Lucia
Je ne le supporte plus. Lui et son gros cul flasque qui ne décolle de son fauteuil de geek que pour aller pisser. Et encore, je l'ai déjà vu se vider dans une bouteille de soda pour ne pas avoir à s'interrompre dans sa partie.
C'est un fainéant, un bon à rien. Un gamin dans le corps d'un homme de trente cinq ans sans aucun autre objectif dans la vie que de profiter des autres. De moi surtout.
Cela fait des semaines qu'il aurait dû plier bagages. Mais une fois de plus, je le retrouve toujours assis à la même place, les yeux rivés sur ses écrans, son casque vissé sur la tête. Il me tourne le dos et n'a pas remarqué ma présence.
Il est plus de vingt et une heure, je rentre d'une longue de quatorze heures de travail, mon corps ne demande qu'une chose. Partir se coucher. Mais la vision de mon appartement, transformé en zone de guerre me redonne de l'énergie.
Je déteste le désordre. Il le sait très bien. Je suis sûr qu'il le fait exprès pour me faire sortir de mes gonds. Ce n'est pas possible autrement.
Des boîtes de pizzas trainent à même le sol, les cannettes promisent d'être descendues s'accumulent un peu partout dans le salon. Les cartons que j'ai personnellement rapportés pour emballer ses affaires n'ont pas bougés d'un iota. Et cette odeur! Mélange de cigarrettes froides, de nourritures, d'alcools et de pêts bien gras. C'est insupportable.
Je m'élance vers la fenêtre située juste à côté de son bureau pour aérer la pièce. Il ne daigne pas lever les yeux pour me regarder.
Depuis notre séparation, c'est sa technique de prédilection. L'esquive. Agir comme si je n'étais pas là, pour ne pas avoir à répondre à mes questions. Dont la plus importante; Quand compte-t-il s'en aller?
Probablement parce que la réponse est... jamais.
Pourquoi le fairait-il? Il est nourri, loger, blanchi à mes frais. Il ne travaille pas et n'a nul part où aller. Pas de familles, pas d'amis chez qui squatter quelques temps. Je ne peux pas le foutre dehors car son nom est sur le bail. S'il ne veut pas partir, je ne peux pas l'y obliger. Et si c'est moi qui part, je devrais tout de même payer les mensualités à sa place car je me suis portée garante pour lui. En somme, je suis baisée.
J'attrape un sac poubelle dans le placard sous l'évier et commence à vider le salon des cadavres qui trainent un peu partout. ça fait du bruit. J'en ai conscience et en rajoute un peu pour l'énerver.
J'entend un grognement.
- Quoi?
Comme souvent ces derniers temps, son dos me répond.
ça fait partie de son nouveau mode de communication.
Je me retiens de soupirer pour ne pas montrer mon exaspération, mais au fond je bouillone. Je suis en colère. Contre lui. Contre moi surtout.
Je ne comprends pas.
Je ne comprends pas comment j'ai pu rester aussi longtemps avec ce type, vouloir fonder une famille avec lui, visualiser un avenir heureux à ses côtés.
Même moi, ça me dépasse.
Je redouble d'efforts pour faire plus de bruits, m'agite dans tous les sens autour de sa personne, manière de libérer ma frustration. Un autre grognement résonne dans la pièce, plus fort, plus menaçant, sonnant comme un avertissement. "Arrête, ou tu le paiera cher".
Alors je m'éclipse pour jeter les détrituts dans les contenaires en bas de la rue juste avant qu'il ne soit trop tard. J'en profite pour fumer une cigarette à l'air frais et me calmer un peu. Je n'en peux plus de cette situation. Je suis épuisée aussi bien physiquement que moralement par cette guerre silencieuse. Je veux seulement que ça s'arrête mais je ne trouve aucune porte de sortie. J'ai la sensation d'être coincé à vie avec cet homme que je ne peux plus voir en peinture. Cela me rend triste et encore plus en colère.
Je m'en fume une deuxième avant de remonter me coucher, traverse le salon et éteins la lumière machinalement en sortant de la pièce.
- Putain! La lumière!
Merde! Je reviens sur mes pas pour la rallumer et file dans ma chambre que je ferme à clef derrière moi. Heureuse de retrouver mon cocon de sécurité et de pouvoir enfin me coucher. Je n'ai pas mangé mais je m'en moque. C'est un véritable bonheur de retrouver mon lit. Je songe à bouquiner un peu mais je suis trop fatigué pour me concentrer, j'abandonne l'idée, me plonge dans le noir et ferme les yeux.
Mon bonheur fut de courte durée. Au bout de quelques minutes à peine, j'entends le son des mitrailleuses de son jeu vidéo, mis à fond. Il a enlevé son casque pour mettre le son sur les enceintes de l'ordinateur. Simple provocation. Je le sais. Mais ça m'énerve. Parce que cela m'empêche de m'endormir. Je tourne en rond dans le lit pendant presqu'une heure, me répétant en boucle de ne pas céder à son attaque. Il finira bien par se lasser tout seul, si je ne réagis pas.
Les minutes continuent de défiler. Je ne dors toujours pas et dois me lever dans cinq petites heures. Le bruit des mitrailleuses monte encore d'un cran, s'arrête quelques secondes et reprend de plus belle.
Il y a toujours quelqu'un à buter dans ce putain de jeu. C'est sans fin.
Et moi, je n'en peux plus, finis par me lever pour rejoindre le salon. Remontée comme une pendule. Je lui cris d'éteindre le son ou de mettre son casque parce que je dois travailler le lendemain. Mais il feind de ne pas m'entendre. Pire encore, il monte le son encore d'un cran supplémentaire. Alors, je crie encore plus fort, je craque, je l'insulte, le traîte de bon à rien. Tout ce que j'ai sur le coeur depuis des mois sort en un débit ininterrompu. Mais il ne réagit toujours pas, continue de jouer comme si de rien n'était; comme si je n'étais pas là, laissant son dos me répondre, une fois de plus.
Dans une impulsion, j'attrappe un objet au hasard sur le buffet à côté de moi, il est lourd dans ma main et je le lance de toutes mes forces dans sa direction. L'objet, une satuette que nous avions acheté ensemble lors de notre voyage en égypte frappe l'arrière de son crâne, rebondit, pour terminer sa route au pied de la table de la salle à manger.
***
Je reste interdite pendant un long moment. Incapable de bouger ou même de penser. Pétrifiée parce que je viens de faire. Jamais de ma vie, je n'avais fais preuve de violence. Jamais. Je peux parfois crier ou être virulente dans mes propos, mais jamais, je ne m'en suis pris physiquement à quelqu'un. C'est la première fois que ça m'arrive. Je le jure. Je ne sais pas ce quim'a pris. Je suis fatiguée, à bout de nerfs. Je voulais seulement que ce vacarme s'arrête.
D'une certaine façon, j'ai obtenu ce que je voulais. Avec le choc, son corps a basculé en avant, éteignant brusquement l'ordinateur. Le son s'accadé des mitrailleuses a fait place à un silence pesant. Je n'entend plus que le bruit sourd de ma propre respiration et de faibles gémissements venant de lui.
Il faut que je foute le camp avant qu'il ne reprenne ses esprits. Je sors de ma torpeur et fonce dans ma chambre, me rhabille aussi vite que je peux, attrape mes clefs de voiture, mon sac et je m'en vais sans même jeter un regard dans sa direction. J'ai bien trop peur de sa réaction.
Une fois dehors je prend une grande inspiration et je cours jusqu'à ma voiture.
Et je roule. Roule, roule, roule jusqu'au petit matin.
Sans aucun but.
Je erre dans les rues de la ville endormies, au grè du hasard, pour une seule et bonne raison, c'est que je ne sais pas quoi faire de moi.
J'ai songé à vider les comptes et m'enfuir loin d'ici. Refaire ma vie dans un endroit où personne ne me connaît. Mais je ne peux pas. Qui s'occuperait de la boutique? Certainement pas lui. Je suis trop fière de ce que j'ai accompli pour fuir maintenant. Ma boutique, c'est mon bébé. Et se sera probablement le seul que j'aurais. Alors je refuse de l'abandonner entre ses mains. Il serait capable d'y mettre le feu.
D'ailleurs, il est l'heure d'aller réveiller mon enfant.
Je tourne à gauche, direction le centre ville et longe la côte pour aller me garer sur mon parking habituel. Le soleil vient de se lever et la vue est à couper le souffle. J'adore ce moment de la journée où la ville n'appartient qu'aux commerçants. Cette effervescence silencieuse, où les étales et les terrasses des cafés se mettent en place avant que le reste du monde ne vienne s'agiter.
J'attrape mon sac sur le fauteuil côté passager et fouille à l'intérieur pour chercher les clefs du magasin. Je ne les trouve pas. Comme d'habitude, elles ont dû glisser au fond de tout mon bordel. Entre la fatigue et le stress, je perds vite patience. Je sors tout. Rien. Pas de traces de clefs. Je regarde dans les poches de mon jeans et de ma veste. Toujours rien, hormis de vieux tickets de caisse passés à la machine. Je cherche dans le vide poche, sous les sièges, sur les sièges, dans le porte gobelet. Elles n'y sont pas non plus. Je suis exaspérée, l'heure tourne. Dans moins d'une heure je dois ouvrir la boutique au public.
Et puis, ça me revient. Je me revois pauser les clefs sur le comptoir de la cuisine en rentrant hier soir.
Dans la panique je ne les ai pas prise.
- Merde, Merde, merde! je cris tout en frappant le volant.
Des larmes coulent sur mes joues. Pas ça.
Je n'ai pas la force.
Pas la force d'y retourner. Pas maintenant.
Pas le temps non plus pour me disputer avec lui.
Mais je n'ai pas d'autres choix.
Je dois ouvrir la boutique. Impossible de me porter pâle. Une livraison doit arrivée ce matin, nous sommes en pleine saison touristique et j'ai besoin de gagner cet argent - pour payer notre loyer exorbitant.
Je n'ai pas d'autres choix que de faire demi tour et prier pour qu'il soit parti se coucher.
***
Putain! Je n'y crois pas.
Il est mort.
Pas besoin de prendre son poul pour en être sûr. La flaque de sang coagulé sous sa chaise de bureau et ses yeux vitreux suffisent à comprendre.
C'est complétement absurde. Je veux dire. C'était juste un petit coup sur la tête. Rien de bien méchant. Pas de quoi tuer un homme de sa corpulence en tout cas.
Non. C'est impossible. Il s'est forcément passé autre chose pendant mon absence.
Oui! c'est ça!
Quelqu'un est venu après mon départ pour terminer le travail et me faire porter le chapeau.
"Non mais tu t'entends? Bien sûr que c'est toi qui l'a tué! Qui d'autre? Un de ses copains de jeux vidéos mécontent que son troll préféré est été pulvérisé?" s'élève une voix sacarstique dans ma tête.
J'arpente le salon de long en large, de large en long, tout en me rongeant les ongles, l'esprit en ébullition. Je ne sais pas quoi faire. Je panique. Si je préviens les secours, ils appeleront la police. Et il ne croiront jamais au simple accident.
J'irai en prison.
Je ne peux pas aller en prison. Je n'y survivrai jamais.
- Lucia? La voix d'Agatha résonne dans le couloir de l'immeuble. Cela me remet instentanément les pieds sur terre. Il ne faut surtout pas qu'elle entre dans l'appartement.
Je fonce la rejoindre dans le couloir.
- Tu es encore là? Je te croyais déjà parti, me demanda-t-elle d'un air inquiet. - Tout va bien? Tu as une sale tête.
Je lui souri et répond :
- Oui, très bien! Comme une idiote j'ai oublié mes clefs. Il a fallu que je fasse demi tour pour venir les récupérer.
Ma voisine rigole. Surprise.
- Parce que ça t'arrives ce genre de chose à toi?
- Il faut croire, oui. Tu veux que je te dépose sur la route?
- Si ça ne t'embête pas.
Je retourne dans l'appartment et franchi les quatre petits mètres qui me sépare du plan de travail de la cuisine où se trouve mes clefs et mon sac à main. Je jette un coup d'oeil furtif en direction du fauteil de bureau en attrapant mes affaires.
Il n'a pas bougé depuis tout à l'heure.
Je ferme la porte à double tour et vérifie plusieurs fois qu'elle est bien fermée.
Agatha dans mon dos, s'en amuse:
- Tu as peur qu'il s'echappe? Je croyais pourtant que tu voulais t'en débarrasser?
- Dieu Merci! C'est enfin chose faite. Il est parti hier soir.
En prononçant ses mots, j'ai ressenti un énorme soulagement.
Cela fait de moi quelqu'un de mauvais?
Annotations
Versions