Suite à un incident voyageur

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    Elle s'était réveillée, étendue sur la banquette d'un compartiment vide, une sévère douleur lui irradiant le crâne. Elle avait effleuré à tâtons une considérable bosse sur son front. Que lui était-il arrivé ? Elle s'efforçait de se remémorer les derniers instants avant ce qu'elle supposait être une perte de connaissance. Mais rien. Trou de mémoire béant. Elle s'était réveillée dans ce compartiment vide, dans un train en marche et fixait maintenant le paysage défilant avec rapidité derrière la vitre. Le convoi venait de croiser un village, elle avait pu apercevoir une boulangerie, un parking et ce qui lui avait semblé être un jardin public. Mais le train allait à si vive allure que les quelques badauds que ses yeux avaient furtivement croisés avaient paru figés dans l'instant. Où allait ce train ? Que faisait-elle dedans ? Elle ouvrit la porte du compartiment. 


    Trop ! C'en était trop ! Son corps tremblait encore de rage. Sa lucidité ne semblait guère entamée par le demi-litre de whisky qu'il venait d'ingurgiter, bien au contraire. Si quelques remords s'étaient emparées de lui après son geste, désormais il ne regrettait rien. Il aurait même dû le faire il y a bien longtemps. Cette mégère castratrice n'avait eu que ce qu'elle méritait et il était de surcroit insoupçonnable. Pas de traces, pas de sang, pas de corps. Il ne lui restait plus qu'un dernier détail à régler et il serait définitivement libre. Il ouvrit la porte du sous-sol.

    

    Elle avait parcouru le train de long en large. Deux fois. Elle avait hurlé à l'aide, elle avait tenté d'ouvrir les fenêtres. Personne. Le train était désespérément vide et poursuivait sa course folle. Elle avait maîtrisé sa panique après avoir senti un flot de larmes l'envahir. Pleurer ne servirait à rien, si elle était seule à bord, alors elle ne devait compter que sur elle-même. Elle passa un filet d'eau sur son visage dans les toilettes d'une propreté suspecte et observa son reflet dans le miroir. Sa blessure était nettement plus sérieuse qu'une bosse. La peau avait viré au bleu et à peine ses doigts l'effleurèrent qu'une douleur insupportable l'élança au point de la faire gémir. Alors, sous l'impulsion de la souffrance, un pan de souvenir se rappela à elle comme un flash. Sa chute. Elle dévalait un escalier sans fin avant que sa tête ne viennent heurter violemment le sol. Elle ne s'était pas évanouie immédiatement. La poussière se mélangeait à sa salive sur sa langue et alors qu'elle tentait de se redresser dans la lueur d'une lumière blafarde, une ombre était arrivée par derrière pour lui assener le coup de grâce. Elle avait néanmoins eu le temps de l'apercevoir avant son geste fatal, c'était lui.


    Dans quelques minutes ces innombrables années de mariage où elle lui avait fait vivre un enfer prendraient fin. Ce n'était pas une conclusion sommaire, comme on tourne l'ultime page d'un livre avant de le refermer, non. C'était une vraie cérémonie. Et pour fêter ça dignement, il s'était resservi un verre de whisky et recrachait pompeusement la fumée d'un de ces cigares qu'elle lui interdisait toujours d'allumer à l'intérieur de la maison. Désormais, elle n'était plus là pour lui interdire quoique ce soit. Affublé de son plus beau sourire carnassier, il prit place.


    Elle devait prévenir la police. Elle devait les avertir qu'il avait tenté de la tuer. Comment diable ce bon à rien s'était-il débrouiller pour la conduire et l'assoir inconsciente dans ce train sans que personne ne le remarque? Peut-être l'avait-elle sous estimé. Mais le comment attendrait, elle devait agir sans plus tarder. Si tous les compartiments étaient déserts, quelqu'un était cependant bien au volant de ce satané train. Après s'être ruée à l'avant du premier wagon elle tomba face à la porte de la salle des commandes. Verrouillée de l'intérieur. Elle hurla, implorant de l'aide. Personne ne répondit, seul le vacarme métallique des machines brisait sa solitude. Elle s'effondra dos à la porte. Les larmes coulèrent cette fois, à flot ininterrompu, jusqu'à ce qu'elle tourne les yeux vers la fenêtre et comprenne que le train venait une nouvelle fois de pénétrer dans un village. Sa dernière chance, probablement. Elle hurla, frappant rageusement la vitre. Mais le train allait trop vite, beaucoup trop vite, personne ne l'entendait ou même ne prêtait attention à sa présence. Et alors elle vit une boulangerie, un parking et ce qui lui sembla être un jardin publique. Le train était déjà passé par-là ! Le village s'éloignait, et le convoi passa sous un tunnel. Virage serré à gauche. Traversée d'une forêt dégarnie. Nouveau virage. Ligne droite. Et... le village, de nouveau. Elle prit le temps d'observer plus attentivement les badauds. Ils n'avaient pas bougé d'un centimètre. Le village s'éloignait et le train s'engouffra sous le tunnel, accélérant toujours plus. Mon Dieu, sortez-moi de ce cauchemar ! Alors ses narines furent titillées par cette si désagréable mais familière odeur. Cette odeur qui l'incommodait tant. 


    La fumée de son cigare envahissait la pièce et pendant que sa main soulevait le levier du boitier de vitesse, il ne pu s'empêcher de retenir le rire gras de son imminente victoire.


    Le rire diabolique résonna de toute part. Mais l'effroi lui apporta la dernière dose d'adrénaline nécessaire à sa survie. Les wagons tremblaient. On entendait le crissement du métal, si le conducteur ne ralentissait pas immédiatement, le train déraillerait sans lui laisser aucune chance. Alors elle donna des coups d'épaule dans la porte qui ne résista finalement que très peu de temps, et fut saisie de stupeur. Le siège du conducteur était vide. Personne ne conduisait ce train fantôme. 


    Il poussa le levier de vitesse à son maximum en avalant une gorgée d'alcool, se délectant du spectacle.


    Elle s'agrippa à ce qu'elle put. Le train s'approchait de nouveau du village. Tout tremblait violemment autour d'elle. Elle voulut fermer les yeux mais n'y parvint pas. La peur prenait le dessus, son corps ne répondait plus.


    Allez ! Allez ! hurla-t-il impatient de contempler le clou du spectacle.


    C'est au niveau de la boulangerie que l'inévitable accident se produisit. Il y eu un fracas de tôle, du métal broyé, des vitres brisées. Sous le choc elle fut éjectée du train. Plusieurs foyers d'incendie s'étaient déclarés, la fumée envahissait les rues détruites du village. Dans un dernier soupçon de conscience, elle fut étonnée par le silence. Elle reconnut le goût du sang dans sa bouche. Sa mâchoire était fracturée, elle était incapable d'hurler. Alors sa main effleura quelque chose. Une jambe ? Quelqu'un se tenait debout, auprès d'elle. Mais quelque chose n'allait pas. Cette sensation, cette matière... Elle eut la force de lever les yeux une dernière fois. Un homme immobile au visage figé dans un sourire écaillé, un bonhomme de plastique, dressé fièrement au milieu des décombres de papier mâché.

    Elle ignorait comment il avait fait, mais il avait réussi. Son calvaire aura finalement pris fin dans ce monde miniature qu'il avait recréé au sous-sol, ce stupide train électrique auquel il avait consacré tant d'heures depuis leurs premières années de mariage. Ce foutu train électrique qu'elle avait menacé de brûler avant qu'il ne la pousse violemment dans les escaliers. Alors la dernière chose qu'elle vit, se dessinant dans les cieux obscurs, ce fut les dents cariées de son diabolique mari dévoilées par un maléfique sourire avant que sa main ne viennent broyer ses derniers os intacts.


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