Chapitre 80
YOUHOUUUU on en est au chapitre 80, à plus de 5 heures de lecture ! Et vous êtes encore là ! Truc de ouf, merci et accrochez-vous, c'est bientôt fini ♥ (oui je sais faire des coeurs niais, maintenant... Merci Empipi)
Là, près de l'escalier, se tenait l'enfant caché dans l'ombre d'une encoignure. Immobile, le visage sculpté par un clair-obscur sinistre, le front baissé, il les fixait. Son regard bleu avait disparu, englouti par des iris verdâtres et dilatés ; et dans ce brasier inhumain dansaient les flammes des bougies reflétées par milliers. Les pupilles n'étaient plus que des fils presque invisibles, qui transperçaient ces yeux de haut en bas comme des coups de scalpel.
La créature exsudait le démon par tous les pores de sa peau.
Alban eut un spasme de frayeur qui le laissa raide et pâle comme un linge ; à côté de lui, Iluth accusa le coup. Jamais elle n'avait ressenti une telle répugnance face à l'une de ses sœurs.
L'impression passa vite et la laissa de nouveau impavide, mais la vérité venait de faire surface. Cela faisait bien trop longtemps qu'elle vivait parmi les humains. Un peu plus et elle deviendrait, elle aussi, une larve crasseuse aussi bigote que superstitieuse…
Face à eux, le gamin qui n'en était plus un bondit de côté et dévala les premières marches de l'escalier.
Iluth savait qu'il était presque impossible pour un démon de s'extirper d'un corps dans une telle situation. La peur, le défi, l'urgence et toutes les émotions fortes faisaient mauvais ménage avec la concentration et le doigté requis pour se désincarner.
Alban se jeta à la suite du succube exactement en même temps que la licorne, qui manqua de rouler jusqu'au bas de l'escalier.
– Laisse ! Tu vas me gêner ! grinça-t-elle en lui damant le pion.
Au terme d'un bond de cabri aussi vif que puissant, elle écrasa le fuyard sous son poids et les fit basculer tout deux jusqu'au sol de terre cuite, dur et glacé, qui introduisait la salle de l'auberge.
Heureusement, chez les hommes, la nuit était reine et l'hostellerie déserte à cette heure. Iluth estima à quelques minutes le temps nécessaire au tenancier ou aux employés pour émerger du sommeil et parvenir à l'origine de ces bruits.
C'était plus que suffisant.
– Qui es-tu et qu'est-ce que tu viens faire là ? susurra-t-elle à l'oreille de la petite humaine avec une voix sinistre.
Celle-ci se débattit, en vain. Cet hôte était bien choisi pour infiltrer un duo aussi hétéroclite que le leur, nettement moins pour se défaire d'une licorne enragée postée sur son dos.
– Tu ne t'en sortiras pas comme ça, Iluth, siffla le démon. Même de là-haut, on voit bien à quel point tu te pâmes pour cette misérable proie.
– Abrahel, cracha la succube.
Elle aurait reconnu ce timbre froid et reptilien entre mille.
– Tu n'es vraiment qu'une putain. C'est ma proie qui est là et tu viens me la voler sous mon nez ? Es-tu folle ? Le jeu est sacré ! Depuis quand tiens-tu tête à Lilith ?
– Iluth ? héla Alban depuis le haut de l'escalier. Finis-en avec ce monstre ou c'est moi qui viens lui trancher la gorge.
Immobile, le regard sombre et les épaules raides de terreur, il observait la scène sans se décider à bouger, et sans entendre leurs chuchotis emplis de rage.
– Lilith ne peut rien contre Samaël, ricana Abrahel dont le cœur battait pourtant à grands coups désordonnés sous les sabots du quadrupède. Notre pauvre roi s'inquiète pour toi, sale petite traînée.
– Pour moi ? persifla sa sœur démoniaque en arrondissant le dos. Comme c'est gentil à lui. Il aurait mieux fait de s'inquiéter pour la parvenue qu'il a envoyée me voler ma proie.
– Il a peur que l'homme ne te corrompe, prononça l'autre avec délectation.
Iluth sursauta. Dans un accès de fureur, elle referma ses mâchoires sur la nuque de l'enfant et le retourna sur le dos d'un coup sec qui déchira sa peau tendre.
Mais une fois dressée au-dessus de lui, les yeux étincelants et ses crocs infernaux prêts à jaillir de ses gencives, elle ne trouva rien à redire.
– Et entre nous… glissa encore sa victime. Nous savons toutes deux que c'est déjà chose faite, n'est-ce pas ?
Silence. La licorne la fixait, gueule entrouverte sur son souffle haletant.
– Ma très chère sœur, clama soudain Abrahel en haussant la voix afin d'être sûre qu'elle parvienne aux oreilles d'Alban. Ma chère sœur démoniaque. Cela fait si longtemps ! Je me ravis de te voir ici.
Étouffée par la haine à un point tel qu'elle en devenait aveugle, Iluth cessa de réfléchir. Elle referma ses mâchoires sur le visage de la gamine androgyne et arracha tout ce qu'elle pouvait y attraper. La peau des joues partit avec le nez, laissant apparaître la chair et l'os des pommettes enfantines.
– Truie ! éructa-t-elle en crachant le masque sanguinolent avant de s'abattre à nouveau sur sa victime. Misérable vipère. Je te mangerai les tripes quand j'en aurai fini avec ta chienne de vie !
Sous elle, le corps fut secoué de soubresauts. Un coin de sa cervelle devina qu'Abrahel n'avait pas prévu d'être ainsi mise à mort par sa propre sœur ; son âme tentait de s'échapper de son hôte avec la force du désespoir, mais c'était trop tard. Un corps agonisant ne laissait jamais partir un esprit. La douleur le maintenait piégé pour l'éternité.
– Crève ! fulmina la licorne en s'acharnant frénétiquement sur sa proie. Crève, enflure. Depuis le temps que tu mérites une telle fin, c'est moi qui ai le bonheur de t'en faire profiter !
Délaissant ce qui n'avait plus grand-chose d'humain ni de figuratif, elle fit volte-face et expédia sa semblable dans l'au-delà d'un coup de sabot. Droit dans le menton de l'hôte, sa frappe fit partir la tête en arrière avec une telle force que son crâne heurta durement le sol. La nuque émit un craquement définitif.
Haletante, parcourue de frissons, Iluth regagna progressivement une vision claire.
– Tu as mis le temps, lâcha Alban à voix basse avant de descendre les marches à pas de loup.
Il observa le cadavre quelques secondes, les traits marqués de répugnance, puis leva sa lame d'un geste presque négligent et le trancha en deux.
– On ne sait jamais.
Silencieuse, Iluth regardait les restes d'Abrahel. Celle-ci était dans les bras de Satan, le dernier amant. Une belle phrase pour qualifier le néant dont rien, ni personne, ne revenait jamais.
Elle venait de tuer l'une de ses propres sœurs, et ce pour un simple humain.
Alban se pencha vers elle. Une ombre se terrait dans ses yeux en amandes.
– Iluth. Pourquoi ce démon t'a-t-il appelée sa sœur ?
Atterrée, la succube fixa la flaque de sang noir qui s'agrandissait sur les tomettes de terre cuite. Au loin résonnait un pas ensommeillé. Celui de l'aubergiste ou d'une servante qui, enfin, s'étaient décidés à se lever pour chasser le chat ou le saoulard responsable des bruits.
Elle m'a appelée ainsi parce que c'est la vérité.
Il aurait été si simple de dire ces quelques mots.
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