MAI 2020, GMT+2: la nouvelle ère. 

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Cela arrivera dans le monde d'après.

Le monde tel que toi et moi ne l'avons encore jamais connu.

Il sera probablement aux alentours de dix-neuf heures, sur le fuseau horaire d'une nouvelle ère qui reste à bâtir et je serai probablement en retard, car nouvelle époque ou pas, il est évident que j'aurais un mal fou à changer mes vieilles habitudes.

Il fera encore jour losque je sortirai du métro que je n'aurais pas utilisé depuis deux mois.
Dehors, les gens seront distants, parfois souriants lorsqu'ils ne seront pas cachés derrière tous types de masques ou plus métaphoriquement, derrière tous types de peurs encore trop ancrées dans les mémoires.

Dans l'air planera l'odeur de la liberté avec un fond de gel hydroalcoolique tandis que j'arpenterais avec une joie infinie des rues pourtant ni belles, ni laides, que j'ai tant négligée du regard autrefois.

Je dis que j'arpenterais les rues, car j'imagine que c'est moi qui insisterai pour venir à toi, bien sûr.

Donc pendant que tu m'attendras, occupé à je ne sais quoi, je marcherais à travers ce décor post-pandémie, sous la chaleur de l'été qui s'annonce et le soleil des fins de journées qui s'allongent un peu plus chaque jour.

La dernière fois que je t'ai vu, il faisait nuit avant même les fins d'après-midi.

Je m'en souviendrai.

Et j'aurai d'ailleurs une pointe de regret à l'idée de ne pas avoir l'occasion de te retrouver dans un de ces bars, animé, parfois trop, que nous aimions fréquenter juste pour le plaisir d’êtres seuls et pourtant en communauté car nous étions de ceux qui aimaient être en société.

Aimerons-nous encore cela dans ce nouveau monde ? Quelque chose me dit que oui.

J’irai acheter deux bouteilles de vin, disons blanc si ça te vas, dans le magasin en bas de chez toi.
Mais bien sûr, ça tu ne le sauras pas.

Je frapperai chez toi, alcool en main, sourire au lèvre, nervosité enfouie dans tous les organes de mon corps.
Que veux-tu, il y a des choses qui ne changent pas.

J’entendrai le bruit de tes pas à travers ton couloir. Puis tu ouvriras la porte.

Je ne peux pas te décrire avant de te voir, ni être précise au sujet de ce à quoi tu ressembleras.
Ton visage est malheureusement trouble dans ma tête en ce moment.
Et j’ignore si tu as changé. Ou pas.

Mais il y aura un sursaut à l’intérieur de moi, suivit d’un sourire.
J’espère également que ce sera le cas pour toi, quand tu me verras postée sur ton seuil, deux bouteilles à la main, comme un flashback de notre monde d’antan et pourtant pas exactement le même, parce que rien n’est jamais pareil.

Et ce sera là.
Ce sera pile ce moment là, à cet instant précis, qu’on se rencontrera pour la sixième fois.

Pour la sixième fois, en mai 2020, à quelques jours de mon anniversaire, je reproduirai le même cinéma,. Celui que tu connais par coeur ou je te dis:
_ Bonsoir monsieur, Céline, enchantée.

Et pour la sixième fois, sans réfléchir, tu me répliqueras:

_ Emile, ravi de vous rencontrer. Je vous attendais.

Puis tu seras poli, tu me prendras les bouteilles des mains et me demanderas de rentrer.

Je ferai semblant de découvrir l’appartement que j’ai déjà visité plusieurs fois dans ma vie d’avant-confinement, pourtant.
Mais je n’aurai pas de mal à faire semblant. Cela me paraîtra tellement loin.

Il y aura un peu de gêne au départ.
Deux êtres qui se cachent, s’esquivent dans la parole et dans les mouvements. Agir en toute normalité. Voilà ce que nous feront, d’abord debout, puis assit dans ton canapé.

Premier verre de vin et pour moi première cigarette depuis une éternité.

Et puisqu’un verre n’est jamais suffisant, alors un second, puis un troisième.
J’aurai la consommation d’alcool et de cigarettes si facile, tu en riras certainement. Mais ça ne m’énerveras pas, car je me dirai, au fond, que tu auras raison de te moquer.
J’aurai la sensation, peut être partagée, de parler au plus familier des étrangers, toi que je n’ai pas vu et pourtant jamais vraiment quitté. Toi à qui j’ai écris, toi que j’ai entendu et pourtant dont l’aspect physique sera entièrement à redécouvrir. Je sais que mes yeux ne s’en priveront pas, d’ailleurs, il faudra t’y attendre.
Mes sens t’appartiendront, de plus en plus attaqués par toutes les vapeurs, toutes les substances.
Il n’y aura que toi et moi.
Je ne dis pas nous, car tout est si compliqué n’est-ce pas ?
Aucun de toi ni moi n’a encore suffisamment bû pour aborder ce thème là.

Mais il n’y aura plus que toi et moi, c'est l'essentiel à retenir.

Enfin surtout toi, parce que j’aurai cette fâcheuse tendance à vouloir m'effacer.

Et tandis que le temps passera, le tabac se consumera et l’alcool affluera, des lapsus se feront, les langues se délieront.

Nous y arriverons, j’y crois.
Oui, on en parlera.

Après les rires et les multiples histoires.

Parce qu’il faut poser un mot sur les choses, c’est toi qui m’a fait comprendre ça.
Parce que si on ne parle pas, mes démons tapis dans l’ombre s’en serviront contre moi. Et je refuse de souffrir émotionnellement juste pour ça.

Alors j’espère qu’on parlera, enfin surtout moi, parce que je serai celle qui devra se justifier, celle qui devra évacuer, celle qui devra te demander tant de choses en réalité. Tout ce qui m’aura hanté durant ses deux mois et qu’il me faudra te faire comprendre, quelque fois savoir si tu as partagé les mêmes sensations de ton côté.

J’aurai l’intention de tout régler, tout dire, en un soir, parce que je serai pressée.

Tu es celui que j’attendais le plus de retrouver, pas à cause de la difficulté à tenir la distance, mais parce que si certains seront toujours là, toi ce n’est pas sûr. Toi tu n’es pas une évidence.

Ce soir là, il y aura cinquante pour-cent de chance pour que tu sois le premier échec de ma vie d’après.
Cinquante pour-cent de chance pour que tu sois mon premier nouveau risque à prendre dans la nouvelle ère.

Mais tant que l’on n’y sera pas, je n’aurai pas tes réponses.

Il faut attendre encore quelques jours,
Quelques semaines peut-être.

Il paraît que rien ne se passe jamais comme on l’imagine, quel imprévu as-tu préparé pour nos retrouvailles?

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