Suivant son regard, Alban jeta un œil vers son espadon contre le mur. Il plissa le front en revenant vers Iluth. Il ne comprenait pas.

– C'est à cause de toi, maugréa-t-elle encore en bavouillant dans les poils de son menton. Ça fait quoi, presque un mois que je suis là, maintenant ! Et je suis toujours en licorne ! Regarde, je sais même pas marcher sur mes quatre pattes, je suis pa-thé-tique, comme une grosse tique. Héhé.

Elle grimpa maladroitement sur le matelas, hissant son poitrail léger, son ventre ferme puis sa croupe rebondie, avant de s'étaler sur les jambes d'Alban comme à son habitude.

– En licorne ? releva celui-ci.

– Mais oui, ça fait déjà trop longtemps. Lilith et Asmodée doivent bien se gausser, là-haut, les salissons ! Et cette pestiférée d'Abrahel, elle doit me casser tellement de sucre sur le dos que bientôt, j'aurai même plus de colonne vertébrale.

Alban éclata de rire lorsqu'une image incongrue apparut dans son esprit, aidée par l'effet puissant des amanites. Il ne savait pas qui étaient Asmodée et Abrahel, mais c'étaient certainement des licornes beaucoup moins cocasses que celle qu'il avait sous les yeux. Il était heureux d'être tombé sur cette bougresse d'Iluth.

– Sapajou ! éructa-t-elle soudain comme s'il s'était agi de la pire insulte connue. Toute cette histoire traîne beaucoup trop. Il faut que je me dépêche de te tuer !

– D'accord, d'accord, sourit Alban en pensant que cette petite bestiole n'aurait même pas été capable de le faire tomber par terre.

Il tapota le matelas de la main, l'invitant à venir près de lui. Elle rampa à ses côtés, les pattes à moitié prises dans les draps rugueux.

– Ah, et ce maudit matelas, s'exclama-t-elle encore. Aussi inconfortable et puant qu'une vieille semelle ! Mais quand je t'aurai tué, je n'aurai plus besoin d'y dormir, ce sera déjà ça ! C'est bien pour tes beaux yeux que je me vautre dessus, l'humain !

– Oui, oui, calme-toi, tempéra Alban. Regarde, pose ta tête là (il l'écrasa d'une main contre l'oreiller), étends les pattes et tais-toi. J'ai sommeil et contrairement à certaines femelles, je me lève à l'aurore demain.

La licorne dit encore quelques phrases emmêlées de mots, étouffées par l'oreiller, avant d'en sortir le nez et de bafouiller doucement :

– Il faut que je te tue. Il faut que je te tue très vite. Avant de ne plus pouvoir le faire.

Alban se tourna de l'autre côté, ronchonnant pour lui-même. L'effet des champignons durait un peu trop longtemps. Il était perclus de fatigue. Si elle ne se taisait pas d'ici quelques minutes, il la bâillonnerait avec cette maudite étoffe qui lui avait coûté si cher.

– Qu'est-ce que diront Lilith et Asmodée et tous les autres, si je reste là comme une greluchonne ? bredouilla la licorne derrière lui. Tu es laid comme un pou, de toute manière. Ce sera plus une corvée qu'autre chose.

– Oui, oui, répondit le chasseur. C'est ça. Calme-toi, morbleu ! Compte les moutons, ça te fera du bien.

– Te tuer… murmurait la créature derrière lui. Te tuer… Il faut que… (Un silence.) Il le faut. Maudite Lilith !

Alban l'entendit renifler. Mais, désireux de ne pas relancer le moulin à paroles caché entre ses deux oreilles pointues, il l'ignora royalement tandis qu'elle se mettait à pleurnicher comme une enfant.

– Maudite Lilith… maudite Lilith… Pourquoi a-t-elle voulu ça ? Pourquoi avec toi ?

– Dors, dit-il seulement en fermant les paupières. N'y pense plus. Tout ira mieux demain.

– Tout ira mieux demain… répéta-t-elle d'une petite voix, déjà presque éteinte. Oui… il le faut.