Chapitre 3
Pas de cadavre de chat, chien ou autre au fond des bassins. L’eau, après avoir continué à couler rougeâtre du bec d’arrivée pendant une heure ou deux, était redevenue limpide. Qu’elle ait pris la couleur de nos pierres pouvait s’expliquer de diverses manières. La plus banale : une variante de la blague de la lessive, à laquelle nous étions périodiquement confrontés par des noctambules en mal d’amusements. Tous les villages où subsistent des fontaines connaissent ces désagréments. Il pouvait aussi s’agir d’une pollution accidentelle ou volontaire de la nappe phréatique qui approvisionnait la bourgade. Le crime de sang, voilà bien la dernière explication à laquelle il fallait songer, tout de même !
Au matin, chacun, mis au courant par la rumeur, qui chez le boulanger, qui à la maison de la presse, qui dans la rue même, s’en alla aussitôt au logis, à pas pressés, vérifier que sa maisonnée n’était pas concernée. Cela s’était passé après minuit, parce que, de conciliabule en conciliabule, on sut rapidement que Monsieur Lorféon, le plus insomniaque de nous tous, qui, pour tromper l’ennui, promenait son basset artésien toutes les nuits ou presque, était passé devant la fontaine alors que sonnaient les douze coups et n’avait rien remarqué d’anormal.
— Peut-être n’avez vous rien vu parce c’était nuit noire, que l’éclairage public était éteint et la lune absente ? lui fut-il rétorqué.
— Mon chien aurait flairé l’odeur du sang, je vous l’assure, répliqua-t-il.
— Mais d’abord, qui a dit que c’en était ?
C’était vrai, ça, quel était l’oiseau de malheur qui avait lancé cette idée stupide ? Il y avait sûrement une autre explication. Un prélèvement fut réalisé et envoyé au laboratoire d’analyses de Tulle, mais ça allait prendre un peu de temps.
À midi, on n’avait encore rien trouvé d’anormal ; les gendarmes, deux par deux, réquisition d’ouverture en main, allaient de maison en maison, rue après rue, et revenaient, toutes les heures, rendre compte à Monsieur le Maire, qui s’apprêtait à convoquer le Conseil Municipal en séance extraordinaire pour le soir même. Les délais habituels n’étaient pas respectés, mais aux grands maux, les grands remèdes !
À quinze heures, toutes les maisons occupées du centre bourg, c’est-à-dire près de deux cents, avaient été visitées. En vain. Ni mort ni blessé, nulle part. Restaient tous les écarts, les résidences secondaires éparpillées dans la campagne et les logements fermés ou vacants de la commune. À peu près autant. Il fallut se résoudre à faire venir deux serruriers pour ouvrir toutes les portes closes. Cela prendrait un sacré bout de temps !
Et le bétail ? Peut-être un prédateur errant, chien, loup, félin échappé d’un cirque ou de chez un particulier..., avait-il égorgé une proie, près de la source ? Hypothèse rassurante, mais hélas, on constata bientôt qu’il n’en était rien. Le captage s’avéra indemne de toute pollution.
Au soir, le résultat des analyses tomba. C’était bien du sang qui était dilué dans l’eau et non un colorant quelconque. Du sang humain, d’un individu de sexe masculin !
(à suivre)
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