Et le monstre la broya

de Image de profil de Chris VlamChris Vlam

Avec le soutien de  ThomasRollinni, Jean-Michel Palacios 
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Image de couverture de Et le monstre la broya

Dans son bureau, le directeur la fixait en lui souriant. Il avait des projets pour elle.

Bien qu’elle connaisse son mode de fonctionnement, la professeure ne comprenait pas comment il pouvait la manipuler ainsi. Semblait-elle à ce point naïve ?

Jamais elle ne pourrait mentir de la sorte sans sourciller. Pourtant, elle soutint son regard en silence. Et comme à chaque fois, elle se rappela l'inspecteur à l’imperméable difforme, celui que les criminels prenaient pour un idiot et qui finissait toujours par les démasquer. La première partie était assez simple, laisser croire à son boss qu’il était le plus malin. Mais comment le vaincre ensuite ?

Il venait de lui retirer son cours et de le donner à Marc, un autre enseignant qu’il privilégiait en ce moment. Sa justification ? Prétendre qu’elle était trop compétente pour donner ces matières de bases. Il fallait attirer les jeunes en misant sur le développement durable, construire un nouveau cours traitant de la gestion des déchets, qu’il avait besoin d’elle pour cela. Mais elle n’y connaissait rien dans ce domaine.

La professeure avait consacré un temps incalculable à égayer sa chimie, cherché la meilleure façon de rendre cette matière rébarbative de façon ludique. La période de la Covid avait été à l’origine de la naissance de ce projet. Cloitrée chez elle, elle avait créé une chaine vidéo sur ce thème. Une petite victoire en somme pendant cette période sombre.

En sortant du bureau, elle s’avachit sur un banc, déprimée. Le sentiment de revenir cinq ans en arrière et de perdre quelque chose d’important la submergea.

En fin de semaine, elle eut l’opportunité de visiter un centre de tri. Puisqu’elle n’avait aucune prise sur les choix de la direction, autant se résigner. Pourtant, elle s’était promis de ne plus s’investir, de faire comme Marc, de rester assise sur sa chaise pendant que ses élèves chercheraient par exu-mêmes toutes les informations nécessaires à ce cours en « construction ». Mais là c’était différent. Cette visite était l’occasion pour elle de découvrir un monde qu’elle ne connaissait pas.

Dans ce monde d’obsolescence programmée, il fallait bien faire disparaitre les cadavres de la société de consommation. Leur guide les dirigea vers le broyeur à métaux. Un car attendait sur la bande transporteuse, prêt à être avalé par le monstre d’acier.

« Avant d’être broyés, les éléments toxiques sont éliminés des carcasses. Les batteries des moteurs thermiques s’enlèvent en quelques dizaines de minutes... ».

La professeure n’écoutait plus. Pourrait-elle piéger son boss, l’enfermer dans le coffre d’une de ces épaves ?

Son attention revint au moment où le groupe se remit en marche. Le personnel était accueillant, soucieux de montrer l’intérêt de leur travail. Elle se souvint d’un récent reportage traitant de la pollution engendrée par les fumées rejetées par les tôles lorsqu’elles s’échauffaient sous les contraintes des forces de frictions et de compression. Cette chaleur pourrait-elle dissoudre un corps ?

Au moment de quitter le site, un ouvrier lui demanda si elle avait apprécié la visite et si elle pouvait donner son avis en scannant le QR code.

« Il y a une certaine hypocrisie dans cette société, les gens sont encouragés à acheter sans se préoccuper de la fin de vie de leurs appareils. Comme si leurs déchets disparaissaient dans les camions poubelles. Les journalistes cherchent le sensationnalisme, mais ce que vous faites ici est un véritable travail d’intérêt public ».

Une lueur de reconnaissance avait jailli dans le regard de l’employé. La professeure avait vu juste, ces attaques les avaient affectés.

En arrivant à l’école, lundi matin, elle était en colère ; contre sa tendance à en faire de trop ; contre son besoin de toujours bien faire les choses. Des pensées obsédantes l’avaient réveillée la nuit. La jeune enseignante s’en voulait. Elle se promit une fois encore qu’elle se limiterait dorénavant au minimum comme beaucoup d’autres de ses collègues.

À la pause, Louis vint vers elle pendant qu’elle commandait un café. L'étudiant s’adressa à elle la mine réjouie. Il avait appris que sa professeure donnait un nouveau cours sur la gestion des déchets cette année et il avait un projet.

« Madame, on essaie de recycler les vieilles boites en aluminium utilisées pour les pastilles de menthe. On voudrait les transformer en vis et en écrous. Vous n’auriez pas des infos pour nous ? »

Un de ses amis lui avait relaté les propos tenus récemment dans le cadre d’un cours, la difficulté de recycler les emballages dans le secteur, surtout lorsque les aliments renfermaient des graisses risquant d’interagir avec le contenant. Le message infusait déjà.

Elle avait la chance d’avoir de gentils élèves. Et semblait tellement enthousiaste à l’idée de pouvoir apporter sa contribution à un problème environnemental.

Elle dormirait sans doute encore mal ce soir. Mais, à partir de quel métal réalise-t-on habituellement ces écrous ?

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En réponse au défi

Une nouvelle chaque dimanche... #171

Bonjour à toutes et à tous,

Très heureux de vous retrouver pour assurer l'animation de ce défi hebdomadaire, en ce début d'automne et ses mois qui tremblent.

Sans doute en connaissez-vous le but. Toutefois je vous le rappelle. Le défi paraît chaque dimanche pour une durée d'une semaine.

Il consiste à écrire une nouvelle sous la contrainte d'un thème et de six mots clés.

La nouvelle littéraire se traduit par un bref récit fictif qui fait appel à la réalité et qui, la plupart du temps, ne comporte pas de situation finale. Généralement, elle se termine avec un dénouement inattendu qu'on appelle la chute mais ce n'est pas systématique.

Les mots imposés, suivant leur nature, peuvent s'accorder en genre et en nombre ou se conjuguer. Ils sont à utiliser en totalité et dans l'ordre que vous souhaitez. Merci de les faire apparaître en choisissant une police en caractère gras, italique ou souligné.

Le genre littéraire et la forme (poésie, dialogue ou monologue, chronique, récit, conte…) sont libres.

La longueur minimum d'une page (250 mots) serait appréciable.

Je vous propose donc de composer entre le dimanche 06 octobre 2024 et le dimanche 13 octobre 2024.

Sur le thème du ou des Appareil(s), voici les six mots pour l'accompagner : Obsolescence, Écrou, Naissance, Graisse, Professeur, Piège.

Je vous souhaite une belle semaine et de l'imaginaire à fleur de mots sur vos feuilles d'Automne.

Merci de vos nombreuses contributions et à bientôt de vous lire.

Jean-Michel

Commentaires & Discussions

Et le monstre la broyaChapitre5 messages | 2 mois

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