Atelier 1 - Les temps de narration - Extrait "La bonne" - Chapitre 1 - Stylo rouge
Texte présenté lors de l'atelier :
Je regarde ma tête dans le miroir et je commence à pleurer. J’ai du rouge partout sur la langue, sur les joues, sur toute ma tête. J’essuie avec mon débardeur blanc et j’étale encore plus. Je mets du savon mais ça sert à rien, ça fait que s'empirer. Maintenant il y a du rouge partout sur le lavabo.
Je suis debout sur la petite chaise en plastique rose que je prends toujours pour atteindre le lavabo parce qu'il est trop haut pour moi, même si j'ai 7 ans, il paraît que je suis petite pour mon âge, alors que je suis une grande fille maintenant. Il y a de l’eau partout, maman va arriver, et elle va se fâcher. Et quand elle est fâchée, elle me tape. C’est tout le temps comme ça avec maman, elle tape d’abord et après elle pose les questions. Parfois elle tape, puis elle pose les questions, puis elle retape car elle aime pas la réponse.
Qu’est-ce que je suis bête aussi ! J'aurais pas dû écouter Marjorie qui m’a dit ce matin à la récré que les stylos rouges avaient le goût de bonbon à la fraise et que c’était parce que c’étaient des fraises que c'était rouge comme ça. Quelle menteuse cette Marjorie ! Ça n’a pas du tout le goût de fraise, c’est même dégueulasse ! C'est amer, on dirait le goût du médicament quand il reste trop longtemps dans la bouche et que j'arrive pas à l'avaler.
J’ai cassé mon stylo pour aspirer l’intérieur et comme ça marchait pas, j'ai coupé au milieu pour lécher l’encre et maintenant il y en a partout et j'arrive pas à tout nettoyer.
Maman va arriver et j'ai envie de pleurer encore plus fort, mais je peux pas parce que Papa dort dans la chambre, même si je pense qu'il m'entendra pas parce qu'il a travaillé toute la nuit et que quand il dort, il entend rien du tout, surtout quand il grince des dents, c'est comme le bruit de la scie qui coupe un arbre dans les dessins animés, ça s'entend dans toute la maison.
Deuxième version du texte après les retours de l'atelier :
Maman m'aime pas. Je sais que c'est vrai, même si j'ai pas le droit de le penser. J'aimerais bien qu'elle m'aime, un petit peu plus au moins. Un peu c'est mieux que pas du tout. Mais je crois qu'elle a pas le temps, parce qu'elle doit travailler et que je lui casse les pieds et les oreilles à la fin, mais pas en même temps.
J'ai pas beaucoup de souvenirs joyeux avec Maman. Je suis encore petite, donc j’ai le temps de m’en faire des souvenirs, mais ça a l’air difficile, surtout avec Maman. À chaque fois que je pense à elle, j’ai beau chercher, je pense jamais à un truc joyeux en premier, ni en deuxième, ni en troisième, ni en dixième. Il y en a eu, faut pas croire que je suis une Cosette ou une Rém sans famille non plus, mais faut que je cherche longtemps dans ma mémoire pour en trouver un qui est pas malheureux.
Il paraît que je fais tout le temps des bêtises. C'est peut-être pour ça que Maman m'aime pas. Elle dit tout le temps « Pourquoi tu peux pas être sage comme tes cousines Cynthia et Anita ? Elles font jamais de bêtises elles, elles sont sages comme des images, elles. » alors que c'est même pas vrai, Anita elle crie tout le temps et Cynthia elle m'a appris à dire plein de gros mots, je sais même pas où elle les a entendus.
Le problème c'est que quand je fais une bêtise, je sais pas que c'en est une avant de la faire. Comme la fois où elle m'a vue dans la salle de bain avec du rouge partout sur ma tête, sur ma langue, dans le lavabo, et même par terre sur le tapis pour les pieds. Ça faisait des petites tâches comme si j’avais coupé tous mes doigts.
J’ai crié quand Maman a ouvert la porte. Elle a rien compris à ce qui s'est passé parce qu'elle m'a hurlé dans les oreilles :
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Et elle m'a serré les bras et a continué à hurler :
— Où tu as mal ? Où tu es blessée ? Dis-moi tout de suite ! Il faut aller à l’hôpital !
J'ai rien répondu, même si je connaissais la réponse, c’était pas facile à avouer. Marjorie m’avait dit à la récré que les stylos rouges avaient le goût de bonbon à la fraise, et que c'était pour ça que c'était rouge. Je l’ai écoutée bêtement alors que je savais depuis depuis que Marjorie était une menteuse ! C'était pas du bonbon à la fraise dedans. C'était amer comme le goût du médicament quand il reste trop longtemps dans la bouche et que j'arrive pas à l'avaler. J’ai cassé mon stylo pour aspirer l’intérieur et comme ça marchait pas, j'ai coupé au milieu pour lécher l’encre. J'arrivais pas à nettoyer, ça partait pas.
Plus j'essuyais, avec mes mains et avec mon débardeur, plus ça s'étalait. J’avais mis de l'eau partout aussi et je savais que Maman allait se fâcher. Et quand elle est fâchée, elle tape. C’est tout le temps comme ça avec Maman, elle tape d’abord et après elle pose les questions. Parfois elle tape, puis elle pose les questions, puis elle retape parce qu'elle aime pas la réponse.
Maman a regardé autour de moi et elle a ouvert les gros yeux. Ça voulait dire qu'elle a compris que j'ai fait une bêtise.
— Pourquoi tu as mangé le stylo ? Tu es bête ou quoi ? Tu veux mourir ? C’est du poison à l’intérieur !
Elle m'a giflée sur la joue droite.
— Et arrête de pleurer ou je t'en mets une autre ! Pourquoi tu pleures alors que c'est toi qui fais des bêtises ? Arrête de pleurer je te dis !
Pasteur Judith dit souvent qu’il faut faire comme notre Seigneur Jésus Christ, sur la terre comme au ciel. Mais à ce moment là, j'ai pas voulu, parce que ça m'avait fait trop mal déjà la première gifle, alors j'ai caché ma joue gauche. Au final, ça a servi à rien du tout, j'ai eu droit à l'autre gifle sur la même joue.
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