Chapitre 3 : Notre-Dame de douleur

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                  III. MATER DOLOROSA
                 « Notre-Dame de douleur »

Le temps semblait s’être arrêté sur la place Jean-Paul II. Les principales rues étaient désertes, les abords des monuments aussi. Pas un seul bruit, aucune voix, pas même un klaxon ne venait perturber le calme qui s’était installé.

Dans l’enceinte de Notre-Dame, le fameux silence monacal propre à tous les lieux de culte régnait en maître. Dans l’une des tours, un prêtre s’affairait à ranger de vieux documents. Le poids des années semblait plus lourd à supporter que la charge de papier.

Seuls quelques filets de lumière du soleil couchant venaient l’éclairer. Le vieil homme posa un tas de parchemins poussiéreux sur une petite tablette. Il releva une manche de sa soutane afin de s’essuyer le front et souffla de fatigue. La journée avait déjà été bien longue pour lui et n’était pas encore tout à fait terminée. Un bruit résonna dans la tour. Il leva la tête un instant, ne remarqua rien et reprit son activité.

Presque aussitôt, un rire angoissant retentit dans l’ensemble de la tour. On aurait dit celui d’un fou. Le prêtre sursauta et laissa tomber la pile de documents. Apeuré, il se cacha entre le mur et une grande étagère. Non loin de lui se trouvait une porte qui donnait sur un petit escalier. Un bruit de grattement lézarda les murs, comme si des centaines de rats se frayaient un chemin dans la tour. Sauf que les rats, ça ne rit pas. D’ailleurs, il eût été préférable, pour le prêtre, de se retrouver face à une horde de rongeurs. Il était à mille lieues d’imaginer, en se levant ce matin, qu’il ferait la rencontre la plus improbable qui soit.

Il distingua même plusieurs rires. Un premier nasal et mesquin ; un deuxième lent et grave puis un dernier rauque et sinistre. Un filet d’angoisse lui parcourut le dos et les rires se changèrent subitement en chuchotements …

– Hin hin hin… bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? commença le mesquin.

– Oh oh oh… je serais partant pour un massacre, voilà des siècles qu’on n’a rien fait. C’est juste histoire de se mettre en jambes, chuchota la voix grave.

– Bonne idée ! Hin hin hin ! C’est vrai que passer des siècles enfermé dans cette minuscule cellule me laisse quelques courbatures mais c’est bon ! Bon de se sentir enfin libre ! Tu proposes quoi ? Deux ? Trois cents personnes ?

– Pourquoi ne pas voir tout de suite les choses en grand ? Pourquoi pas des milliers ? Oh oh oh !

– Gourmand va ! Hin hin hin ! Laisses-en pour les autres ! ricana la première.

– Chut… Messieurs, conservez votre calme… point n’est besoin de s’enflammer, vous l’aurez votre massacre. Faites-moi confiance ah ah ah… Interrompit la voix rauque.

Deux lueurs flamboyantes s’allumèrent dans le regard du troisième quidam, permettant ainsi d’entrevoir les horribles visages des intrus suspendus au plafond tels des chauves-souris, pour s’éteindre presque aussitôt.

– Nous avons été rappelés et sauvés par le maître… il s’agit de ne pas le décevoir… s’éparpiller dans le désir ne ferait que retarder notre mission, reprit la même voix.

– Hin hin hin… et tu comptes faire quoi Azazel ?

– … Chaque chose en son temps… trouve d’abord une relique, s’il y en a ici, ensuite nous souillerons l’innocence et la vertu… Loukas, commence à sonder le lieu. Plus vite nous mettrons la main dessus, plus vite nos pouvoirs reviendront.

Le prêtre sentit ses forces, ses espoirs et son espérance l’abandonner. Il faut savoir que les pouvoirs des démons tels que la recherche de Loukas ont un impact sur les mortels même s’ils n’en identifient que rarement la cause.

- Rien !

- Comment « Rien » ?!

- Il y a rien d’assez sacré ici. Va falloir aller voir ailleurs.

- Cela devra donc attendre, restons vigilants. Nous ne sommes pas seuls ici... répondit Azazel toujours d’une voix atrocement calme.

Se croyant repéré, le prêtre tenta de s’extirper de sa cachette le plus silencieusement possible avec la panique au ventre et l’esprit chamboulé. Il tremblait. Ce qu’il venait d’entendre lui avait glacé le sang. La présence de ces êtres maléfiques avait de quoi donner ce genre de sensation. Alors que l’obscure conversation reprenait, l’homme d’église, rasséréné, glissa à nouveau dans sa cachette.

– Et nous ne saurions faire attendre le maître.

– Tu crois qu’ils ont envoyé quelqu’un ?

– Évidemment Shemêhaza, ils envoient toujours quelqu’un ! Connaissant la maison, ils ont dû nous envoyer le séraphin… Ah ah ah ah ! Nous lui avons déjà échappé une fois… ce sera un jeu d’enfant. Pas d’inquiétude là-dessus. Quant à toi Loukas, je te prierais de la jouer fine sur ce coup. Si ta désobéissance envers Dieu est légendaire, le diable reste moins patient et est plus cruel que lui. S’il t’a délivré avec nous… c’est qu’il a un rôle particulier pour toi…

– … Ouais chef… dit Loukas qui ne semblait pas tout comprendre.

– «Shem »… ton pouvoir nous a permis de traverser les nuages de descendre sur terre… veille à ce que nous y restions dans les meilleures conditions.

– … Comme si j’avais envie de retourner là-haut. Et toi, pourquoi t’es là ? demanda Shemêhaza.

– Moi, je sais quoi faire… regardez-vous, à peine arrivés, vous ne cherchez qu’à vous goinfrer. Cela dit je vous le concède, j’ai faim moi aussi. Descendons à présent, nous devons nous préparer pour sortir. Je vous rappelle que nous sommes ici incognito…

Les trois renégats tombèrent au sol en chœur. Azazel était le plus imposant des trois, Il portait une tunique antique sous laquelle se dessinaient les formes sculpturales d’un corps particulièrement musclé. Il avait le visage anguleux, la peau pâle et décharnée et possédait de longs, fins et secs cheveux châtain-foncés qui[Ui8] tombaient sur ses épaules. Les yeux en amande[Ui9] ; ses iris étaient rouge vermillon comme ceux de ses semblables. Ses pupilles s’illuminaient ou non selon son humeur, variant du noir à l’or. Sous cette impressionnante apparence, suintait sa concupiscence.

Loukas était vêtu d’une cape, le visage caché dans l’ombre d’un grand capuchon, on ne distinguait qu’à peine sa corpulente silhouette. Ses yeux n’étaient que deux points blancs perdus dans un trou noir. On devinait son état de conservation à ses mains en lambeaux et à ses protubérances osseuses dans le dos qui semblaient être les vestiges d’énormes ailes. Le temps ayant eu raison d’elles, ces dernières s’étaient atrophiées... Sous son apparence cauchemardesque, il dégoulinait de sueur et de gourmandise.

Shemêhaza, était menu, maigre, chétif. Ses longs cheveux roux lui donnaient des traits féminins, bien qu’asexué tout comme ses congénères. Le sourire inexistant et les joues creuses, il était celui qui, même après les siècles passés dans sa cellule, ressemblait le plus un être humain. Pourtant sous cette apparence presque charmante, se cachait une créature sanguinaire ; prêt à tout pour installer l’horreur dans la joie.

Quand ils se relevèrent dans la pénombre, leurs rides creusées tels des canyons asséchés avaient totalement disparus, alors leurs traits secs et vieux passèrent de l’immondice à une peau lisse et ferme. Les haillons qu’ils portaient se virent remplacés par des tenues propres et actuelles.[Ui10] Leurs ailes, du moins ce qu’il en restait, se reconstituèrent puis s’évaporèrent pour avoir un air humain.

Le prêtre, caché, resta bouche bée, comme pétrifié. En un instant, ils étaient passés d’une vieillesse antique à une relative jeunesse. Seuls leurs regards les trahissaient. Ils avaient des yeux envieux emplis de colère. Ils étaient prêts à enfin sortir et à se fondre dans la masse. L’un après l’autre, ils se dirigèrent vers la petite porte qui donnait sur un escalier. Shemêhaza suivi de près par Loukas s’y engouffrèrent, passant devant le prêtre sans même y prêter attention.

Ce dernier ne comprit pas, il aurait juré avoir entendu distinctement trois voix et vu autant de silhouettes. Il se pencha pour regarder par l’ouverture quand il ressentit quelque chose lui agripper l’épaule…

– SALUT ! Tu sais que ce n’est pas poli d’écouter les conversations des autres ? Ah ah ah !

L’homme d’église, se retourna face au troisième, le souffle littéralement coupé. Tremblant de tout son être, il tenta, sans succès, de réciter une prière :

– Inomine…Pat...Patri ! Et… Fi… Fi… Fili…

– Tu es sérieux là ? ? Ah ah ah ah !

Azazel le frappa violemment au visage puis le poussa dans l’encadrure de la porte. Le prêtre rebondit alors sur Loukas qui l’attrapa par le col, lui hurla dessus de sa voix caverneuse, à l’en décoiffer, et l’envoya valser dans les bras de Shemêhaza. Ce dernier lui asséna une série de claques violentes et le jeta dans les escaliers. L’homme d’église dévala les marches dans un fracas qui résonna dans toute la cathédrale. Azazel se lança à sa poursuite dans un rire démoniaque. Secondé par ses complices, ils poursuivaient le pauvre prêtre comme pour l’achever. Une fois en bas, ils s’arrêtèrent sur le corps inerte de l’homme qui gisait sur le sol.

– Ah ah ah ah ah!

– Partons maintenant, nous avons du pain sur la planche.

– Quel pain ? Quelle planche ?

– Toujours le mot pour rire toi ! Ah ah ah ah !

Ils partirent en direction du parvis. Petit à petit, le rire infernal d’Azazel s’évanouit, laissant place à des bruits de pas pressés venant de l’autre bout de la cathédrale.

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