Chapitre 4

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Une vague de froid la réveilla aussitôt, ce matin-là - encore ! Elle ouvrit difficilement les yeux sur sa gouvernante qui, comme à son habitude, tenait la couette entre ses mains. Colombe n’aimait pas quand elle faisait ça. D’autant plus qu’elle n’avait pas passé une nuit des plus agréables. Les souvenirs de la veille lui revinrent tout à coup, comme un flash. Elle trembla. Le visage glacial de ce monstre qui ressemblait terriblement à son père refusait de quitter son esprit.

  • On dirait que vous avez encore fait un mauvais rêve, remarqua Marie.

Colombe sursauta à ces mots, ses yeux s’agrandirent. Mais oui ! Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Ce qu’elle avait vu la nuit dernière n’avait été qu’un vilain cauchemar ! Celui-ci était juste différent de ceux qu’elle faisait ces derniers temps qu’elle ne s’en était pas rendu compte plus tôt, c’était évident ! Mais, murmura une petite voix dans sa tête, il avait pourtant l’air si réel… Oui… Mais tous les rêves paraissaient réels, non ? Même celui où elle s’était imaginée en train de dévorer une immense maison entièrement faite de sucreries, semblable à celle d’Hansel et Gretel, sans avoir une seule carie, alors qu’elle savait bien qu’elle ne pourrait pas manger autant de sucre sans garantir un allez-retour chez le dentiste.

Il n’y avait qu’un seul moyen d’en être sûr. Elle devait retourner à la tapisserie !

Elle se leva brusquement et, sans même laisser le temps à sa gouvernante de faire sa toilette, se précipita, encore vêtue de sa chemise de nuit, en direction de l’aile est, faisant fi des domestiques étonnés qu’elle croisait sur son passage. Elle ne retrouva pas la tapisserie de l’Hirondelle et du Chat immédiatement, certainement parce qu’elle n’allait que très rarement dans ce coin du manoir, mais dès qu’elle l’aperçut, elle n’attendit pas une seule seconde avant de la soulever. Rien. Il n’y avait rien. Juste un mur, tout ce qu’il y a de plus normal, pas même une fissure ou bien une fente pouvant trahir la présence d'un quelconque passage secret comme elle pouvait le voir dans ses romans préférés.

Un profond soupir de soulagement s’échappa de la poitrine de Colombe. Tout cela - la porte, l’escalier, le monstre - n’avait au final été qu’un horrible cauchemar.

  • Mademoiselle ! S’écria Marie, visiblement essoufflée après lui avoir couru après, depuis l’autre bout du couloir. Je… peux… savoir… ce que vous faites là ? Qu’est-ce qu’il vous a pris de vous enfuir comme ça ?
  • Je… Je voulais juste vérifier quelque chose… Dis… Tu ne trouves pas cette tapisserie intimidante ?

Le regard de Marie se posa un bref instant sur cette dernière avant de rapidement retourner vers Colombe.

  • Eh bien… C’est vrai qu’elle est quelque peu effrayante. Mais il s’agit d’un présent que la famille de votre mère lui a offert pour leur mariage, alors ce n’est pas comme s’il pouvait s’en débarrasser… Et puis… Entre nous, murmura-t-elle en vérifiant qu’aucune oreille indiscrète ne les écoutait, j’ai toujours trouvé que votre père avait des goûts… Particuliers… Et ne parlons pas de son obsession pour les oiseaux… Enfin ! Qui suis-je pour juger ainsi ? Rien si ce n’est qu’une simple gouvernante, et cet homme est mon employeur, je n’ai pas mon mot à dire dans cette affaire ! Mais pourquoi cette question ?
  • Oh, c’est juste que… En ce moment je n’arrête pas de rêver de cette tapisserie.
  • Étrange en effet… Bon, ce n’est pas tout, mais dépêchons-nous de retourner à votre chambre, nous ne devrions pas être là… Surtout dans cette tenue, rajouta-t-elle en jetant un coup d'œil à l’accoutrement de Colombe. Si votre père nous surprend ainsi, nous nous ferons toutes les deux remonter les bretelles, et ce serait dommage de l’irriter une des rares fois où il est présent au manoir, n’est-ce pas ?

Marie tendit sa main à la petite fille qui la saisit joyeusement avant de retourner sagement dans sa chambre, et une heure plus tard, on pouvait la voir sautiller tout aussi joyeusement dans les couloirs, cette fois-ci proprement lavée, coiffée et habillée, en direction de la salle à manger où l’attendait son père pour prendre le petit déjeuner. En voyant son sourire éclatant, Colombe sentit les larmes lui monter aux yeux. Il allait bien… Le monstre ne l’avait pas dévoré. Tout cela n’avait vraiment été qu’un vilain cauchemar.

  • Eh bien, eh bien, tu es particulièrement enjouée ce matin, ma petite tourterelle. Puis-je savoir les raisons de cet enthousiasme ? Demanda son père en la voyant chantonner.
  • Oh… Rien de particulier… Je suis juste très très très contente d’enfin pouvoir manger avec mon papa chéri, lui répondit-elle rieuse en claquant un baiser sonore sur la joue de son père.
  • Comment ?! Qu’ouÏs-je ?! Je ne suis pour mon adorable petit poussin que “rien de particulier” ?! Je suis vexé, je pensais avoir plus de valeur à tes yeux.

Il prit un air faussement boudeur qui suffit pour faire naître le remords dans le cœur de la petite fille qui commença à paniquer.

  • Quoi ? M-Mais non, p-pas du tout ! C-C’était juste une blague ! Je rigolais !
  • Vraiment ?
  • Mais oui ! Je suis désolée… Je ne le ferai plus…
  • C’est bon, ne t’inquiète pas mon rouge-gorge. Mais ne le refais pas, d’accord ?
  • D’accord…
  • Bon et si tu me disais ce que tu as fait pendant mon absence ? On n'a pas eu beaucoup de temps pour discuter hier à cause de mon travail.

La mine attristée de Colombe fut aussitôt remplacée par un immense sourire et elle se mit à compter sur ses doigts :

  • J’ai fait plein de choses ! J’ai joué avec mes poupées et avec des peluches, j’ai fait des dessins, Marie et Monsieur le Cuisinier m’ont aidée à faire un gros gâteau, j’ai appris une nouvelle table de multiplication… Ah, le cirque est venu en ville pendant ton absence, j’ai entendu la parade passer devant la maison. Je voulais y aller mais Marie a dit que je n’avais pas le droit. Oh ! Et sinon maintenant je connais un nouveau poème !
  • Vraiment ? Tu veux bien me le réciter ?

Elle hocha vivement la tête, sauta de sa chaise, lissa sa jupe, se racla la gorge et, se tenant bien droite :

  • Les oiseaux :

Orchestre du Très-Haut, bardes de ses louanges,

Ils chantent à l'été des notes de bonheur ;

Ils parcourent les airs avec des ailes d'anges

Échappés tout joyeux des jardins du Seigneur.

Tant que durent les fleurs, tant que l'épi qu'on coupe

Laisse tomber un grain sur les sillons jaunis,

Tant que le rude hiver n'a pas gelé la coupe

Où leurs pieds vont poser comme aux bords de leurs nids,

Ils remplissent le ciel de musique et de joie :

La jeune fille embaume et verdit leur prison,

L'enfant passe la main sur leur duvet de soie,

Le vieillard les nourrit au seuil de sa maison.

Mais dans les mois d'hiver, quand la neige et le givre

Ont remplacé la feuille et le fruit, où vont-ils ?

Ont-ils cessé d'aimer ? Ont-ils cessé de vivre ?

Nul ne sait le secret de leurs lointains e-

Quelqu’un entra tout à coup dans la pièce. Une domestique, au visage neutre. Elle tenait en ses mains un objet que Colombe reconnut, malheureusement, immédiatement. Ses yeux s’agrandirent d’effroi. Elle était paralysée. La domestique s’approcha de son père et lui tendit le premier tome des Aventures de Sherlock Holmes, qu’elle n’avait de toute évidence pas pris dans la bibliothèque. Son sang se glaça. Elle n’avait pas respecté le couvre-feu. Elle allait très certainement se faire gravement punir.

La domestique murmura quelque chose à l’oreille de son père. Le regard sévère de ce dernier se posa sur la jeune qui, l’espace d’un instant, cru revoir le monstre terrifiant de la nuit dernière, mais disparut rapidement lorsqu’il esquissa un sourire, qui ne la rassura pas pour autant.

  • Colombe… Tu as bien dormi cette nuit ?
  • Euh… O-oui, p-pourquoi ?
  • Et tu t’es couchée à quelle heure ?
  • O-Oh, euh… Pas trop tard… 21h… Je crois…
  • Ah bon ? C’est étrange, la dernière ronde des domestiques a lieu à 22h, et à ce moment-là, ce livre ne se trouvait absolument pas dans l’aile est… Tu ne te serais pas levée au milieu de la nuit pour lire par hasard ? Je repose donc ma question, et cette fois-ci tu n’as pas intérêt à me mentir, tu sais que je déteste ça, à quelle heure t’es-tu couchée ?

Grillée.

  • Je ne suis pas restée longtemps… Je commençais à m’endormir sur mon livre alors je suis retournée me coucher… J’ai dû l’oublier là-bas…
  • Tu n’as pas répondu à ma question.
  • Quand j’ai regardé l’horloge du couloir, il était deux heures… Trente… Quatre… Du matin…
  • Tu sais ce qu’il se passe quand tu enfreins le couvre-feu ? Demanda-t-il d’une voix douce
  • Je suis punie…
  • Et quelle est ta punition dans ce genre de situation ?

Ses yeux se remplirent de larmes.

  • Je n’ai pas le droit de sortir de ma chambre de toute la journée.
  • Bien. Tu sais ce qu’il te reste à faire.
  • Mais Papa ! On devait passer la journée ensemble !
  • Il n’y a pas de mais qui tienne, ça t’apprendra à me désobéir. Allez, file dans ta chambre.

La domestique, qui n’avait pas quitté la pièce, saisit Colombe par la bras et la traîna de force jusqu’à sa chambre où elle l’enferma à double tour. La porte ne s’ouvrit à nouveau qu’à l’heure du déjeuner et du dîner pour qu’un autre domestique lui apporte ses repas, mais hormis ces brefs moments, elle ne put sortir de la journée. Elle eut beau pleurer, crier, frapper à la porte de toutes ses forces, réclamer qu’on la laisse sortir, rien n’y fit. Personne ne l’écouta.

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