Chapitre 23 : La puissante reine

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  Auriel vit ensuite le temps défiler devant ses yeux à une vitesse ahurissante. Il n’y comprit pas grand-chose hélas. Alors qu’il râlait sur l’apothicaire, le traitant de voleur, l’histoire reprit un cours normal. Il apparut dans une grande chambre richement décorée. C’était celle du roi, il la reconnaissait, bien qu’elle eût changé. Des meubles avaient été rajoutés, des armoires et commodes, un grand miroir, ainsi qu’un paravent à quatre panneaux. Les dessins sur ceux-ci étaient magnifiques. L’un d’eux représentait un cerisier en fleur, laissant choir ses pétales au vent. Un autre montrait un chêne, enraciné sur une île volante.

 L’adolescent remarqua une tête chauve légèrement dépasser au-dessus du cadre. Amélya sortit de sa cachette et s’avança vers le balcon. Elle portait une sublime robe blanche, tissée de telle manière à simuler un feuillage. On aurait presque pu les confondre avec des plumes. L’habit de soie s’arrêtait au-dessus de sa poitrine, laissant tout de même un petit décolleté la mettant en valeur, soutenue par de fines bretelles qui tombaient délicatement sur le haut de ses bras.

 Malgré sa chevelure absente, Auriel ne pouvait que le reconnaître, elle était absolument splendide. En s’approchant d’elle, il s’aperçut qu’elle avait la chair de poule. Il faisait pourtant très bon. Le soleil était presqu’à son zénith. La femme se frotta les bras et parla toute seule :

  • Est-ce vraiment une bonne idée ?

 Elle avait peur ? De se marier ? L’adolescent ne savait pas si c’était normal. Sa mère lui avait raconté qu’elle ne tenait plus en place le jour de son mariage. Il avait fallu que ses parents la calment. Le jeune homme se recentra sur la future mariée. Elle avait commencé à faire les cent pas sur le balcon. On toqua à la porte. Amélya leur permit d’entrer et chuchota pour se donner du courage :

  • Advienne que pourra. J’espère que tout ira bien.

 Une servante entra dans la pièce. Elle tenait un voile translucide et le tendit à la future mariée :

  • Tenez, madame. La tradition veut que votre visage soit caché jusqu’à la fin de la cérémonie.
  • Merci, dit-elle en se dirigeant vers une chaise devant le grand miroir. Pouvez-vous me le mettre ?
  • Bien-sûr, madame.

 Elle s’assit et la femme de chambre installa la dernière pièce de sa tenue. La toile était accrochée à un fin diadème en argent. Une fois bien placé, la servante ramena correctement le tissu sur le visage d’Amélya.

  • Voilà, madame. Avez-vous besoin d’autre chose ?
  • Non, merci. Quand saurais-je que je dois retirer le voile ?
  • Votre fiancé le fera pour vous le moment venu.
  • Je ne vois pas très bien. Je risque de ne pas marcher correctement.
  • Ne vous inquiétez pas. Je serai à vos côtés pour vous guider. Normalement, ce rôle aurait dû être celui de votre père ou parent masculin de votre famille.

 La grande femme se releva et fit une grimace. « Elle ne semble pas apprécier sa famille. Serait-ce pour ça qu’elle est partie de chez elle ? » se demanda Auriel. Elle reprit :

  • Quand commence la cérémonie ?
  • D’un instant à l’autre. Nous attendons le signal du sage royal.
  • Qui est-ce ?
  • L’homme chargé de retranscrire l’histoire du pays, de transmettre nos traditions. Il est aussi responsable des cérémonies : les baptêmes, les mariages, les enterrements ; ainsi que de la formation des sages à travers le pays. Les hommes et femmes désirant le devenir viennent ici au palais et si le sage royal les accepte, ils seront formés.
  • Que se passera-t-il lorsqu’il sera trop vieux pour officier ?
  • Il désignera son successeur, madame.

 La future mariée acquiesça et se tut. Soudain, un puissant cor résonna dans tout le palais. La femme de chambre s’approcha d’elle et lui tendit sa main :

  • Si vous me permettez, madame.

 Après un instant d’hésitation, Amélya saisit la main tendue et elles avancèrent vers la porte. En l’ouvrant, elles aperçurent un grand tapis au couleur de la famille royale, violet et or, parsemé de pétales de rose. La future reine s’arrêta. Son accompagnatrice lui demanda :

  • Tout va bien, madame ?
  • Oui oui, je dois avouer que plus j’avance, plus j’ai peur.
  • Je vous comprends madame. Beaucoup de femmes avant leur mariage prennent peur. Je suppose qu’avec sa Majesté le roi, ce sentiment doit être accentué…
  • Ce n’est pas ça qui m’effraie le plus… ce n’est pas important aujourd’hui.

 Elle inspira un grand coup, se tapota le visage sous le voile. Auriel se demanda ce qui pouvait à ce point l’effrayer si ce n’était le mariage. Il percevait toujours cette puissante magie en elle, ainsi que ses réactions un peu enfantines amusantes. Il avait parfois l’impression de voir les petites mimiques de la princesse Natalia.

 Après des couloirs et escaliers qui parurent interminables pour l’adolescent, ils atteignirent une double porte qui s’ouvrit à leur arrivée, laissant la lumière du soleil illuminer leur chemin. Amélya se figea de nouveau. Alors que les gonds de fer grinçaient, l’adolescent fut englobé par les écritures. L’espace se déforma. Les formes, les murs, les silhouettes se tordirent. Puis tout revint à la normal, sauf que maintenant, il se trouvait dans la rue. C'était l’après-midi, le vent portait les bruits de la ville. Le ciel était couvert d’un grand voile gris. La voie était peu chargée, à peine quelques gens qui vaquaient à leurs occupations. Puis, arrivant du centre-ville, il vit Amélya qui gambadait librement, toute guillerette. Elle était vêtue d’une sublime robe verte aux manches courtes, brodé afin de donner l’illusion d’être cousue de milliers de petites feuilles. Son crâne nu était orné une tiare en or, serti de diamants. Elle portait de longs gants blancs remontant jusqu’au milieux de ses avant-bras.

 L’adolescent supposa que le mariage avait bien eu lieu, mais combien de temps s’était écoulé depuis. La reine s’approcha d’un mendiant assis au coin d’une maison et lui déposa quelques pièces. Il siégeait sur un drap et portait des vêtements de tissu déchiré et sales. À en juger par ses rides et sa pilosité, il devait avoir la cinquantaine.

  • Merci votre majesté, la remercia-t-il.
  • De rien, c’est toujours un plaisir, répondit-elle tout sourire avec sa voix enfantine.
  • Où est votre escorte, aujourd’hui ?
  • Je l’ai semé.
  • Encore...
  • Si je reste avec eux, je ne peux pas me déplacer librement.
  • Mais ils sont là pour vous protéger, ma reine. Le roi va encore être en colère. Vous me dites qu’il l’est à chaque fois que vous faites ça.
  • Ne t’en fais pas, rigola-t-elle en bombant le torse. Alphonse, j’en fais mon affaire.
  • Toujours pas d’héritié ?

 Elle se figea et rougit.

  • Cela ne vous regarde pas !

 Il ricana.

  • Veuillez m’excusez, ma reine.

 Elle croisa les bras et fit mine de bouder.

  • Faites attention à vous, madame. Et bonne ballade. La vie à la capitale a beaucoup changé depuis que vous êtes là. Je serais triste s’il vous arrivait malheur.
  • Merci. J’essayerai de vous apporter plus la prochaine fois.
  • Si le roi ne finit pas par vous enfermer au château.

 Ils explosèrent de rire tous les deux.

  • Ça fait du bien de rire, reprit le vieil homme.
  • En effet. Cette année avec vous aura été la plus belle de toute ma vie. J'espère que cela va durer encore longtemps.
  • Que voulez-vous...
  • À plus tard.

 Et elle repartit en trottinant. Cette dernière phrase intriguait beaucoup Auriel. On aurait presque dit qu’elle savait que son temps était compté, mais pas quand tout serait interrompu. Il la suivit et, après une dizaine de minute, elle tourna dans une petite ruelle et s’arrêta.

  • Sortez de votre cachette. Sinon je viens vous chercher, chanta-t-elle.

 Quatre hommes tombèrent du toit et l’encerclèrent. Deux lui faisaient face, les autres étaient dans son dos, tous à au moins quinze pieds de distance. Ils portaient de longue cape sombre qui descendaient jusqu’au sol, ainsi qu’une capuche qui dissimulait leur visage.

  • Laissez-vous faire sans résister. Ça se plus simple pour tout le monde, fit l’un d’entre eux en sortant une dague courbée.
  • Ohhh... voyez-vous ça. Qui vous envoie ?
  • Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu les rencontreras bien assez tôt.
  • Très bien.

 Amélya passa une main dans sa robe et en sortit une pièce. Elle la lança une fois rapidement et la rattrapa.

  • On va jouer à un jeu, chantonna-t-elle avec un grand sourire, presque sadique. Pile, je vous laisse une chance de partir et ne plus jamais revenir ici. Face, je vous extermine ici et maintenant. Et la tranche, je vous suis sans résister.

 Elle tira sa pile ou face. La pièce s’envola. L'un de ses agresseurs hurla :

  • Immobilise-la !

 Mais rien. Il regarda son collègue, figé, les yeux écarquillés. Un filet de sang coula de sa bouche, puis il en toussa une énorme quantité avant que la lumière dans ses yeux disparaisse. Auriel avait tout vu de là où il était. Au moment où elle avait lancé sa pièce, une branche avait poussé sous l’homme et l’avait empalé jusqu’à percer le sommet de son crâne. La reine s’élança vers ses kidnappeurs devant elle. Malgré sa tenue qui aurait pu la gêner, elle effectua une magnifique roue et atterrit les pieds sur les têtes de ses deux agresseurs. Avec sa force, elle les planqua au sol et leur broya la boite crânienne. Sans attendre, elle se propulsa vers le dernier. Des branches naquirent de son coude et serpentèrent autour en formant une lance en spirale.

  • Piti...

 L’homme n’eut pas le temps de finir. Elle lui embrocha le cœur sans aucune pitié. Auriel se figea. Pourtant il savait qu’il ne risquait rien, mais le regard de la reine le pétrifia : un mélange de plaisir, de sadisme, de soif de sang. Elle se replaça à sa position initiale et leva la tête. Sa pièce retomba. Elle la rattrapa et la planqua sur son autre main avant de regarder le résultat.

  • Face ! S'écria-t-elle en sautant de joie.

 Amélya sortit de la ruelle et se retourna pour observer son œuvre. Elle s’accroupit, posa ses paumes à plats sur le sol. La terre trembla. La petite allée se remplit de branchage jusqu’à être comblé. Le bois se couvrit de feuillage. La reine se redressa et observa ses bras.

  • Zut, j’ai abimé mes gants. Alphonse va encore me disputer, soupira-t-elle.

 Le temps se stoppa. L'espace se fissura et les textes étranges réapparurent. Le jeune homme se relâcha, comme enfin à l’abri. Tellement de questions explosaient dans son esprit. Il était perturbé par ce qu’il voyait. Mais pas le temps de s’y pencher. Un nouveau lieu se dévoila à lui. Il était à l’intérieur d’une tente. Une table avec une carte était posée au centre, encadrée par le roi et plusieurs généraux d’après leurs armures. À l’extérieur, l’adolescent entendait le brouhaha du combat, les cris de soldats, le déchainement de la magie. C'était un champ de bataille, et il se trouvait dans la tente de commandement. Il remarqua la reine dans un coin, les mains jointes dans le dos, attendant patiemment. Elle semblait s’ennuyer. Alors que son mari et ses hommes criaient et semblaient en panique. Auriel écouta un peu :

  • C'était un piège !
  • Nous avons perdu déjà la moitié de l’armée ! Il faut faire quelques choses !
  • Nous avons déjà ordonné le repli...
  • Mais nos troupes se font massacrer !
  • Cette crevasse est ...

 Le jeune homme sortit pour observer. Il y avait une animation folle dehors. Des soldats couraient dans tous sens, affolés. Des mages bombardaient les forces ennemies à distance, mais subissaient des répliques puissantes. À une centaine de pieds de la tente, se trouvait ladite crevasse : une immense faille très large, à la pente abrute, empêchant toute retraite par ses murs. Elle devait faire au moins trois cents pieds de profondeur. En bas, les hommes d’Ismar fuyaient ceux de l’Endaroen qui les pilonnaient grâce à des sorciers montés à cheval. Ceux en avant attaquaient et ceux plus en retrait défendaient leurs camarades en tirant sur les hauteurs afin d’empêcher les mages ismariens de répliquer.

 Auriel retourna dans la tente. Les généraux étaient toujours en train de se crier dessus, mais Amélya avait bougé. Elle se trouvait derrière son mari et tentait de l’interpeller mais celui-ci la repoussait en disant que ce n’était pas le moment. Après un nième refus de l’écouter. Elle sembla se vexer. Elle gonfla les joues à la manière d’une enfant, regarda autour d’elle et saisie une épée laissée dans un tonneau, servant d’arme de réserve. La reine sortit et, avec son arme, découpa sa robe pour ne laisser qu’une courte jupe, laissant presque apparaitre son sous-vêtement. Le jeune homme écarquilla les yeux, et il n’était pas le seul. Beaucoup de soldats s’étaient arrêtés dans leur tâche, fixant leur souveraine. Celui-ci jeta le tissu coupé et l’arme sur le côté et commença à s’étirer. L'un des généraux interpela le roi et lui montra sa femme dehors, sa robe raccourcie, en train de s’étirer. À ce moment, elle se mit face à la falaise, en position, prête à s’élancer. Alphonse tenta de lui parler : 

  • Ma chérie, que fais-tu...

 Elle courut à toute vitesse en direction de la crevasse et sauta. Le monarque hurla. Huit branches, quatre sur chaque épaule, poussèrent sur Amélya et se plantèrent dans le mur du mur de roche, freinant sa chute. De là où il était, Auriel crut presque voir une araignée. Soudain son corps fut attiré vers le vide. Il tomba sans pouvoir résister et rejoignit la reine. Encore une fois, il fut surpris. Son visage arborait un visage sérieux, obnubilé par son but. À mis distance du sol, ses pattes de bois la propulsèrent vers le centre de la crevasse, en pleins milieu des soldats d’Ismar. Certains s’arrêtèrent, s’inquiétant pour leur souveraine, mais elle leur hurla de continuer :

  • Vous allez me gêner ! Partez !!

 Ils s’exécutèrent. La troupe passa et Amélya se retrouva seul face à l’armée ennemis qui fonçait vers elle. Leurs mages firent feu vers elle mais elle para la plupart des projectiles grâce à ses branches. Elle ferma les yeux. Ses mains commencèrent à rayonner d’une lumière verte. Ses bras entamèrent un arc de cercle de bas en haut et ce rejoignirent au-dessus d’elle, intensifiant la lueur de ses paumes. Le sol se mit à trembler. Auriel sentit de nouveau cette aura magique écrasant qui caractérisait la reine, mais cette fois, c’était bien plus fort que les autres fois. La terre vibrait si fort qu’une partie de l’armée ennemi s’arrêtèrent. Les cavaliers trébuchèrent avec leur monture. Le reste continua et fonça vers la jeune femme. Certains la reconnurent, hurlant à leur camarade que c’était la reine adverse. Cela leur donna un regain d'énergie : tuer ou capturer la femme du souverain d’Ismar, que d’honneur pour un soldat Endaroennien. Arme devant, ils vers leur nouvelle cible. L'un deux, plus rapide, l’atteignit avant les autres. Il frappa de toutes ses forces avec sa claymore. Une bourrasque de vent l’envoya contre le mur de la crevasse. Le roi atterit devant sa femme en criant, un bras tendu vers elle pour qu'elle l'attrape :

  • Vite ! Attrape ma mains !
  • Mets-toi derrière moi !

 Il s’exécuta. Amélya plaqua ses paumes au sol. Le sol se figea. Auriel écarquilla les yeux devant ce qui se passa. Des arbres poussèrent devant elle, telle une explosion de bois, à une vitesse ahurissante. Ils se rependirent sur toute la largeur de la faille. Telle une vague déferlante, ils écrasèrent, embrochèrent, déchiquetèrent une partie de l’armée endaroenienne. Puis tout s’arrêta. la crevasse était partiellement remplie d'une masse de bois sans feuilles, un mur opaque presque infranchissable normalement. La reine se releva. Son corps tangua sur le côté. Ses genoux se plièrent et elle s’écroula. Alphonse la rattrapa de justesse. Elle lui sourit juste avant de s’évanouir.

  • Tu es incroyable, lui chuchota le souverain.

 La terre sous l’adolescent disparut et il tomba dans les ténèbres.

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