Partie 1

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04h32

 Les pneus de la voiture écrasaient allègrement la végétation, brisant au passage quelques branches de bois dans un craquement distinctif. Le véhicule se stoppa en face d'une clôture sur laquelle on pouvait voir un panneau éclairé par les phares.

«Défense d'entrer ! Zone militaire sécurisée»

 À côté de la pancarte, un ruban bleu était accroché. Stéphane coupa le moteur ainsi que les phares. Il consulta sa montre, 04h32. Habillé de noir pour se faire plus discret dans les ténèbres de la nuit, il sortit une photo de la poche de son pantalon et la posa sur le tableau de bord. Dessus, une petite fille de trois ou quatre ans avec un ruban bleu dans les cheveux souriait au photographe en montrant une glace qu'elle tenait à la main. Stéphane passa un doigt sur le visage de la petite fille, comme s'il pouvait sentir sa peau à travers l'image et des larmes coulèrent sur ses joues. Le téléphone sonna. Son coeur s'emballa. Il décrocha et une voix trafiquée sortit de l'appareil.

  • Êtes-vous arrivé à l'endroit indiqué ?
  • Oui... Pitié, ne faites pas de mal à ma fille, je vous jure que je vais faire ce que vous voulez !
  • Oh mais nous le savons bien, et rassurez-vous, elle vous rejoindra lorsque vous aurez accompli votre mission.
  • Alors dites-moi ce que je dois faire...
  • Regardez dans la boîte à gants.

 Stéphane s'exécuta et ouvrit le compartiment. Il en sortit des papiers et une arme à feu. Pas n'importe laquelle, un Sig-Sauer SP 2022.

  • Qu'est-ce que ça veut dire ?! demanda-t-il paniqué.
  • Allons, allons, calmez-vous, vous savez très bien ce que c'est et ce que ça signifie. Après tout, vous avez travaillé dans la police pendant cinq ans. Cette arme est le modèle utilisé par toutes les forces de l'ordre en France. Vous en connaissez donc toutes les subtilités. Vous trouverez également une lampe torche dans le coffre du véhicule.
  • Qu'est-ce que vous attendez de moi au juste ?
  • Prenez les documents qui se trouvaient avec l'arme. Il s'agit du plan du bâtiment qui se trouve de l'autre côté de cette clôture. Votre mission est de vous infiltrer à l'intérieur pour atteindre la salle notée Z-12 sur ce plan. Une fois à l'intérieur, vous devrez trouver la mallette portant l'étiquette Tim-Trv 2X V54, puis vous reviendrez au véhicule. Votre fille vous rejoindra comme promis.
  • Et... Et l'arme ?
  • Vous devrez essayer de ne pas vous faire repérer, mais si vous n'avez pas d'autre choix, éliminez les témoins. C'est soit eux, soit votre enfant.
  • C'est d'accord, je vais le faire... Mais pitié ne faites pas de mal à ma petite fille, supplia Stéphane en larmes.
  • Comme promis, si vous suivez les consignes, vous la retrouverez. Une dernière chose, si les événements tournent en votre défaveur et mettent la mission en danger, n'hésitez pas à faire usage du contenu de la mallette.
  • Que contient cette...mallette ?
  • Vous le découvrirez bien assez tôt. Vous avez jusqu'à 05h30 précises.

 Le mystérieux interlocuteur raccrocha, laissant Stéphane tremblant et désemparé. Il consulta une nouvelle fois sa montre.

04h37

 Comment s'inflitrer dans un bâtiment militaire, certainement gardé, sans connaître et étudier les lieux au préalable ? Pas le choix, il fallait y aller. Il descendit de la voiture, se dirigea à l'arrière du véhicule et ouvrit le coffre. Comme indiqué, une lampe torche s'y trouvait. Il la prit et s'assit quelques instants pour se calmer. L'air frais de la nuit l'aida à y voir plus clair. Bien, il lui faudrait s'inflitrer discrètement dans la zone, entrer dans le bâtiment, trouver la pièce dans laquelle se trouve la mallette, puis ressortir. Simple. Toujours assis, il tendit son bras et referma la malle du coffre.

  • Il y a quelqu'un ? Qui est là ?!

 Et mince, quelqu'un avait repéré la voiture et avait certainement entendu le coffre se refermer, ça commençait plutôt mal pour une mission furtive. Stéphane s'accroupit et attendit le moment opportun pour neutraliser l'homme. Les bruits de pas se dirigèrent vers lui. Il analysa rapidement la situation : s'il utilisait son arme dès maintenant, il risquerait de se faire repérer par d'autres gardes. Se battre frontalement pourrait jouer en sa défaveur si son adversaire était mieux entraîné que lui. L'étrangler restait la seule solution viable. Il fit le tour de la voiture aussi discrètement que possible et s'arrêta devant le véhicule, les mains tremblantes. L'homme se dirigeait vers l'arrière en lui tournant le dos. Parfait !

  • Je vous préviens je suis armé ! avertit l'homme.

 L'ancien policier bondit sur sa cible et passa un bras autour de son cou. Il bloqua sa prise avec son autre bras et serra de toutes ses forces. L'homme pris au dépourvu lâcha son arme. Une lutte sans merci débuta et les deux hommes tombèrent au sol, Stéphane sur le dos et l'homme sur lui, tous deux essayant de remporter la lutte. L'adrénaline rendait ses mains glissantes mais Stéphane tint bon. Après de longues minutes à serrer, Stéphane sentit son adversaire perdre des forces, puis finir par s'immobiliser. Par précaution, il attendit quelques secondes de plus avant de relâcher son étreinte. Il poussa le corps sans vie de sa première victime qui roula face contre terre dans un bruit sourd. Pour la première fois, il venait de prendre une vie.

04h41

 Quelques secondes lui furent nécessaires pour reprendre son souffle et retrouver ses esprits. Il se remit debout et se dirigea vers la clôture. Un trou y avait été préalablement découpé, probablement par les ravisseurs de sa fille. Il s'y engouffra et observa les alentours. Pas un bruit. Le bâtiment au loin semblait extrêmement calme. Il s'abrita derrière un petit cabanon et sortit le plan de sa poche, ainsi que la lampe torche. Il analysa le meilleur chemin et en déduit qu'il lui fallait contourner par la droite. Il rangea la carte et éteignit sa lampe avant de continuer.

04h43

 Le bâtiment était à présent à quelques mètres lorsqu'il entendit des voix se diriger vers lui. Il fonça vers une porte en face de lui et se cacha dans l'embrasure. Deux soldats passèrent devant lui sans le remarquer, l'un d'eux évoquant sa nuit précédente avec une inconnue, tandis que l'autre insistait pour avoir plus de détails.

04h44

 Les gardes étaient à présent hors de portée. Il envisagea de sortir de sa cachète. Mais pour aller où ? Et comment entrer dans le bâtiment ? La porte s'ouvrit alors, surprenant Stéphane qui se retourna d'un coup. Un jeune soldat d'une vingtaine d'années se trouvait là, une cigarette pas encore allumée à la bouche, sans savoir comment réagir face à l'intrus. Il se recula d'un pas, faisant tomber sa cigarette et tenta de se saisir de son fusil mutrailleur qu'il portait en bandoulière, mais Stéphane fut plus rapide et sortit son arme.

  • Ne bouge plus ! dit-il d'une voix tremblante. Tu vas m'écouter et je ne te ferai aucun mal. Je... J'ai rien à perdre alors je suis prêt à tuer de nouveau si j'y suis obligé !

 Le visage du soldat devint blème et il leva les mains en l'air. Stéphane en profita pour se saisir de l'arme du garde.

  • Pitié m'sieur, ne me tuez pas, pitié ! Je suis nouveau ici et... et j'veux pas mourir...
  • Je ne te ferai rien si tu m'obéis, reprit-il d'une voix assuré cette fois. Je vais sortir une carte de ma poche, et tu vas m'emmener où je veux, c'est bien compris ?
  • O... Oui, mais s'il vous plaît m'sieur, me tuez pas !
  • Tout ira bien si tu m'obéis !

 Stéphane sortit le plan du bâtiment et le tendit au soldat, tout en le maintenant en joue. Ce dernier s'en saisit et l'observa attentivement, les mains tremblantes.

  • Je veux aller dans cette pièce, la Z-12, tu sais où c'est ?
  • O... Oui c'est dans l'aile ouest...

 L'ancien agent de police regarda sa montre, 04h45.

  • Alors en avant ! dit-il en faisant signe d'avancer avec son arme.

 Ils se mirent en route.

04h47

 Les couloirs éclairés de lumière blanche étaient déserts. L'écho de leurs pas résonnaient et Stéphane eut l'impression qu'ils étaient aussi bruyants que des tambours que l'on frappait régulièrement. Des goutes de sueur perlaient le long de ses tempes. Une porte allait forcément s'ouvrir à un moment, compliquant plus encore la situation... Le soldat tourna a droite et Stéphane le stoppa net.

  • Eh là, chuchota-t-il, ce couloir est vitré, je vais me faire repérer, tu veux mourir ou quoi ?!
  • Non... Non m'sieur, mais on est obligé de passer devant le labo, on va s'accroupir...

 Stéphane attrapa le jeune soldat et le plaqua sur le mur, son arme placée sous son menton. Une plaque perforée accrochée à une chaîne autour du cou du jeune homme attira son attention.

«NEVERS Jean

46 054 20654»

 46... Il a eu vingt ans cette année, en 2046... Il avait visiblement affaire à un enfant qu'il serait peut-être obligé de tuer. Encore une autre vie à prendre. Cette idée lui donna envie de vomir.

  • Écoute-moi bien Jean, si jamais tu fais un écart, t'es mort, compris ?
  • Oui m'sieur, compris ! Mais... Comment vous connaissez mon nom ?

 Le visage du soldat s'illumina.

  • Ah mais ça y est, s'exclama-t-il, j'ai compris ! C'est les copains qui vous ont engagé pour me bizuter ?!
  • Chut ! Parle moins fort, tu vas nous faire repérer !
  • Pardon, reprit-il en chuchotant de nouveau, alors j'ai raison m'sieur, hein ?!

 Cette situation pour le moins inattendue perturba Stéphane qui ne répondit pas aussitôt. Il relâcha légèrement le jeune homme.

  • J'le savais, continua Jean ! Ok, donc voilà le plan. Vous, vous continuez à faire le ravisseur et moi je fais comme si j'avais pas compris. Comme ça tout le monde verra que j'ai pas flippé, et à la fin vous me laissez vous désarmer et vous maîtriser pour que les collègues me prennent enfin au sérieux ! Ça marche ?!

 Ne sachant quoi faire d'autre devant la crédulité du garçon, l'ancien policier acquiesça avant de reprendre.

  • Bon, tu n'étais pas sensé le deviner, alors fais comme si tu ne savais rien, et surtout, ne nous fais pas repérer, les hauts gradés ne sont pas dans le coup, on risquerait gros toi et moi. Allez, on repart.

 Stéphane relâcha son étreinte et ils s'engouffrèrent dans le couloir, passant accroupis devant la vitre géante du laboratoire.

04h51

  • Dites m'sieur, tout à l'heure devant la porte, j'aurais pu vous tuer si j'avais eu le temps de prendre mon fusil !
  • Tes amis ont retiré tes munitions, mentit Stéphane, ton arme n'est pas chargée.
  • Alors ils ont vraiment pensé à tout ! dit-il amusé. Dites-moi un truc m'sieur, c'est vous qui traîniez dans les couloirs avant que je vous trouve devant cette porte ?
  • Hein ? Non, je venais d'arriver quand tu m'as ouvert.
  • Je vois... Voilà m'sieur, c'est là.

04h53

 Ils s'arrêtèrent devant une porte à serrure magnétique sur laquelle un petit panneau indiquait «Z-12». Stéphane regarda sa montre, 04h53. Il lui restait assez de temps. Le soldat sortit une carte de sa poche, puis la passa dans la fente prévue à cet effet. Un court bip rententit et le jeune homme posa une main sur un écran noir. La lumière de la serrure passa du rouge au vert, et un verrou se leva dans un bruit distinctif. La porte s'ouvrit et les deux hommes entrèrent dans la pièce sombre, uniquement éclairée par les faibles lueurs des panneaux indiquant les issues de secours. La porte se referma derrière eux dans un bruit étouffé. Visiblement, la pièce était insonorisée. Dans quel but ?

 Stéphane balaya la pièce du regard. Des étagères métaliques étaient posées en rang sur le sol, remplies de cartons étiquetés de toutes tailles et d'objets étranges. Il rangea son arme, sortit la lampe et s'avança dans la première allée, suivit de près par Jean.

  • Et maintenant m'sieur, on fait quoi ?
  • Je cherche une mallette portant l'étiquette Tim-Trv 2-quelque chose, tu sais comment sont rangés les choses ici ?
  • Oui c'est rangé par ordre alphabétique, la rangée P-U c'est la troisième. C'est pour mon bizutage ? Vous allez faire quoi avec ?
  • Je ne peux pas te le dire, répondit Stéphane en s'engageant dans l'allée, sinon les autres vont se douter que tu es au courant. Ah la voilà !

04h54

 Il rangea son arme et se saisit de la mallette lorsqu'il sentit un objet froid et métalique se presser derrière son crâne. Il s'immobilisa. Le soldat lui reprit le fusil mitrailleur, lui enleva la mallette des mains et recula, autorisant implicitement l'ancien agent de police à se retourner lentement.

  • Vous m'avez vraiment pris pour un con m'sieur.
  • Qu'est-ce que..? Je ne comprends pas, qu'est-ce que tu fais ?
  • Sérieusement, vous n'aviez pas remarqué que je m'étais rendu compte que vous aviez lu mon nom sur ma plaque ? Ah et pour information, le poids d'un fusil mitrailleur est différent selon s'il est chargé ou non. Je peux m'estimer heureux que vous ne m'ayez pris mon arme de poing cachée sous ma veste. Il m'a suffit d'attendre le moment opportun pour reprendre le contrôle.

 Le coeur de Stéphane battit à tout rompre. Il lui restait toujours son pistolet sur lui, mais au moindre mouvement imprudent il risquait de se faire descendre. Il pensa alors à sa fille qui l'attendait avec ses ravisseurs. Il ne pouvait pas se permettre de mourir, ce qui reviendrait tout simplement à tuer sa fille. Il fallait réfléchir. Et vite. Il recula lentement d'un pas, le coeur battant à tout rompre, et ouvrit la bouche pour essayer de gagner du temps lorsqu'un coup de feu rententit.

04h55

 Il tomba à la renverse et atterrit lourdement sur le sol. Il entendit un bruit sourd juste devant lui et leva les yeux dans cette direction. Du sang s'échappait abondamment du corps inerte du jeune soldat, face contre terre. Un trou derrière la tête de Jean indiquait qu'il avait été abattu par derrière. Stéphane leva alors les yeux et vit un homme se tenir debout dans l'obscurité, une mallette à la main.

  • Qui... Qui êtes-vous ? bredouilla-t-il.
  • Ça n'a pas d'importance, tout ce que tu dois savoir, c'est que tu dois ouvrir la mallette et poser ta main sur l'écran. Vite, le temps presse !
  • Mais...
  • On s'en fout, le temps presse ! Tu veux sauver ta fille ? Alors fais ce que je te dis !

 Ces paroles troublèrent Stéphane. Comment savait-il pour sa fille ? Était-il ami ou ennemi ? Visiblement ami, il venait de lui sauver la vie. Il marcha à quatre pattes vers la mallette, puis l'ouvrit à la hâte. Deux horloges digitales. Une petite tout en haut indiquait -00:03:00 et une seconde affichant 04h55 étaient toutes deux reliées à un étrange appareil dans la partie inférieure par une grande quantité de câbles aux couleurs variées. Il compara avec sa montre, 04h55, l'heure correspondait. À côté de cet étrange appareil sphérique relié par les fils électriques se trouvait un petit écran noir, visiblement éteint. Il releva la tête vers son mystérieux sauveur, mais celui-ci avait déjà disparu.

  • Poser ma main sur l'écran..? murmura-t-il.

 L'ex-policier effleura l'écran noir du bout d'un doigt et celui-ci s'alluma.

04h56

 Il retira sa main par réflexe et l'écran s'éteignit. Cette fois-ci, il posa sa main entière sur la surface tactile. Une lumière bleutée illumina l'appareil et quelque chose lui piqua un doigt. À cet instant, il lui était impossible de bouger, contrairement au décor qui, lui, se mit à tourner à une vitesse hallucinante. Quelques secondes plus tard, il put enfin retirer sa main et la pièce cessa de tourner.

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