La maison idéale

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Lorsqu’il se gara devant chez lui, il se sentit rassuré en voyant la voiture de sa femme sagement garée. Les enfants n’en avaient pas encore et affectaient de s’en passer. Celles de leurs copains suffisaient pour l’instant. Peut-être étaient-ils là ? ils restaient parfois des après-midi entiers dans leurs chambres à refaire le monde. Il prit le temps d’admirer sa maison, symbole de sa réussite que tant de gens auraient rêvé de posséder. Plus que jamais, il en éprouvait un sentiment de fierté.

Il avait réussi cela et on voulait l’exiler à Bruges? Personne n’avait le droit de remettre en question son cadre de vie et son environnement familial. Non ! l’Entreprise n’en avait pas fini avec lui. On le faisait sortir par la petite porte ? Il reviendrait par la grande ! Il posa la main sur le portail d’un geste de propriétaire et traversa le jardin soigneusement entretenu par une entreprise spécialisée.

Le salon où il avait si souvent trouvé sa femme installée dans le canapé était désert. Le cendrier était à sa place, vide et nettoyé. Elle affectait parfois de fumer par convention ou pour se calmer les nerfs mais laissait trainer les mégots. Il inspecta les chambres des enfants, silencieuses parfaitement rangées. Une rapide vérification lui confirma qu’ils avaient emporté des affaires pour plusieurs jours.

Le dressing de sa femme était à moitié vide. il remarqua l’absence de deux valises

Une sourde angoisse l’envahit, contre laquelle son esprit rationnel luttait avec de moins en moins de conviction. Il s’assit sur le canapé, à la place qu’il avait toujours occupé et ferma les yeux. Ses réflexes professionnels reprirent le dessus. Il fallait encaisser le coup et analyser froidement les faits. Sa famille l’avait abandonné.

Il se dirigea vers la cuisine nettoyée avec un soin maniaque. C’était une des règles non-écrites de la maison. Il sortit une bouteille d’eau minérale du frigo garni en fonction des meilleures prescriptions diététiques. Les livreurs passaient deux fois par semaine. Personne n’allait faire les courses dans les grands magasins. Au moment où il remplissait son verre, il aperçut l’enveloppe posée sur la table vide à la place qu’il occupait pour le petit déjeuner et le froid l’envahit.

« Mon cher Victor,

J’aurais préféré te dire les choses en face mais ça n’aurait rien changé. J’avais pris depuis longtemps ma décision et je la repoussais toujours, sous de mauvais prétextes. Les enfants, le confort matériel et social, la liberté et la vie agréable que tu m’offrais. Un reste d’amour aussi peut-être car je t’ai aimé …

Je te remercie quand même pour ces magnifiques faux-semblants. J’étais belle , décorative toujours disponible. Je t’ai donné de beaux enfants qui eux aussi ont décidé de vivre leur vie. Aujourd’hui, j’estime que je n’ai plus à être une composante de ton plan de carrière. Je ne sais pas si tu m’as trompée mais peu importe désormais. Même si tu essayais de t’en cacher, j’ai toujours su que tu avais une préférence pour les grandes brunes.

Je te fais confiance pour trouver ma remplaçante parmi toutes celles qui gravitent autour de toi dans ces soirées auxquelles tu me trainais.( Tu m’accorderas que je t’ai toujours fait honneur.) Nous aurons l’occasion de nous revoir pour le divorce et la vente de la maison. Les enfants ne souhaitent pas te parler pour l’instant mais rassure-toi, le temps arrange toujours les choses.

Pour t’éviter l’humiliation de l’apprendre par d’autres, saches que je suis partie avec Régis pour ce voyage de noce que tu m’as toujours refusé. Avec toi, j’étais quelque chose, avec lui, je suis quelqu’un.

P.S : Je te quitte sans amertume ni colère. J’espère seulement que, lorsque le circonstances nous réuniront, tu m’épargneras une scène ridicule.

Il s’allongea sur le canapé sans enlever ses chaussures. Les pensées libérées tournoyaient dans sa tête, emportées dans une danse macabre. Il revoyait le petit sourire du hiérarchique quand il avait fait allusion à sa famille. Le vieux salaud savait, comme tout le monde. On avait bien dû se marrer à New-York. . La femme qui trompe son mari avec le meilleur copain, c’était tellement rigolo !Dans les repas de famille d’autrefois, il y avait toujours un rigolo qui montait sur la table pour raconter des histoires où le cocu était toujours le dernier prévenu

Une petite voix revenait, insinuante et moqueuse :

« Ils avaient tous les deux bien préparé leur coup… Le copain inséparable… l’invité régulier à la maison… L’épouse idéale… Très drôle … Oui, très drôle… Quel beau tableau !… De quoi te plains-tu ? Maintenant, tu es libre, Anne aussi … Il ne te reste plus qu’à attendre qu’elle veuille bien te rappeler mais tu sais qu’elle ne le fera pas. «

Le soir tombait lorsqu’il s’arracha du canapé pour retourner à la cuisine où la lettre abandonnée sur la table l’attendait patiemment. Le frigo contenait tout le nécessaire pour un repas d’exception arrosé par une excellente bouteille. Il mangea face à la télévision après avoir trouvé une chaine câblée qui diffusait un vieux film en noir et blanc.

Repu, les pieds sur le guéridon, il ne ressentait rien de particulier. Pas encore. Son esprit nettoyé réfléchissait. Il avait tout le temps pour ça…

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