Chapitre 13
La nuit venait à peine de tomber sur le campement Northuldra, qui n’était plus éclairé que par la lueur de la lune et les feux de camps disséminés çà et là, éclairant les tentes comme des fantômes émergeant du noir de la nuit.
Haut dans les airs, flottant dans un nuage de ténèbres, Roderick observait les réfugiés s’affairer en contrebas. Mais il n’avait que faire d’eux ; il parcourait le campement des yeux, à la recherche d’une seule et unique personne. Lorsqu’il l’aurait trouvée, les réfugiés, ses futurs sujets, le suivront. Mais il n’arrivait pas à la voir d’ici.
Avec un soupir résigné, l’ancien roi d’Arendelle descendit lentement en direction des Northuldras. Certains commençaient à remarquer et à pointer du doigt la masse de fumée sombre qui arrivait vers eux, et un vent paniqué secoua la clairière. Roderick s’en moquait, et lorsqu’il posa un pied à terre, il entoura le campement entier de ses ténèbres, pour éviter que qui que ce soit ne s’échappe. Des cris de terreur assourdissants retentissaient à ses oreilles, qu’il tenta d’ignorer.
Il sillonnait le campement à grands pas, écartant les quelques inconscients qui lui barraient la route. Il se stoppa finalement lorsqu’il aperçut un visage familier émerger d’une des tentes.
— Vous ! s’exclama la jeune femme d’un air de défi.
Il reconnut enfin celle qui se dressait devant lui, sa chevelure rousse dansant comme des flammes dans la lumière vacillante. Elle s’était interposée face à Elsa le jour où il avait repris Arendelle. Un sourire mauvais s’étira sur ses lèvres.
— Anna, c’est bien ça ? La prétendue reine d’Arendelle ?
Anna épousseta sa robe et se redressa fièrement face à Roderick, cachant son inquiétude sous un masque impassible. Kristoff la rejoignit et se tint à ses côtés, prêt à réagir au moindre geste suspect de l’homme devant eux. Ce dernier n’esquissa cependant pas le moindre geste.
— Que voulez-vous ? demanda-t-elle d’un ton résolu. Je vous préviens…
— Je ne viens pas faire de mal à mon peuple, coupa Roderick.
— Arendelle ne vous appartient pas ! s’écria Anna en faisant un pas en avant.
— Anna !
Kristoff la retint par le bras pour la ramener vers lui. Elle se dégagea doucement de son emprise, mais ne bougea pas. Elle continuait de fixer Roderick, son sourire mauvais lui faisant froid dans le dos.
— Tu as raison, poursuivit-il. Arendelle ne m’appartient pas. Voilà pourquoi je n’aurais aucun scrupule à faire du mal à la moindre personne qui se dressera sur mon chemin.
Il leva la main pour interrompre Anna qui s’apprêtait à protester vivement.
— À moins qu’Elsa sorte de sa cachette et me suive au château d’Arendelle.
Anna manqua de vaciller. Le sourire de Roderick avait désormais quelque chose de cruel. Autour d’eux, les guerriers Northuldras formaient un cercle en pointant leurs lances sur l’intrus, épaulés par la garde d’Arendelle, Mattias à leur tête. La jeune reine reprit contenance et fit de son mieux pour ne rien laisser paraître de la panique qui l’assaillait. En son for intérieur, elle était heureuse qu’Elsa soit partie aujourd’hui.
— Elsa n’est pas ici. Et jamais elle ne vous aurait suivi. Vous avez perdu votre temps.
— Vraiment ? demanda Roderick d’une voix douce. Quel dommage. Dans ce cas, je suppose que je n’ai pas d’autre choix.
Il leva la main, et la masse de ténèbres entourant le camp s’abattit sur plusieurs tentes, les soulevant de terre pour les projeter plus loin avec force. Les quelques civils qui se trouvaient sur leur trajectoire ne parviennent à les éviter que de justesse. Fort heureusement, les tentes étaient vides.
— Arrêtez ! s’exclama Anna en se jetant sur le bras de Roderick, le forçant à le baisser.
— Je ne suis pas venu ici pour vous menacer, pas plus que pour faire du mal à mon peuple, poursuivit Roderick comme si de rien n’était. J’aurais pu raser ce campement d’un simple claquement de doigts. Je veux simplement qu’Elsa vienne avec moi.
— Je vous l’ai dit, elle n’est pas là !
— Alors je vous conseille de trouver une solution, reine Anna, si vous ne souhaitez pas que le campement – et tout Arendelle – ne soit détruit.
Le sarcasme lorsqu’il avait prononcé le titre d’Anna lui transperça le cœur. Oui, elle était leur reine, mais elle était incapable de les protéger. Elle n’avait ni épée, ni pouvoirs comme sa sœur. Elle leva la tête vers Roderick et les mots franchirent ses lèvres avant qu’elle n’ait eu le temps de les retenir :
— Alors emmenez-moi à sa place. Et laissez le peuple d’Arendelle tranquille.
— Vous ?
Le roi déchu éclata de rire, un rire sinistre et dépourvu de joie. Anna se mordit la lèvre, regrettant ses paroles, mais il était trop tard. Elle devait assumer son choix.
Derrière elle, Kristoff et Olaf l’appelaient, protestaient, mais elle tenta de les ignorer. Elle fit de son mieux pour refouler les larmes de peur qui menaçaient d’inonder ses joues.
— Kristoff, n’essaie pas de m’en empêcher, dit-elle d’une voix tremblante. C’est ma décision.
Enfin, Roderick cessa de rire.
— J’accepte. Suivez-moi.
Anna alla pour faire un pas en avant, mais un tourbillon de ténèbres l’entoura et la souleva de quelques centimètres du sol. La bourrasque souleva les tentes vides les plus proches sur son passage, tandis que Roderick traversait le mur de ténèbres qui entourait le campement. Ces dernières s’estompèrent et accompagnèrent l’homme, dont la silhouette avait disparu, ne laissant voir que la tornade noire emporter la reine d’Arendelle vers son royaume.
La salle du trône, vaste et majestueuse, était plongée dans la pénombre, à l’exception d’un candélabre qui brûlait faiblement au-dessus du trône. Les murs, d’un vert de bleu semblable à celui de la robe d’Anna, étaient parsemés du blason d’Arendelle dont l’or reflétait les flammes comme des centaines d’yeux qui observaient la scène.
Au centre de la pièce, Anna était toujours prisonnière d’un nuage de ténèbres qui liait ses pieds et ses mains, obligeant la reine à faire face à Roderick. Ce dernier lui tournait le dos pour observer Arendelle à travers la fenêtre.
L’air de la pièce était lourd et chargé de tension, s’insinuant à travers les piliers qui encadraient la pièce. L’atmosphère pesait tant qu’Anna avait du mal à respirer. Le silence s’étirait depuis de longues minutes lorsque Roderick se tourna enfin vers elle.
— Anna, reine d’Arendelle, commença-t-il. Si je peux te nommer ainsi, toi, la petite-fille d’un imposteur.
— Mon grand-père méritait bien plus le trône que vous ! répliqua Anna.
Roderick éclata de rire, ce même rire qui lui glaçait le sang, tandis qu’il s’asseyait sur le trône.
— Et d’ailleurs, comment est-il possible que vous ayez l’air si jeune, alors que vous avez connu le roi Runeard ? demanda-t-elle avec agressivité.
— Ma chère, répondit-il avec un sourire las. Penses-tu vraiment que le temps passe dans le néant ?
Il poussa un soupir, et en cet instant, elle crut percevoir le poids du temps sur son visage.
— J’ai dérivé vers le sud durant des semaines dans une simple barque après mon exil, poursuivit-il. Je n’avais plus de provision, la faim et la soif me menaçaient. C’est là que j’ai échoué sur une île non répertoriée. Cette île possède une entité tout aussi puissante qu’Ahtohallan, et contrairement à la rivière gelée, elle a su voir ma véritable puissance. Elle m’a sauvé et m’a donné ces pouvoirs.
Les ténèbres s’enroulèrent autour de sa main, et il jouait paresseusement avec elles tandis qu’elle lui demandait :
— Je ne vous crois pas. Rien ni personne n’aurait la bêtise de confier de tels pouvoirs à quelqu’un d’aussi malfaisant que vous !
— Oh, tu es une fille intelligente, tu te doutes bien qu’elle ne l’a pas fait par bonté d’âme, répondit-il d’une voix trop doucereuse. Lorsqu’elle a ressenti des pouvoirs naître à Arendelle – ceux d’Elsa – elle a su que le moment serait bientôt venu. Une fois que ta sœur aurait découvert ses véritables pouvoirs, et seulement à ce moment, alors je pourrais les lui prendre.
— C’est raté, se moqua Anna. Ce n’est pas Elsa que vous avez en face de vous, et lorsqu’elle viendra elle vous arrêtera, vous et votre soif de pouvoirs !
— Oh, quelle bravoure ! Une reine sans pouvoir, seule et impuissante, qui ose me tenir tête. C'est touchant, vraiment.
Roderick se leva et s’avança jusqu’à elle. Il la regardait avec tendresse, presque avec pitié, et il lui caressa la joue avec son pouce. La reine poussa une exclamation de dégoût en essayant d’éloigner son visage.
— Elle est un esprit de la Forêt Enchantée, et vous êtes sœurs.
Anna frissonna en comprenant où il voulait en venir.
— Je n’ai pas de pouvoirs, dit-elle précipitamment.
— Ah oui ? ironisa-t-il en riant. J’ai un bon moyen de le savoir.
Il retourna près du trône où il se saisit d’un objet posé sur un accoudoir qu’Anna n’avait pas vu jusque-là : un poignard d’argent.
— Je vous assure, je n’ai pas de pouvoir ! insista-t-elle alors que son pouls accélérait.
— Nous allons voir, murmura Roderick en s’avançant.
Il leva la lame au-dessus de sa tête. À mesure qu’il approchait, Anna sentait son cœur accélérer, au point de lui faire mal. Tétanisée, elle était incapable de détacher son regard du poignard. Elle poussa un hurlement lorsque Roderick l’abattit.
— Nooon !
Elle ferma les yeux et attendit la douleur. Mais elle ne vint pas. Le souffle court, le corps tremblant, elle laissa plusieurs secondes s’écouler. Puis elle rouvrit les yeux.
La lame brillait juste devant son visage. Derrière l’arme, Roderick observait la reine, son visage trahissant une certaine déception. Il jeta le poignard qui alla se planter sur le parquet parfaitement lustré, et poussa un long soupir.
— Cela aurait été bien plus facile de récupérer tes pouvoirs. Mais qu’importe, j’obtiendrais ceux d’Elsa, et vous verrez à quel point le terme « souverain » me sied mieux qu’à vous !
— Vous… Vous ne les aurez jamais ! rétorqua Anna qui tentait de se remettre de sa terreur.
— Penses-tu vraiment qu’elle va laisser sa très chère sœur en danger ? Elle doit sûrement être en route pour Arendelle à l’heure qu’il est. Et les ténèbres seront là pour l’accueillir.
Un long frisson parcourut l’échine d’Anna. Il avait raison, dès qu’Elsa apprendrait qu’elle était partie avec Roderick, elle se précipiterait à son secours. Elle déglutit avec difficulté, espérant de tout son cœur qu’elle et Aodhan étaient parvenus à récupérer la corne du Narval.
— Vous voulez faire à Elsa ce que vous avez fait au Narval, réalisa-t-elle lentement.
— Évidemment. Et cette fois, lorsque j’aurai tué le cinquième esprit, il n’y aura personne pour m’empêcher de rejoindre Ahtohallan. La rivière n’aura d’autre choix que me donner les pouvoirs de ta sœur.
— Je ne vous laisserais pas faire !
— Anna, Anna. Tu t’es toi-même laissée emprisonner. Tu n’es même pas capable de protéger Arendelle, et tu comptes m’arrêter ? Quelle reine de pacotille ! Et il en va de même pour ta sœur, alors qu’elle possède des pouvoirs !
Il éclata de rire en désignant la fenêtre, où ils pouvaient voir le brouillard noir qui régnait toujours sur le royaume. Seule la plus haute tour du château parvenait à percer le nuage ténébreux.
— Où est Elsa ?
— Vous pensez vraiment que je vais vous le dire ?
Il haussa les épaules, visiblement amusé malgré son regard glacial.
— Je m’attends à tout, face à une reine si jeune, impulsive et inexpérimentée. Tu es aussi arrogante que Runeard. Mais je ne m’en fais pas, elle viendra à moi.
— Elle viendra, oui, assura Anna. Et elle vous arrêtera !
Elle planta son regard dans celui du roi déchu, les sourcils froncés. Dans ses yeux brûlaient son amour et sa loyauté indéfectible envers sa sœur. Roderick s’approcha de nouveau d’elle.
— Une enfant telle que toi ne peut pas comprendre. Le sacrifice d’Elsa est nécessaire pour que je retrouve mon trône et le pouvoir qui m’est dû. Et ce ne sera que le premier. Avec les pouvoirs qu’elle m’aura légué, je sacrifierai les autres esprits à l’île des ténèbres. Et je serais non seulement le plus puissant roi d’Arendelle, mais aussi de la terre entière. Tous les royaumes ploieront le genou devant ma grandeur, et personne n’osera plus jamais s’en prendre à mon royaume !
Une lueur dansait dans ses yeux, une lueur qu’Anna reconnut rapidement. Celle de la folie. Roderick parlait de plus en plus comme un hystérique.
— Je serais un Dieu, et mon trône se trouvera à Arendelle !
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