Souvenir
Je vous parle d’un temps…oui je sais je plagie, un autre l’a chanté mais moi je vais vous raconter qu’à l’école, mon école du temps où je portais des nattes avec des nœuds de rubans rouge à pois blancs, je me rendais à pied. Qu’il me fallait d’abord franchir le bas de ma petite et chiche rue.
Tout au coin du boulevard un café attirait tous les poivrots du quartier qui de boire et de boire du cidre et du vin urinaient souvent en ligne le long du mur. J’en avais vraiment peur surtout du marchand de peaux de lapin. Heureusement il ne venait que le mardi, le reste de la semaine il incarnait les menaces de maman pour toutes les bêtises commises, c’est dire que nous filions droit ma sœur et moi ! Ce premier danger esquivé je faisais une halte pour caresser Bayard, le vieux percheron des éboueurs ce qui me valait en arrivant en classe des remarques récurrentes du style « va te laver les mains, tu sens le cheval ».
Puis je passais respectueusement devant le grand portail du marquis et de la marquise de Guinebretière. Parfois j’avais la chance de les voir sortir dans leur superbe voiture (une Ariane) objet de mes rêves ; je m’étais promis qu’un jour je serais riche et que j’en offrirais une comme ça à mon père. J’ai éprouvé de la peine quand un jour de novembre j’ai trouvé l’encadrement du portail emballé dans des draperies toutes noires avec un blason dont le monogramme était barré d’un crêpe avec des plumes. A cette époque la mort avait sa place dans la rue et les gens se signaient par respect. Ensuite je n’ai plus vu la belle berline.
Mes parents possédaient quant à eux une Rosengart d’un autre âge que mon père garait dans le garage situé à droite en descendant la rue. Il y louait un emplacement exprès pour elle. Ça sentait toujours l’huile, les mains pleines de cambouis du garagiste me rebutaient mais je n’oubliais pas de lui dire bonjour à chaque fois. Il fallait être poli et je l’étais.
Arrivée au cœur du quartier, je ralentissais un peu. C’était un passage difficile pour moi. D’un côté le garçon boucher à tête de veau qui se trouvait toujours sur le pas plein de sciure de la boutique à me saluer de sa voix de stentor et de l’autre toujours une boucherie (chevaline cette fois) où le fils Entier (c’était son nom) se planquait pour me tirer les cheveux . Alors là, je me mettais à courir jusqu’au bureau de tabac. Des fois j’y entrais. C’est que j’avais eu une pièce de cinq centimes pour mes bonnes notes et je m’achetais des roudoudous. J’adorais le réglisse et je l’adore encore.
Après du plat pour marcher en mastiquant souvent mes bonbons (j’étais bonne élève) je descendais le boulevard. Pas de commerces, un mur de chaque côté avec juste dans celui de gauche une petite porte en bois. Une porte mystérieuse et discriminatoire, celle que prenaient beaucoup de filles de ma classe. Moi, pas ! Je n’allais pas au catéchisme. Pourtant j’aurais bien aimé porter une aube de tulle blanc, être la princesse d’un jour, avoir une montre ou une jolie chaîne ! Mais le Bon Dieu chez nous n’était pas en odeur de sainteté.
Avant de tourner à droite dans la ruelle de mon école, j’entendais les cris des garçons et les bruits de ballon. Mais moi j’allais à l’école des filles dans la cour des cordes à sauter sous les tilleuls.
C’était en 1958.
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