Chapitre 30 : un petit jeu
Auriel avait fini sa formation personnelle avec Nathaniel, et il avait réussi, bien qu’il eût éprouvé quelques difficultés, à remplir sa part du marché. Comme convenu, le maître d’arme l’avait donc entraîné à la lance, en plus de l’épée. Le maniement de l’arme se révéla plus dur à maîtriser que ne le pensait le garçon : l’allonge, le poids… L’adolescent se disait que sa longueur était un avantage car elle pouvait lui permettre de frapper plus loin, sans être touché par son adversaire. Mais son professeur lui prouva le contraire. Plusieurs fois il retourna la taille de l’arme d’hast contre lui : frappant après une attaque, brisant la garde de son apprenti, se servant du manche en bois pour l’immobiliser.
Maintenant Auriel avait rejoint la classe en formation, celle avec le garçon qui l’avait insulté lors du cours de Thomas. A chaque fois que l’adolescent jetait un coup d’œil sur lui, il voyait son regard noir, assassin pointé sur lui. Il ne le quittait pas des yeux : durant les cours, les duels, les entraînements. Certes il était le « frère » d’un démon, mais pourquoi lui en particulier ? Pourquoi ce garçon-là lui en voulait autant ?
C’était le matin, Auriel se leva bien avant l’aube. Il se prépara, revêtit son attirail et se dirigea vers le terrain d’entraînement. c’était une grande cour de terre, avec de nombreux cercles de galets de quinze pieds de diamètre, servant aux duels et autres exercices. Une fois là-bas, il remarqua que la plupart de ses camarades étaient déjà là, et sans grande surprise, son ennemi aussi, le fixant du regard. L’adolescent l’ignora et commença à s’échauffer. Le maître de sa promotion prit la parole :
- Bonjour, mes chers élèves. Comme d’habitude, nous allons commencer cette journée par une série de duels. Puis cette après-midi, nous ferons un petit jeu, si je puis dire, termina-t-il.
C’était un commandant des forces armées, jeune, la trentaine, cheveux bruns courts, yeux bleus. Il portait une armure très brillante qui ne semblait pas avoir vécu beaucoup de combats. Il sépara la classe en deux groupes et reprit :
- La première moitié sera dans les cercles de duel, un par zone. L’autre tournera d’adversaire en adversaire.
L’adolescent se plaça dans l’une des petites arènes et attendit un opposant. Un garçon, un peu plus vieux que lui, une demi tête de moins, rondouillard, châtain clair aux yeux marrons. Il s’inclina et Auriel lui rendit sa révérence, puis se mit en garde. Ils entendirent au loin :
- Commencez !
Sans attendre, le petit gros s’élança vers l’apprenti épéiste. Son épée d’entrainement frappa horizontalement. Auriel para sans effort, mais fit un pas en arrière. Malgré son apparence, son adversaire était plus rapide qu’il ne l’avait cru. Ils enchainèrent de nombreuses passes d’armes. Aucun d’eux ne semblaient réussir à prendre l’avantage. L'adolescent tenta une frappe latérale. Son adversaire esquiva en s’accroupissant. Son arme cogna la cuisse du jeune homme. L'apprenti épéiste recula en boitant. Il enchaina avec une attaque verticale. La lame de bois d’Auriel dévia le coup. Il lâcha son arme, saisit le poignet de son opposant et le passa par-dessus son épaule. Le petit gros se retrouva après un petit vol, sur le dos, déboussolé. L’adolescent ramassa rapidement son arme et pointa la gorge de son adversaire. Celui leva les bras :
- Je me rends, je me rends.
- Beau combat, lui répondit le jeune homme en lui tendant la main pour l’aider.
- Je ne m’attendais pas à ce que tu laisses tomber ton épée comme ça...
- Pourtant vous devriez, l’interrompit une voix derrière eux.
C’était le commandant. Il s’approcha d’eux, les mains croisées dans le dos, et reprit :
- Très bonne initiative Auriel. Et vous Lucas, il faut réussir à mieux anticiper les réactions de vos adversaires. Quand vous serez soldat, personne ne vous fera de cadeaux. Nos ennemis n’attendront pas que vous soyez prêt et ne feront pas preuve non plus de courtoisie.
- Oui Commandant.
- Changement ! Hurla-t-il.
Lucas ramassa son épée, s’inclina respectueusement devant l’adolescent et se dirigea vers l’arène suivante. Auriel resta sur place. Il fit quelques petits étirements avant de se figer. Sa némésis était là, face à lui, un sourire sadique au visage, toujours la même haine dans les yeux. Il se mit en garde, menaçant de son arme l’adolescent. Celui-ci arrivait à sentir la colère de son opposant. Un coup de sifflet retentit, son adversaire frappa. Auriel para de justesse le coup qui aurait pu l’assommer sans problème. Une autre attaque manqua de peu sa tempe. L’apprenti soldat recula aux limites de la zone de combat, y jetant un œil avant de fixer le combattant face à lui. Il décida de prendre l’initiative de la nouvelle passe d’arme. Son épée d’entrainement fendit l’air de haut en bas. La vivacité de l’assaut porta ses fruits. Après deux trois coups bloqués, Auriel passa la garde de son concurrent et son coude s’enfonça dans son estomac. Le souffle coupé, il recula d’un pas avant de poser un genou à terre. Antoine leva la tête, les dents serrées de rage. Le jeune homme le regarda, tout en se remettant en garde. Pourquoi ce garçon le haïssait tant ? Il n’eut pas le temps d’y réfléchir, celui-ci se releva et chargea. Le rythme de ses attaques avait changé, plus rapide, plus brutal, moins ordonné, moins précis. L'adolescent avait du mal à parer le flux de coups qui l’assaillait. Ses mains tremblaient de plus en plus après les chocs qu’elles subissaient. Il recula sous les assauts de son adversaire et se retrouva au bord du cercle de combat. Ce n’était pas le moment mais il pensa comprendre. C'était à cause de sa sœur. Son adversaire avait surement perdu un parent à cause d’elle et il se vengeait sur lui. Mais il n’y était pour rien. Il avait tout perdu à cause d’elle aussi. Sa colère réapparut. Dans un élan d’énergie, Auriel désarma son adversaire d’un coup vertical de bas en haut. L'épée vola quelques secondes avant de se planter en dehors de la zone de combat. Le jeune homme enchaina avec une frappe dans l’épaule et un coup de pied dans le ventre, ce qui fit reculer son concurrent. Mais son opposant ne se calma pas pour autant. La magie commença à l’envelopper. Le sol trembla. Il leva le coude, la paume vers le sable, prêt à lancer son sortilège. Auriel chercha vite un moyen de se défendre. Il vit soudain apparaître le commandant derrière l’autre élève. D’un revers du bras, son gantelet de métal frappa la joue de celui-ci qui vola hors de la zone.
- Les règles du combat interdisaient l’usage de la magie. Il t’a désarmé, tu as donc perdu ce combat. Accepte-le ou tu quitteras cette formation, dit-il d’une voix calme mais forte. Compris, Antoine?
- Oui, répondit-il faiblement.
- J’ai pas entendu !
- Oui mon commandant !
Antoine quitta l’endroit en jetant un dernier regard noir à l’adolescent.
La matinée se termina sans autre incident. Après un repas bien mérité, et deux bonnes heures de repos, Auriel revînt au terrain d’entrainement. Tous les élèves y étaient déjà réunis. Leur professeur prit la parole :
- J’espère que vous avez bien mangé, jeunes gens. Vous allez donc, cette après-midi, faire un jeu... un jeu d’énigme... dans notre chère capitale.
Des rires s’élevèrent parmi les étudiants. Le soldat haut gradé reprit :
- Qu’est-ce qui vous fait rire ?
- Mon commandant, à quoi ce jeu va nous apporter dans notre formation ?
- Rien de particulier. Comme je l’ai dit, jeune homme, il s’agit d’un jeu. Vous vous entrainez depuis plusieurs semaines et il faut savoir faire de petite pause de temps en temps.
“Pour quoi faire cette pause ? pensa Auriel. Ce n’est pas comme ça que je retrouverai Médusa.”
- J’ai remarqué des... tensions chez certains. De plus, vous pensez que ce jeu sera facile parce qu’il est en ville ?
- Bin oui. On la connait la ville, lança l'un des élèves.
- Excellent alors, vous serez donc les premiers à arriver à la fin. Je m’en réjouis d’avance.
L’élève déglutit. Il baissa la tête et se cacha parmi les autres. Amusé, le commandant continua son explication :
- Donc, disais-je, vous serez répartis par groupe de deux, le jeu se décomposera en deux étapes majeures : première étape, recherche d’indices. Vous aurez tous une énigme pour commencer, différent pour chacun, donc pas la peine de tricher. Vous devrez la comprendre, la résoudre et aller sur place afin d’obtenir l’indice suivant. Au final de ce parcours, vous arriverez devant une petite cloche.
Il disparut un instant, puis revint avec objet de bronze.
- Donc une fois que vous verrez cette clochette, sonnez trois fois. Puis la deuxième étape commencera. Je ne vous en dis pas plus, ça sera la surprise. Si jamais après la sonnette, rien ne se passe, attendez sur place. Vous avez des questions ?
Il attendit mais personne ne prit la parole. Il claqua des doigts et un soldat arriva avec deux boites en bois. Chacune possédait un trou sur la face supérieure, mais on n’arrivait pas à voir dedans. Il plongea sa main à l’intérieur et en ressortit une paire de bouts de papier. Il appela deux élèves de la classe, les invita à venir et à tirer une feuille dans la deuxième caisse, mais leur interdit de le regarder avant que tout le monde ait le sien. Le commandant enchaina avec d’autres groupes, puis vint le tour de l’adolescent :
- Auriel Garozane et... Antoine Istarion !
L’apprenti soldat se retourna vers sa némésis qui le fixait déjà. Il déglutit, demandant s’ils arriveraient à faire l’exercice correctement.
- Alors, approchez !
Ils avancèrent, le jeune homme tandis la main pour tirer son indice mais son nouvel ami le poussa et le fit à sa place. Le commandant leur chuchota :
- Petite précision, vous devez arriver à deux à la cloche, et en un seul morceau. Sinon vous serez tous les deux exclus de l’académie, et dans l’impossibilité de pouvoir y rentrer à nouveau un jour, est-ce clair ?
- Oui Mon Commandant !
Il termina de sélectionner les groupes. Une fois terminé, il leva le bras, tous le regardèrent.
- Au fait, j’ai oublié de préciser, c’est une course aussi. Les premiers arrivés auront le droit à une récompense.
- Quoi ?! Crièrent en chœur certains élèves.
- Commencez ! hurla-t-il.
Tous ouvrirent leur petit parchemin et lurent l’indice qui leur était destiné. Auriel s’approcha d’Antoine et lut par-dessus son épaule :
Au calme, je me dresse,
Encerclé de richesse,
Mais trois de mes doigts
S'enfoncent dans le sol,
Au lieu de s’élever vers le roi
“Un indice, une énigme, un petit poême plutôt” pensa le jeune homme. Son collègue était déjà en pleine réflexion. Ils recherchaient soit un lieu, soit un monument. Les deux élèves réfléchissaient dans leur coin depuis une bonne dizaine de minutes. Aucun groupe n’était encore parti. Certains stressaient de plus en plus, attendant que le premier binôme parte. Auriel s’énervait sur cet indice. Pour lui, c’était un monument, un monument seul, avec trois morceaux orientés vers le sol plutôt que vers le soleil. “le roi doit signifier le soleil, car souvent le roi est représenté par le soleil. Vers le sol plutôt que vers le soleil... comme les tournesols...”
- Je sais !! s'écria-t-il.
Il saisit son arme et se dirigea vers le quartier noble, suivit par Antoine. Arrivé dans une ruelle, il s’arrêta pour reprendre son souffle, et son camarade en profita pour lui demander :
- Tu as compris ce que ciblait l’indice.
- Oui, un arbre dans un parc pas loin...
- Très bien.
- Pourquoi tu me hais à ce point ? demanda le jeune homme en s'arrêtant
- Tu ne sais pas ? Tu n’as même pas réagi avec mon nom. Ca m'énerve encore plus. En effet je te hais, mais je ferais un effort pour cet exercice. Je te suis, termina-t-il en tendant le bras pour l’inviter à avancer.
Ils arrivèrent au parc et se dirigèrent vers l’arbre en question. Le jeune Istarion parut surpris. Après un court examen, ils trouvèrent leur second indice :
Grand et imposant,
Un cercle de sable
Pour tous indomptable,
Certains n’en sortent pas vivant.
- Grand et imposant... murmura Auriel.
- Un cercle de sable, comme nos petites arènes, mais en plus grand donc...
Après quelques instants, leurs yeux s’illuminèrent :
- Le colisée !!
- Mais oui ! Mais il est immense, si on doit tout fouiller. On n’en finira jamais, fit Antoine
- Pas forcement. L'indice insiste beaucoup sur l'arène du colisée en elle-même. Quand il y a des combats, certains parfois n’en ressortents pas vivant...
Il pensa à ses parents. Une larme coula furtivement sur sa joue mais il l’essuya vite avant que son binôme ne s’en aperçoive, et reprit :
- Ça cible la zone de combat. Tu peux rentrer dans le colisée sans être un gladiateur, et en ressortir donc vivant.
- En effet. Allons-y.
Quelques minutes de courses plus tard, ils arrivèrent devant l’imposant bâtiment. Ils pénétrèrent dans celui-ci, se perdirent dans le dédale de couloirs. La trêve manqua de se rompre, mais ils trouvèrent finalement la sortie. Le stade était encore plus imposant vu d’en bas. Auriel se rappela ce jour funeste : le brouhaha de la foule, la tension de l’air, son stress lorsqu’il avait aperçu ses parents, sa peur lorsque sa sœur était sortie, son désespoir lorsqu’elle avait tué sa famille, le chevalier qui avait sauté dans l'arène. Soudain il comprit.
- Tu es le fils de...
- Tu as enfin compris, répondit-il la voix pleine de mépris.
- Mais pourquoi moi ? Je n’ai rien fait...
- Je vous hais tous les deux, toi et ta sœur. Si tu n’avais participé à tout ça, si vous n'aviez pas hébergé ce monstre. Mon père ne serait pas mort en essayant de venger ses soi-disant amis. Pour cet exercice j’ai décidé de ne rien faire car je ne souhaite pas être viré de l’académie. Mon but est de retrouver ta sœur et de la tuer.
Ses paroles, son ton, sa voix transpiraient la haine, le mépris, la tristesse. Telle une lame froide, ils transpercèrent Auriel. Il baissa la tête. Sans prévenir, il s’élança et frappa Antoine d’une droite sur la joue. Il tomba le cul par terre.
- Espèce de...
- Tu crois que t’es le seul à avoir perdu des êtres chers! Au cas où tu l’aurais oublié, elle a aussi tué mes parents ! Elle a tué le traqueur qui m’avait aidé à la rattraper ! Je n’arrive toujours pas à savoir pourquoi elle m’a laissé vivre ! En quelque jours, j’ai tout perdu, mes parents, ma maison, ma sœur...
Les yeux au bord des larmes, il regardait le fils du chevalier. Celui-ci restait figé devant les cris de son interlocuteur.
- Tu sais, je ne t’en veux pas d’avoir pensé ça. Je ne sais pas comment j’aurais réagi à ta place, reprit-il en tenant la main pour l’aider à se relever. Mais j’ai besoin de réponses, et en fonction de celles-ci, je te rejoindrai peut-être dans ton projet. Terminons cet exercice, terminons notre formation. Devenons soldats et retrouvons-la.
Antoine resta interdit quelques instants. Puis il saisit la main et se releva.
- Très bien. Je ne te fais toujours pas confiance, mais j’accepte ta proposition. J’attends de voir si tu tiendras parole.
- Ça me va.
Ils se serrèrent la main pour conclure cet accord. Le fils de chevalier asséna une puissante droit dans l'estomac .
- Au fait, j’ai trouvé l’indice, lui confia celui-ci
- Par... fait.
Encore un parchemin sur lequel il était écrit :
A l’abri des regards,
Nous dansons,
Nous chantons,
À l’ombre du grand manoir.
- Tu as une idée, reprit Auriel.
- Non, ça ne me dit rien.
Ils ne savaient que penser de cette énigme. Il y avait tellement de possibilités, surement beaucoup auquels ils ne pensaient pas. Tout en réfléchissant ils sortirent du colisée. Devant le grand bâtiment, le regard d’Antoine se porta vers le château.
- Peut-être que...
- Qui y-a-t 'il ? Demanda l’apprenti lancier.
- Ma mère m’a emmené plusieurs fois dans un petit champ de fleurs. Il est éclairé au lever du soleil, et dans l’ombre du château le soir. Mais ça me parait trop simple.
- On n’a pas d’autre piste, on peut essayer. On n'a rien à perdre.
Et ils repartirent. C'était maintenant le milieu de l’après-midi. Le binôme arriva au petit champ, dans l’ombre du palais royal. Il n’était pas très grand mais cela n’enlevait rien à sa superbe. Les fleurs étaient rangées en anneau autour d’une petite zone d’herbe verte. Il y en avait de tout type et de toutes les couleurs : des roses, des tulipes, des coquelicots, quelques magnifiques orchidées, des géraniums... leurs parfums emplissaient l’air.
Au centre de ce jardin, les deux adolescents remarquèrent un petit poteau avec une cloche accrochée. Ils s’approchèrent. Auriel saisit la corde. Antoine mit la main sur sa garde, près à dégainer. Le métal tinta.
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