Chapitre 9 : traque et apprentissage
Matthew sortait de la salle du trône, suivi de ses compères. Il était assez petit par rapport aux autres, pas énormément musclé mais il n’était pas à plaindre. L’homme avait les cheveux et les yeux bruns, le visage rectangulaire. Il portait une cuirasse grise renforcée par quelques morceaux de cotte de maille. Cette protection était clairement faite pour lui permettre de se battre sans être gêné, tout en étant correctement protégé.
Le traqueur entendit les autres parler entre eux. Ils voulaient aller fouiller l’ancien domicile de la créature. « Inutile » pensa-t-il. Si elle y était passée, elle ne s’y trouvait plus depuis longtemps. Il fallait chercher une autre piste. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne s’échappât de la ville, si ce n’était pas déjà le cas.
Il récupéra son cheval à l’écurie du château. Un bel étalon blanc équipé pour la chasse. Il ne portait pas d’armure mais un peu de matériel, un arc et des flèches, une sacoche remplie de nourriture séchée et d’un sac de couchage, une autre contenant d’énormes clous de fer d’un pied de long. A l’arrière de la selle, une tente enroulée sur elle-même ainsi que deux épées courtes.
Le chasseur se dirigea seul vers la sortie de la ville afin de chercher des indices sur la direction prise par la démone. Il commença par l’endroit où les soldats avaient trouvé la robe de Médusa. Arrivé près du fleuve, il analysa les lieux. La grille sous la muraille semblait intacte. Pas de trace sur la rive. Soit elle n’était pas passée par ici soit elle avait suivi le courant. Il continua son inspection en longeant le mur de la cité. Après une demi-journée de recherche, il trouva des taches de sang séchées ainsi qu’un sillon. « Ah le serpent est passé par ici. Et il semble se diriger vers le Nord. » pensa-t-il, un sourire aux lèvres. Il remarqua aussi des empruntes de chevaux. « Quelqu’un m’aurait déjà devancé ? Je dois me hâter. D’après l’état du sang, je dois avoir une demi-journée au moins de retard sur eux. ». Le traqueur monta sur son destrier et partit au galop, éclairé par les dernières lueurs du crépuscule.
Matthew galopa toute la nuit, s'arrètant toutes les deux heures à peu près pour fermer un oeil, laisser sa monture se reposer et vérifier qu'il suivait toujours la bonne piste, mais il repartait au bout de trente minutes. Il était content lorsque l'astre lumineux apparut à l'ouest. Il allait bientôt rattraper le cavalier. Mais la piste de la femme-serpent était de plus en plus dure à suivre. Le soleil était à son zénith lorsqu’il aperçu enfin son concurrent. De loin, il pouvait facilement dire qu'il s'agissait d'un amateur. Quasiment pas d’équipement, seulement une lance attachée dans le dos. Sa bête semblait fatiguée, sûrement pas entrainée pour parcourir de telles distances. Le traqueur arriva aux côtés du jeune homme. Il reconnut le fils du forgeron décédé, saisit la bride et força les deux montures à s’arrêter. Il se plaça devant lui afin de le bloquer.
- Que faites-vous ? hurla Auriel.
- Je te sauve la vie.
- Laissez-moi passer !
- Que comptes-tu faire seul ?
- Laissez-moi passer !
- Tu penses vraiment avoir une chance seul gamin ! Ce démon a tué un chevalier beaucoup plus fort que toi comme si de rien n'était ! Que sais-tu des démons ? De la magie ? Sais-tu seulement où se dirige ce démon?
Surpris par la violence des paroles de son interlocuteur, le garçon tomba de son cheval. Se redressant légèrement, les larmes coulèrent sans retenue. Le chasseur l’observa quelques instants avant de reprendre en soupirant :
- Remonte sur ta monture et suis-moi. Je vais t’enseigner quelques bases. Et nous la retrouverons.
Ils repartirent au pas. L’adolescent suivit le traqueur sans rien dire. De temps en temps, celui-ci s’arrêtait et mettait le pied au sol. Il s’accroupissait, cherchait des traces puis remontait, modifiant la trajectoire au besoin mais toujours en direction du nord. Ils traversèrent plaines et champs principalement, longèrent quelques forêts et bosquets pendant une semaine avant de s’arrêter près d’un petit lac. Durant ce laps de temps ils n’avaient presque pas parlés, à peine juste présentés. Auriel apprit que l'homme s'appelait Matthew, qu'il était traqueur depuis une dizaine d'années.
Ils s'arrêterent la nuit tombée. Le chasseur de démon installa sa tente sur la rive et posa son sac de couchage à côté. Il alluma un feu et demanda à Auriel de l’entretenir avant de disparaître dans un bosquet non loin. Il revint plus tard avec trois lapins égorgés dans la main, laissant couler leur sang sur l’herbe. Il s’assit et les prépara avant de les mettre à cuire près du feu. L’adolescent ne perdit pas une miette de l’action. L’homme avait des gestes précis et minutieux. Il dépeça les lagomorphes rapidement, sans abimer ni la peau ni la viande, avec un petit couteau de son paquetage.
Un silence s’installa sur le petit campement, ambiancé par le crépitement du feu et le chant des cigales. Le traqueur prit la parole :
- Sais-tu vers quel endroit nous faisons route ? Plutôt où se dirige ta… sœur si j’ai correctement suivi.
- Non, vers le nord…
- Oui en effet. Pour être plus précis, demain nous sortirons de notre pays, Ismar, et rentrerons dans le désert d’Oto. Que se trouve-t-il encore plus au Nord ?
- La mer ?
- Mais encore ?
L’adolescent réfléchit quelques minutes, se remémorant ses cours, avant de s’écrier :
- Pandora !
- Exactement. Je pense que notre cible a l’intention de fuir là-bas. Il y a des démons dans le continent d’Olyme. Mais la plupart vivent là-bas. Ce qui rend la vie dure pour nos colonies. Le plus gros de notre force armée y est stationné afin de protéger la population.
- Mais si cela est si dangereux...
- Pourquoi y rester ? Les ressources naturelles. Cette contrée est une véritable mine d’or. Et personne ne veux l’abandonner. Ni les démons ni nous, ou encore nos voisins du sud : le Kator et l’Endaroen. Chaque pays a envoyé de nombreux mages pour augmenter leur force militaire dans la zone. D’ailleurs que sais-tu sur la magie ?
- Euh …
- Si ignorant… soupira-t-il.
Matthew lui expliqua. La magie était une force venant de l’énergie vitale de chaque être. Présente parfois à l’état naturel dans certaine zone du monde. Elle se décomposait en cinq éléments principaux : l’eau, la terre, le feu, l’air et l’éther. Ce dernier permettant par exemple de créer des illusions, augmenter ses capacités, influer psychiquement sur les autres et sur la matière. Il existait beaucoup de combinaisons et dérivations possible : la magie des plantes, dérivée de la terre et de l’eau, la foudre combinaison du feu et de l’air… Il existait cependant deux magies ne faisant pas partie des éléments principaux, ou d’une combinaison : la magie blanche, ou lumineuse et la magie noire, celle des ombres. La seule personne qui aurait apparemment su maitriser ces magies était l’héroïne des Hommes, Médusa.
- Médusa ? l’interrogea Auriel.
- Oui, pourquoi ? Tu ne connais pas la légende ?
- Si… mais c’est aussi le prénom de… dit-il en serrant les poings sur ses genoux.
- Oh… intéressant. Que peux-tu me dire sur elle ?
- Comment ça ?
- Forces et faiblesses, par exemple. Toute information est bonne à prendre.
- Elle… est rapide, forte, agile…
- Ça je m’en doutais.
- Elle utilisait beaucoup sa queue au quotidien dans la maison. Pour travailler, jouer, aider, pour tout quasiment, en fait.
- Donc à immobiliser en priorité… marmonna Matthew.
Il avait sorti un petit carnet de note et écrivait dedans grâce à un bout de bois à pointe de charbon. Auriel reprit :
- La dernière fois que je l’ai vue, j’ai remarqué un truc étrange. Ses yeux…
- Etaient jaunes aux pupilles noires ? le coupa le chasseur.
- Comment le savez-vous ? s'exclama-t-il.
- Connais-tu le mythe des berserkers ?
- Oui, c’était un peuple fort et fier qui vouait sa vie à la guerre. D’après la légende, ils pouvaient décupler leur force mais perdaient leur raison. Il leur arrivait apparemment de tuer leurs propres alliés dans leur folie.
- Bonne réponse. Les démons possèdent une capacité similaire, visible grâce à leur changement d’yeux. Tu as eu de la chance d’être toujours en vie. Ils ne font déjà pas beaucoup preuve de pitié en temps normal. Pour avoir déjà affronté des démons dans cet état, ils deviennent de vraies bêtes.
- Pourtant… elle m’avait semblé parfaitement lucide et consciente de ses actes. Froide et réfléchie, totalement différente de celle que je connaissait
- Hmm…
- Puis-je vous poser une question ? demanda Auriel après quelques instants.
- Bien sûr.
- Quelle magie maitrisez-vous ?
- Celle du vent… et celle de l’éther.
- Quoi ?! Mais je pensais que l’on possédait tous un seul type de magie.
- En effet, à la naissance. Mais il est possible avec beaucoup de pratique et d’efforts d’apprendre une deuxième magie. Cependant cette deuxième magie est épuisante. Tu te souviens que j’ai dit que la magie découlait de l’énergie vitale ?
- Oui.
- Utiliser trop de magie épuise notre force vitale. Certains sorts trop puissants peuvent même tuer leurs utilisateurs s’ils ne sont pas ou mal préparés.
- Mais à quoi vous sert l’éther ?
- Je l’utilise pour être plus résistant, plus réactif. Le vent me sert à me mouvoir plus rapidement.
Il coupa court à la conversation, prétendant qu’il fallait dormir car une dure journée les attendait le lendemain. Il s’allongea dans son sac de couchage, laissant la tente à l’adolescent. Auriel ne ferma quasiment pas l’œil de la nuit. Réfléchissant à toutes les informations que lui avait données cet homme.
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