Avant le retour de papa, je me rends avec ma mère au centre participatif du quartier pour une heure d'aide à la vie communautaire. Je m'occupe des enfants d'un technicien photosynthétiseur, et en échange, ce dernier entretient notre maison symbiotique. Maman, de son côté, doit faire le point sur les commandes à réaliser pour le jardin collectif. Chaque mois, une équipe de quartier s'occupe du potager avant que d'autres voisins ne prennent le relais. Bientôt, ce sera mon tour, dans mon logement partagé. Un sourire se dessine sur mon visage, comme j'ai hâte !

Après avoir terminé avec les plus jeunes, je me dirige vers les jardins. L'image d'un véhicule doté de très longs bras vaporisant une pluie chimique me revient en mémoire. Je frissonne. Ma poitrine se serre. Pourquoi y repenser ? Ce n'est qu'un rêve...

Maman me hèle et me sort de cette vision dérangeante. Quelque chose semble bloquer le goutteur, il faut que j'aille vérifier le raccordement à la réserve pluviale. J'ouvre la cuve, glisse ma main en direction de la grille de filtration. Je sens un amas gêné l'entrée de l'eau dans le tuyau. Je l'attrape et le sors, un chiffon capteur d'algues. Quelqu'un a dû l'oublier lors du nettoyage de la cuve.

Avant de rejoindre ma mère, je m'assure que rien d'autre ne gêne. J'aimerais bien vérifier les réglages mais ce n'est qu'une fois arrivée en maison communautaire que je serai formée à entretenir le réseau d'irrigation. L'université reste sur les grands principes théoriques, rien ne vaut le partage d'expérience et les mains dans la terre pour la partie pratique !

À notre retour, papa est déjà là. Il vient tout juste de poser ses valises. Maman l'invite à prendre une douche tandis que nous nous activons en cuisine. Lorsqu'il redescend, nous sommes attablées, prêtes à partager le repas d'anniversaire. Pour l'occasion, maman a emprunté des lampes aériennes, elles flottent autour de nous en diffusant une lumière cuivrée très chaleureuse.

— Vous vous êtes démenées pour moi ! Après trois jours de casse-croûte, je crois que ce dîner aura un goût encore plus exceptionnel !

— Allez, installe-toi, suggère ma mère en déposant un baiser sur la joue de mon père.

Arrivé au dessert, les sphères luminescentes s'atténuent et nous apportons le gâteau en entonnant le traditionnel "Joyeux anniversaire". Je dépose un sac de tissu près de l'assiette de papa avant d'aider maman à couper le gâteau.

— Je suis trop curieux, j'ouvre ! s'exclame mon père.

— Chéri...

Ma mère fait les gros yeux mais devant le regard enfantin de mon paternel, elle cède rapidement.

— Soélie, tu es d'accord ? me demande-t-il par politesse.

— Ouvre !

Il délace le ruban puis ouvre le sac pour en faire sortir une boîte noire avec un dessin stylisé d'araignée.

— Comment avez-vous fait ? s'extasie mon père. Ces fils imitation toile d'araignée sont encore en expérimentation, il va falloir attendre au moins un mois avant d'en trouver dans le commerce. J'ai hâte de voir si cela permet de résoudre notre problème de prise au vent, les câbles n'arrêtent pas de céder. Hallek suggérait de construire un immense mur paravent. Il arrêtera de nous bassiner avec cette idée absurde qui ne fera que dénaturer le paysage, sans parler du coût en ressources bien trop élevé ! Je ne comprendrais jamais comment raisonne ce type !

Il se lève et embrasse fougueusement ma mère avant de déposer un baiser sur mon front. Je suis aux anges ! Nous finissons la soirée par des jeux de société. Un air de nostalgie m'enveloppe déjà.

Lorsque je me faufile dans les draps, je repense à mon cauchemar de la veille. Pourvu qu'il ne revienne pas cette nuit ! Je déteste ce monde !

Puis j'essaie de me raisonner : combien de fois ai-je fait un rêve deux nuits d'affilée ? Jamais.

Un peu rassurée, je m'endors avec l'image du sourire radieux de mon père.