Le répit
Alors qu’il prenait son petit déjeuner dans le salon, Ania entra et prit place en bout de table. Ils échangèrent un regard alors qu’Irina apportait une panière de petits pains au lait. Un peu mal à l’aise après ce qu’il s’était passé la veille. Que devaient-ils faire ? Les joues d’Ania rosissaient et son cœur s’emballait. Elle renversa, par mégarde la théière et s’empressa d’éponger. Paul ne put étouffer un fou-rire. C’est à ce moment qu’Igor entra pour annoncer la visite de Jean. Paul lui demanda de le laisser entrer et de l’installer au salon.
—Voulez-vous que je vous laisse entre vous ? demanda Ania, nerveuse.
—Non, restez. Vous êtes ma secrétaire, n’est-ce pas ?
Jean entra et les salua.
—Je suis désolé de vous déranger de si bonne heure, Paul, mais nous avons un cadavre. J’ai, de nouveau, besoin de votre aide. Le boucher aux griffes semble de retour.
—Je prends mes affaires, veuillez m’attendre dans le hall.
Ania se leva et demanda si elle pouvait les accompagner. Paul hésita un moment, sentant qu’elle était encore trop fragile, mais accepta tout de même. Elle passa sa longue cape et posa un grand chapeau sur ses cheveux blonds tressés. Le cocher les emmena jusqu’à la morgue et l’équipe se dirigea dans une grande pièce en rénovation. Paul posa ses effets sur une table et enfila son tablier ainsi que ses manchons blancs. Ania ouvrit un cahier et se prépara à écrire tout ce que le médecin allait dire.
—Par tous les saints, ce n’est qu’une enfant ! dit-il d’une voix grave. Je dirai entre quinze et dix-sept ans. Le mode opératoire à l’air d’être identique. Elle porte des griffures sur les avants bras, ainsi que sur la cuisse gauche. Celles-ci sont profondes, linéaires. Dans son abdomen, une branche assez fine est enfoncée et ressort par le dos. Sur sa tempe droite, une légère blessure suite à une chute. Je vais ouvrir l’abdomen.
Paul saisit son scalpel et fendit la peau bleuie. Il l’inspecta minutieusement et son verdict tomba : la branche avait bien causé la mort. Il retourna la pauvrette et ausculta l’ensemble du corps.
—Il y a un hématome sur l’arrière du genou qui remonte jusqu’au sommet de la cuisse. Elle devait être assise lorsque notre boucher l’a tiré pour la faire tomber. Qui était-elle ?
—Une lingère. Elle travaillait pour l’opéra.
—Que faisait-elle dans la forêt ?
—D’après ce que nous avons trouvé sur place, elle ramassait des écorces.
—Des écorces ? Pour quelle raison ?
—Probablement pour les décors ! J’ai fait demander au directeur de venir au poste rapidement. Elle n’avait pas moins de cinq gros paniers remplis d’écorces d’arbres. Certains autour d’elle étaient complètement dépouillés. Son couteau a été retrouvé à plus de dix mètres de la scène du crime.
—Aurait-elle pu être assise sur un tronc d’arbre ?
—Non, pas à ma connaissance.
—C’est étrange ! Ce long hématome apparaît comme si elle avait été traînée alors qu’elle était assise. J’aimerais voir le lieu où vous l’avez trouvé.
Jean accepta et leur fit signe de le suivre. Ils montèrent tous trois dans le fiacre et partirent pour la forêt. Paul aida Ania à descendre et lui remonta son col afin qu’elle ne prenne pas froid. Jean leur montra l’endroit exact où le corps avait été trouvé. Paul scruta l’ensemble du terrain, aucun tronc d’arbre ne jonchait le sol. Il n’y avait que les traces de pas de la malheureuse. Les paniers avaient été vidés. Paul reconnut cet endroit, c’était celui sur lequel Vladimir avait été pourchassé.
—Paul, interpella Ania. Et si elle n’était pas assise sur un tronc d’arbre mais sur une branche ?
—Pourquoi serait-elle montée à un arbre ?
Ania pointa du doigt une large branche sur laquelle un morceau de tissu était encore accroché.
—Fabuleuse observation, Ania ! s’exclama Paul en baisant les mains de sa secrétaire.
—Mais comment notre meurtrier aurait fait pour la tirer de là-haut ? Questionna Jean. A moins de mesurer plus de deux mètres de haut, cela me paraît improbable.
Les deux hommes regardaient d’un air dubitatif l’arbre en question, tandis qu’Ania en faisait le tour. Un cri les détourna subitement de leur méditation. Ils se ruèrent en direction de la jeune femme qui était terrorisée, les mains plaquées sur la bouche.
—Qui a-t-il, Ania ? s’enquit Paul.
Ania montra un monticule d’écorces empilées avec, au sommet, de grandes branches qui faisaient penser à des cornes de cerf. Il mesurait plus de deux mètres de hauteur. Ses longues branches ressemblaient à des bras et au sommet, on devinait une tête avec deux trous pour les yeux. C’était terrifiant. Les deux hommes furent stupéfiés devant ce monstre venu de nulle part. Paul et Jean en firent le tour sous les yeux apeurés d’Ania. Ce tas de bois avait un air de bête féroce.
—Liéchi ! soupira la jeune femme.
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