Chapitre 16

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— Je m’ennuie. Je m’ennuiiiiiiieeeuuuuh ! RHYS : JE M’ENNUIE !

— J’AI ENTENDU, MERCI !

— Oui, mais je m’ennuie !

— Ennuie-toi en silence, tu veux bien ?

Zéphyr grommela dans sa barbe, tel un enfant qui boude. Malgré son apparent silence, on pouvait quasiment l’entendre ronchonner en pensée, ce que ne manqua pas de lui faire remarquer notre belle héritière :

— Chut à la fin !

— Mais je n’ai rien dit, geignit le plus jeune.

— C’est tout comme.

— Mmprf.

Alors que Rhys eut le bref espoir d’avoir – enfin – un moment de paix, son ami se redressa soudain, la mine radieuse. Avant même qu’il lui fasse part de sa nouvelle folie, le danseur était déjà effrayé.

— Faisons un jeu avec Astyal et Sytian !

— Hein ?

Sans plus de concertations, Zéphyr attrapa son acolyte par l’avant-bras et l’entraîna à sa suite. C’était décidément devenu une habitude qu’on le kidnappe ! Le danseur se laissa cependant tirer sans trop de protestations. Il avait suffisamment d’expérience pour savoir qu’on n’empêchait pas un idiot d’atteindre son but. Trop occupé à avoir la tête dans la lune (oui, oui, à l’intérieur), Rhys se rendit compte avec un temps de retard que son ami s’était figé. Il ne manqua donc pas de s’éclater le nez contre son épaule.

— AÏE !

Il se plia en deux, une main sur son membre endolori.

— Tu m’as cassé le nez, Zéphyr !

— Sytian drague Astyal !

— Tu as entendu ce que je t’ai dit ? J’ai le nez cassé ! Maintenant je suis un travesti au nez cassé ! C’est de pire en pire !

— Il lui a donné une fleur !

Survolté, l’apprenti Attributeur de Rois attrapa Rhys par les épaules pour le relever et le secoua dans tous les sens.

— Tu comprends ce que ça veut dire, Rhyssette ?!

— Je vais vomir…

— ON VA ÊTRE TONTONS !

— Qui va devenir un thon ?

Le plus jeune partit dans un éclat de rire à mi-chemin entre la folie et le sadisme. Encore sonné, l’héritier le regardait avec horreur, ne sachant s’il devait fuir ou… fuir ? Y’avait-il une quelconque autre option que la fuite ?

— Je veux être le témoin. Tu penses qu’on peut les aider à préparer le mariage ? Un thème rose ? Non, Astyal détesterait ça… Thème bleu. C’est bien bleu, non ?

Zéphyr continuait toutes ses théories farfelues tandis que son acolyte se lamentait sur son pauvre et triste sort.

— Qu’est-ce que vous faites ? intervint soudain Sytian qui avait entendu de loin le vacarme des deux adolescents.

— Il m’a cassé le nez…

— Je veux être témoin, parrain et tonton.

— Hein ?

Astyal qui arrivait à son tour, secoua la tête d’exaspération. Elle avisa la situation avant de mettre les points sur les i.

— Rhys, arrête de raconter n’importe quoi, ton nez n’est même pas rouge. Et Zéphyr, si tu veux tant être tonton, essaye déjà de gérer Rhys, ça nous fera des vacances.

— Hé ! protesta celui-ci. Même si mon nez n’est pas cassé, je suis sûr qu’il est tordu ! Regarde, il saigne !

— …

— …

— … C’est de la morve, ça.

Un éclat de rire général vint ponctuer cette révélation. Le jeune danseur leva les yeux au ciel en ronchonnant, un discret sourire sur le bout des lèvres. Astyal et Zéphyr se moquaient allégrement de lui, alors que Sytian tentait vainement de garder un semblant de gentillesse à son égard. Mais il était clair que chacun était hilare, de façon plus ou moins visible.

— Faisons un jeu, déclara soudain le plus jeune.

— On n’est plus des gamins, on va pas faire un cache-cache non plus, rétorqua la brune.

— Et pourquoi pas ? À partir d’un certain âge on n’a plus le droit de s’amuser peut-être ?

— C’est un truc de gamins. On ne va pas faire un jeu.

— Et tu proposes quoi alors ?

Témoins de la joute verbale qui commençait à s’enflammer, Rhys et Sytian échangèrent un regard inquiet.

— Calmez-vous, tenta le beau blond, on peut…

— Tu es juste trop snob pour faire un jeu.

— Snob ? Qui est snob ici ? Je ne suis pas la fille d’un Attributeur de Rois, moi.

— Et moi je n’utilise pas mon âge comme excuse pour garder un semblant de fierté.

Les deux adolescents se fixèrent, des orages dans les yeux.

— On a qu’à voter, proposa Sytian, diplomate. Qui est pour faire un jeu ?

Sans surprise, Zéphyr leva la main.

— Qui est contre faire un jeu et propose… euh autre chose j’imagine ?

Astyal se manifesta. Seule.

— Un contre un, fit remarquer Mister blondinet.

— Vous n’avez pas voter, reprocha la jeune femme.

— Je suis arbitre, je ne peux pas voter ! contra-t-il.

Tous les regards convergèrent vers Rhys. Celui-ci se figea, prêt à prendre la fuite si la situation l’exigeait.

— Rhys, tu n’as pas envie de faire un jeu stupide, n’est-ce pas ? le menaça la brune.

Le danseur déglutit. Il allait voter contre, mais il croisa en cet instant, les yeux de Zéphyr. Il portait ses lentilles, alors il ne pouvait discerner ses iris améthyste, pourtant, son regard n’en restait pas moins hypnotisant. Surtout qu’un début de larmes se glissait à l’orée de ses cils. Il soupira de désespoir.

— Je suis pour le jeu, marmonna-t-il à contre-cœur.

— Ouiiiii !

D’un bond, Zéphyr se jeta sur lui et le souleva de terre. Toutes traces de larmes avaient disparues, remplacées par un immense sourire. Astyal pesta, les bras croisés.

— Et qu’est-ce que tu comptes nous infliger comme jeu idiot ? grogna-t-elle.

L’apprenti Attributeur de Rois prit quelques secondes pour réfléchir alors que Rhys tentait vainement de se dégager de son étreinte.

— Un jeu de mimes !

— Je crains le pire…

— Zéphyr, tu m’étouffes.

Les quatre adolescents s’installèrent plus ou moins à contre-cœur autour d’une table. Ils décidèrent de noter chacun dix idées de choses à mimer et à faire deviner.

— On n’a pas de papier, fit remarquer Astyal.

— Je vais en chercher, s’empressa le blondinet.

— J’ai faim.

— Il est 14h30 Zéphyr… Tu as mangé il y a deux heures à peine !

— J’aime pas manger à midi.

La jeune femme poussa un long soupir et consentit à aller chercher des victuailles, craignant les plaintes incessantes du plus jeune. De nouveau seuls, Rhys et Zéphyr se rapprochèrent, ou plutôt, l’apprenti Attributeur de Rois tira le danseur à lui pour comploter.

— Pour le mariage, je propose des ballons bleus et verts. Et des confettis. Et des rubans. Des feux d’artifices. Des…

— Zéphyr. Il ne va pas y avoir de mariage entre Sytian et Astyal !

— Et pourquoi pas ?! Ils s’aiment !

— Ce n’est même pas sûr. Et puis ce ne sont pas nos affaires, on n’a pas à se mêler de leur histoire amoureuse ou leur absence d’histoire amoureuse.

Le jeune homme bougonna un instant.

— Je suis sûr que Sytian aime Astyal.

— Oui, mais peut-être que ce n’est pas réciproque, ET CE NE SONT PAS NOS AFFAIRES !

Rhys avait horreur de jouer les entremetteurs. Surtout quand cela concernait un dragon en furie comme la servante qui lui servait d’amie. Heureusement, Zéphyr sembla passer à autre chose, pour le moment. Il se mit à ramasser des feuilles, les déchirer avec application avant de les lancer en l’air. L’héritier se serait bien plaint, mais il savait qu’il était inutile de faire des remarques à son acolyte : il n’obéissait qu’à lui-même.

— Tu sais… commença soudain le jeune homme d’un ton anormalement sérieux.

Le danseur se tourna vers lui, prêt à écouter une énième bêtise.

— Je commence à déchiffrer le livre interdit. Enfin, un peu, je crois.

Il fallut un long moment à Rhys pour comprendre de quoi parlait son ami. Puis, l’épisode de la dispute avec Astyal lui revint. Il avait totalement oublié ce livre écrit dans une langue perdue. Il avait d’autres chats à fouetter que de se préoccuper d’un bouquin plein de poussières.

— Et ? Ça raconte quoi ? Des secrets impériaux ? Des rites sataniques ? Une version améliorée du Kâma-Sûtra ?

— Aucune idée, je n’arrive qu’à deviner quelques mots pour l’instant.

— Ah…

— Tu veux m’aider ?

— T’aider ? À déchiffrer une langue inconnue ? Alors que je ne sais même pas lire la langue universelle ?

— Tu ne sais pas lire ?!

Rhys retint un grognement. Il n’aimait pas parler de ses origines. Il n’avait pas honte de son ancienne vie dans la rue, mais il était parfois jaloux des autres enfants qui avaient appris à lire, écrire, compter, tandis qu’il mendiait sur un trottoir.

— Tu veux que je t’apprenne ?

— C’est bon, il y a tout de même des trucs que je sais faire. Je sais même écrire mon nom.

— Trop cool ! Alors ce sera encore plus facile de t’enseigner ce qu’il te manque !

— Je t’imagine très mal enseigner…

— Hé ! Je suis sûr que je suis un excellent professeur !

Pour appuyer ses dires, Zéphyr lui donna un coup dans l’épaule.

— Alors, tu es d’accord pour que je t’apprenne ?

— Est-ce que j’ai le choix ?

— Non.

— Pourquoi tu demandes dans ce cas ?!

Le jeune danseur poussa un soupir de découragement sous le rire de son acolyte. Heureusement, Sytian et Astyal revinrent à ce moment, les bras chargés de nourriture, boissons, papier et stylos. Ils déposèrent leur butin sur la table tandis que Zéphyr se ruait sur des pâtisseries aux fruits rouges.

— Zéph, arrête de te goinfrer, le rabroua la jeune femme.

Le concerné lui adressa un grand sourire, les dents et le pourtour de la bouche barbouillé. Astyal s’apprêtait à le rabrouer, mais Sytian intervint avant qu’une nouvelle dispute éclate.

— Bien, j’ai ramené des papiers et un sac pour pouvoir les tirer au hasard. On n’a plus qu’à noter des choses à mimer et faire les équipes.

— JE VEUX RHYS !

Ce dernier sursauta, une main contre son oreille meurtrie.

— Tu veux me rendre sourd ou quoi ?

— Rhyssette, s’il te plaît, tu veux bien te mettre avec moi ? papillonna l’apprenti Attributeur de Rois.

— Tu rêves, je ne vais…

— Ne recommencez pas tous les deux ! Zéphyr, tu vas avec Sytian, je prends Rhys dans mon équipe.

Étonnamment, personne n’eut le courage de protester. Les quatre adolescents écrivirent leurs propositions et les placèrent dans le sac prévu à cet effet. Comme il y avait très peu de mots que Rhys savait écrire, il fit des dessins pour se faire comprendre. Il espérait que personne ne se moquerait de lui… Seulement, il n’arrivait pas à avouer à voix haute qu’il ne savait pas écrire. Pourtant, il l’avait fait tout naturellement quelques minutes plus tôt avec Zéphyr. Celui-ci lui adressa un clin d’œil et un grand sourire. Il fut soulagé.

— C’est ridicule, grinça la plus âgée du groupe.

— Je sens que ça va être n’importe quoi, renchérit le plus idiot.

— Allez, je commence ! s’enthousiasma Zéphyr.

Il prit un air concentré et tira un bout de papier qu’il tourna dans tous les sens.

— Rhys, tu dessines vraiment mal ! s’exclama-t-il.

Pour le tact, on repassera…

— J’ai fait ce que j’ai pu, bougonna le danseur.

Sans transition, l’apprenti Attributeur de Rois se mit à sauter dans tous les sens.

— Qu’est-ce que c’est ça ?!

— Même moi je ne sais pas ce que c’est alors que c’est moi qui aie fait la proposition.

— J’ai le droit à combien de proposition ? désespéra Sytian devant les mouvements incompréhensibles de son coéquipier.

— Trois, trancha Astyal. Et si tu ne réussis pas, ce sera notre tour. Sinon, vous pouvez continuer. Je vais tenir les points.

Alors que la servante traçait des colonnes sur une feuille vierge, les deux garçons fixaient Zéphyr en tentant de deviner de quoi il pouvait s’agir, en vain.

— Un oiseau ? tenta Sytian.

— Mais non, enfin, c’est simple pourtant !

Rhys et Mister Blondinet échangèrent un regard entendu quant à la dernière remarque.

— Un fou ? Une sauterelle ?

— Un parachute ? renchérit Rhys.

Il n’avait même pas dessiné une telle chose dans ces propositions, mais avec Zéphyr, tout était possible.

— Vous êtes nuls, déclara ce dernier en retournant s’asseoir.

— Remets le papier dans le sac, puisque personne n’a trouvé, lui conseilla Astyal. Rhys, à ton tour.

Celui-ci soupira et se leva. Il agita un peu le contenant, puis, piocha au hasard. Il déchiffra deux lettres sur les huit. Mal à l’aise, il se concentra, tentant en vain de comprendre ce qui était écrit. Il était sur le point de craquer quand il sentit une présence derrière son épaule et une voix lui chuchota à l’oreille :

— Héritier.

Il frissonna et croisa le regard de Zéphyr. Il eut la brève sensation d’y voir un éclat améthyste, malgré les lentilles. Il le remercia d’une voix à peine audible. Son ami retournait s’asseoir, tandis que le danseur soufflait de soulagement de ne pas s’être ridiculisé. De plus, son mime était facile. Il se tourna vers Astyal et se désigna, oubliant qu’il avait été nommé depuis peu héritière et non plus héritier.

— Un idiot, déclara la servante.

Sytian et Zéphyr éclatèrent de rire. Rhys soupira et désigna Sytian pour qu’elle comprenne.

— Deux idiots ?

— Mais non ! Je désignais Sytian, pas Zéphyr !

— Tu insinues que je suis un idiot et pas Sytian ? s’insurgea le concerné.

Il y eut un léger silence révélateur, avant qu’un éclat de rire général s’envole. Une fois qu’ils furent calmés, Rhys tenta à nouveau de faire deviner son mot. Il réfléchit quelques instants, puis, il mima une couronne sur sa tête et un air pompeux.

— Un chauve constipé.

— Ahahaha !

— Comment ça, un chauve constipé ?! Ce n’est pas du tout ce que je mimais !

— Ça y ressemblait en tout cas…

L’après-midi se déroula ainsi, sous les rires et les situations ridicules. Il y avait manifestement des problèmes de communication entre les adolescents. Que ce furent les mimes qui n’avaient aucun sens, les réponses ou encore les propositions, il y eut très peu de points récoltés. Astyal répondait au pif les trois quarts du temps, Sytian était trop timide pour mimer, Zéphyr avait proposé des choses qui n’existaient pas et Rhys était désespéré par leur nullité. Ils changèrent à trois reprises les équipes afin de se donner de meilleures raisons de perdre. Sans trop de surprise, le duo Zéphyr-Rhys fut de loin le plus catastrophique, mais aussi le plus drôle. Même la jeune servant esquissa quelques sourires devant leurs pitreries.

Ils décidèrent de rentrer d’un commun accord à la vue du crépuscule avancé. Ils étaient sur le chemin du retour, plus ou moins calme selon l’individu, lorsqu’un serviteur se précipita vers eux en courant.

— Héritier De Lamin, Héritière Cétout, s’inclina-t-il bien bas. Nous vous cherchions partout !

— Que se passe-t-il ?

— La date et les règles de votre Première Épreuve ont été dévoilées. Je dois vous remettre ceci.

Le coursier leur tendit deux enveloppes scellées que les deux jeunes hommes s’empressèrent d’ouvrir. Rhys finit rapidement d’analyser le décret impérial puisqu’il n’en comprenait pas un mot. Cependant, son ami, lui, fronçait de plus en plus les sourcils au fil de sa lecture.

— Un problème ? demanda-t-il.

— Ce sont les instructions de notre Première Épreuve.

— Ah, super.

Il marqua un temps de pause. Zéphyr et Astyal s’étaient emparées de sa lettre pour la lire à leur tour.

— C’est quoi la Première Épreuve déjà ?

Tous se tournèrent vers lui comme s’il était le dernier des idiots.

— Rhys, tu sais que le but de tout héritier est de devenir empereur ? expliqua patiemment Mister Parfait.

Il haussa les épaules. Il se fichait pas mal de toute cette histoire.

— Pour nous départager, le conseil et ses Majestés ont mis en place une série d’épreuves pour nous départager.

— D’accord, et ?

— Par tous les dieux, ce que tu peux être lent, Rhys ! grogna Astyal. Ta Première Épreuve pour déterminer si tu seras empereur ou non a lieu demain, c’est ce qu’on essaye de t’expliquer depuis tout à l’heure !

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