Les Exigences du vieil homme
Je ne sais pas trop comment je suis arrivé à l’extérieur. Je ne sais plus si j’ai marché ou si je me suis téléporté. Trop de pensées se bousculaient encore dans ma tête. J’ai revu les tombes, j’ai entendu la voix du sanctuaire me nommer Héros, et pourtant… et pourtant, je ne vois pas pourquoi je mériterais ce titre. Si cette voix, si cette lumière lutte depuis cent ans contre le Fléau ou qui que ce soit, un véritable héros lui serait déjà venu en aide. Et qu’on ne me dise pas que le simple fait d’avoir déplacé des choses avec une tablette de pierre fait de moi un surhomme. N’importe qui en aurait été capable. N’importe qui.
Le vent frais balaye la plaine devant moi. L’odeur de l’herbe et la douceur de l’eau se balade dans l’air, et une pointe de lumière se dessine dans le ciel. Le soir est tombé, déjà. J’ai passé plus de temps sous terre que je ne le pensais. Les teintes rosées, violines qui se reflètent sur le lac qui borde le sanctuaire sont apaisantes. Les étoiles ont l’air si proches… Surtout celle-ci, qui semble se déplacer… Vers moi… Ah non, ce n’est pas une étoile.
C’est encore lui.
— Je vois que tu as réussi à obtenir un emblème du triomphe…, s’exclama le vieil homme en atterrissant avec sa paravoile juste devant moi. Avant tout, permets-moi de te féliciter !
— Comment pouvez-vous savoir...
— Parce que j’y vois clair ! Quand on vieillit, la vision se détériore souvent. Pourtant, certaines choses nous apparaissent plus clairement… Cela dit, je ne sais pas si c’est vraiment le cas pour tout le monde, ajouta-t-il en gloussant, le regard fixé sur moi. Tu sais, ces tours qui sont sorties de terre, ces sanctuaires qui s’illuminent à nouveau, tout cela, c’est grâce à la tablette sheikah que tu portes à la ceinture.
— Je ne…
— La tablette sheikah… Cela fait si longtemps que je n’avais pas prononcé ces mots que je les avais oubliés.
— Vous… Vous savez ce que c’est ?
— Il y a bien longtemps, ces contrées étaient peuplées par la grande civilisation sheikah, commença-t-il en pointant du doigt le symbole de l’œil pleurant qui se dessinait désormais avec cette lueur bleue caractéristique. On raconte que leur sagesse et leur pouvoir ont maintes fois tiré ces terres des crises qu’elles traversaient. Il semble qu’ils aient disparu il y a bien longtemps, mais ces sanctuaires abritent peut-être des traces de leur passage.
Il se tait quelques instants, et une ombre passe sur son visage. Dans le ciel, la lumière commence à faiblir. Celle qui pulse du sanctuaire sera bientôt la seule à éclairer les environs, à l’exception de la lanterne que porte cet homme, dont la flamme vacillante n’est ni fiable ni suffisamment forte pour que l’on puisse voir où on met les pieds.
— Écoute ce que je vais te dire, reprend le vieil homme d’un ton grave. Tu trouveras des sanctuaires comme celui-ci sur tout le territoire. Rien que sur ce plateau, il y en a encore trois qui t’attendent. Apporte-moi l’emblème du triomphe de chacun de ces sanctuaires et je te donnerai ma paravoile.
— Attendez, nous avions un marché. Votre paravoile...
— Je n’ai jamais dit que je me contenterais d’un seul trésor, mon petit, fit-il en souriant. Et puis, un ou quatre, c’est quasiment la même chose ! Allez, viens voir, je vais te montrer une astuce pour repérer les sanctuaires. Et pas seulement les sanctuaires d’ailleurs ! Quoi que tu cherches, c’est toujours une bonne idée de scruter les alentours depuis un point élevé. Voyons voir… Tu pourrais escalader la tour à nouveau, pour avoir un meilleur point de vue !
— Vous vous moquez de moi ?
Il se contenta de rire.
— Inutile de se mettre dans cet état, voyons. J’ai une nouvelle astuce pour toi. Jette un œil à la carte sur ta tablette. Tu vois ces points bleus sur la tour et le sanctuaire d’où tu viens ? À ce qu’on raconte, le pouvoir de la tablette sheikah te permet de te téléporter jusqu’à ces points précis. Du moins, c’est ce que j’ai entendu il y a bien longtemps… Je ne peux pas garantir que ce soit la vérité ! Essaie de te téléporter jusque là-bas, tu pourras repérer les sanctuaires plus facilement comme ça.
— Comment vous savez tout ça ?
— Les vieux comme moi en savent, des choses, fit-il avec son air mystérieux. Allez, vas-y, essaie !
Je soupire.
J’ai quand-même l’impression de me faire balader par cet homme. Ce n’est pas à moi de faire tout ça. S’il veut ses emblèmes du triomphe, il n’a qu’à aller les chercher. Ce n’est pas parce que j’ai cette tablette, soi-disant un objet appartenant à une civilisation ancienne, que je dois aller fouiller des sanctuaires poussiéreux à la place des personnes âgées, tout ça pour un morceau de toile tendu entre quatre branches ! Je suis presque sûr que je pourrais en fabriquer une moi-même, de paravoile. Mais je n’ai pas vraiment envie de me jeter du haut d’une montagne pour vérifier qu’elle plane correctement, disons.
Et puis, j’imagine que c’est une manière de se remettre en jambes. Parce qu’avec tous ces efforts, je sens que je vais avoir de bonnes courbatures demain. Et puis, comme le planning est déjà prévu, je pense que d’ici deux ou trois jours, si tout se passe bien, je pourrai quitter cet endroit et aller au château.
Il ne me reste plus qu’à tester la téléportation, et si ça fonctionne, je retournerai dormir au Sanctuaire de la Renaissance. Là au moins je serai au chaud et en sécurité.
Je sors donc la tablette, l’allume et tape sur la petite lueur bleue qui indique la tour. Et soudain, j’ai comme l’impression de décoller du sol, de ne plus rien sentir, et je vois mes mains, mes pieds, mon corps se transformer en lambeaux de lumière. Comme si mon corps perdait sa réalité, comme si ce qui le composait se défaisait.
Au moindre problème, je suis mort.
C’est la seule pensée qui traverse mon esprit.
Et puis ma conscience semble s’éteindre.
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