêve m'a quitté. C'est trop horrible, on vivait ici ensemble depuis quatre ans et demi, tout allait super bien et là, sans explication... Donc non, j'ai vraiment pas le cœur à discuter casseroles avec un débile. Zut.

Le randonneur finit quand même par s'apercevoir que je suis d'humeur massacrante et il se barre dans sa chambre comme un mouton qui irait à l'abattoir. Mais quel froussard, c'est vraiment pas croyable. Enfin, il faut avouer que l'orage de ce soir est terrible. Et puis maintenant que j'y pense, les rideaux de toutes les salles sont impossibles à défaire, donc il va devoir garder une vue imprenable sur le temps qu'il fait dehors. Vu sa nervosité digne d'un chihuahua en chute libre, ça va pas être de la tarte pour lui de dormir.

Bon, allez, calme-toi et sois un peu gentil. Après tout, peut-être qu'il a des proches qui s'inquiètent pour lui et...

Mince ! Mince de mince ! J'ai complètement oublié de lui dire ! Il y a une cabine téléphonique à quelques minutes d'ici, sur une aire de repos. J'aurais dû commencer par là, mais le gamin m'avait déconcentré avec son air d'animal pris au piège sur le pas de le porte et... bref, faut que j'aille lui en parler. Ce sera l'occasion de lui montrer que je suis pas un mauvais bougre. Et je vous interdis de penser (une fois de plus) que je suis pauvre parce que j'ai pas le téléphone. De toute façon j'ai pas d'amis et ma famille me déteste donc au fond, je n'ai personne à appeler, ça tombe plutôt bien au final.

J'ouvre silencieusement la porte de sa chambre et là je me rends compte que j'ai vraiment eu raison de venir le voir. Elle est là ! Elle est revenue ! Ma meilleure amie est de retour ! J'ai cru qu'elle ne reviendrait jamais depuis qu'elle s'était envolée avec ses copines il y a si longtemps, mais elle vole à présent dans cette chambre !

Véronique finit par se poser dans ma main et ne bouge plus. Ses ailes ont un peu grandi, et ses oreilles aussi. Mais ses yeux n'ont pas changé. Comme elle est mignonne ! Je lève la tête et je me retrouve avec le mec le plus traumatisé de toute la région. Bah quoi, il a jamais vu une chauve-souris l'autre naze ? Enfin je vais pas m'énerver, pas le jour du retour de ma petite chérie à moi. Je m'approche et je lui fais un sourire pour lui montrer que je suis de bonne humeur.

Wow.

Je l'avais pas vu venir celle-là. J'avoue qu'il a été rapide. Par contre s'il pouvait arrêter de hurler en tombant, Véronique a horreur des cris stridents de fillette. Et puis c'est pas la peine de paniquer, ça ne fait que quelques mètres de haut et un gigantesque massif de ronces est là pour amortir la chute. A moins que ce ne soient des orties, je ne me rappelle plus bien. Ah, enfin, il ne crie plus. La fenêtre est complètement défoncée par l'autre énergumène. Encore des frais. Génial. Bon ben il ne me reste plus qu'à aller chercher des secours... Véronique, tu veux bien aller voir s'il va bien ? Ma petite choupinette s'envole. Elle a tout compris ! Qu'est-ce qu'elle est intelligente.

En tous cas, une chose est sûre : c'est la dernière fois que j'accueille quelqu'un chez moi à partir d'aujourd'hui.

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