Le monstre gardien et son sanctuaire

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Je sens l’herbe sous mes mains, dans mes cheveux, le bois du couvercle dans mon dos, la forme de la hache qui me brise en deux. Je me redresse, croise le regard enflammé de mon adversaire et roule sur moi-même, avant de m’élancer au hasard, par l’une des portes accessibles. Je me glisse hors de sa vue (et par conséquent de sa portée), ou du moins c’est ce que je crois avant de croiser un regard en tout point semblable. Qui me vise. Mais sans me tétaniser, cette fois-ci. Sauf qu’il n’y a plus que des murs et aucune échappatoire. Je ne peux ni revenir sur mes pas, ni continuer à avancer… Et suivant une logique à toute épreuve, je décide de grimper au mur, de le franchir et de me laisser tomber de l’autre côté pour arriver tout droit…

Au pied du sanctuaire ?

Ah.

Bon.

Euh. Je suis arrivé à destination du coup.

Je lève les yeux vers l’œil qui m’observe et je me sens soudain tout petit et penaud. Comme s’il n’attendait qu’une seule chose, c’est que je rentre. Or, je suis couvert de sueur, je respire à peine et je viens de me laisser tomber d’un mur de trois ou quatre mètres de haut après m’être fait attaquer par deux bestioles immenses et cauchemardesques qui vont sans doute hanter mes cauchemars pour le restant de mes jours… Disons que je ne tiens pas à me lancer à nouveau dans la découverte d’un endroit poussiéreux et très probablement dangereux.

Mais elle m’attend. Je n’ai pas vraiment le choix. Je ferme les yeux le temps de reprendre mes esprits, y ajoute une grande inspiration et décide de me lancer. Physiquement, le sanctuaire est identique à celui d’hier. Je passe la tablette sur la stèle, qui m’ouvre ses portes avec les mêmes jeux de lumière bleutés. La passerelle m’attend et s’enfonce dans le sol lorsque je me place dessus. En descendant, un message d’avertissement me met à nouveau en garde, un certain Ja’Bashif me met à l’épreuve au nom de la déesse Hylia. Jusque-là, rien de nouveau. Sur ma gauche, la stèle à goutte n’attend plus que la tablette sheikah pour faire son office. Installation d’un nouveau module en cours, la goutte tombe sur la tablette et active…

Non pas un, mais deux emplacements ? Les… bombes à distance ? Qui… explosent grâce à un détonateur à distance ? Qui explosent ? Comment… Comment fonctionne cette tablette, au juste ? C’est un aimant surpuissant, une fabrique à bombes et quoi d’autre encore ? Est-ce qu’elle va me permettre de traverser les murs aussi, ou de cuisiner avec ? Et si je la fais tomber ? Est-ce qu’elle risque d’exploser ?

Soudain, je réalise que je joue vraiment avec le feu. J’ai dans mes mains un outil dont je ne comprends pas le fonctionnement, qui pourrait visiblement me faire exploser en cas d’erreur et qui ne cesse de se renforcer. Entre le sanctuaire d’hier et celui d’aujourd’hui, mon chemin semble ne pas avoir vraiment été tracé pour moi, mais plutôt pour la tablette… Déjà trois modules d’activés, et je me balade toujours avec une chemise verte de ma dernière chute dans l’herbe après avoir évité des monstres de fer…

Enfin, peut-être qu’il vaut mieux que j’arrête de me poser des questions. On m’a donné des bombes, qu’est-ce que je vais pouvoir en faire ? Je reviens sur mes pas, descend la pente vertigineuse qui me mène à deux blocs de pierre déjà largement fissurés. Ça ne devrait pas être trop difficile à briser. Peut-être qu’utiliser quelque chose d’aussi dangereux qu’une bombe, ça n’est pas nécessaire. Je sors ma hache et contemple son tranchant questionnable. Je n’ai pas vraiment envie de détruire ma seule lame, surtout si je ne suis pas sûr que ça fonctionne.

On va expérimenter, dans ce cas.

Je regarde la tablette. Deux modules différents, hein. Pour une bonne raison, j’imagine. Des bombes rondes et des bombes carrées. Des bombes qui roulent et des bombes qui glissent ? Je ne vois pas vraiment l’utilité de bombes carrées mais bon, tout est bon à prendre. D’ailleurs, le sol est plat, je n’ai pas vraiment besoin d’une bombe ronde. Hop, je sélectionne la carrée et…

Elle est déjà dans ma main. Bleue brillant, prête à exploser. Enfin, à m’exploser, surtout, là. Je regarde la tablette, qui m’indique qu’une seule pression sur l’écran risque effectivement de me transformer en ragoût d’humain, et je pose la bombe avec douceur et délicatesse. Puis je recule, d’abord lentement, puis de plus en plus vite, jusqu’à avoir remonté la pente. Je regarde à nouveau la bombe, loin devant moi. Je ne sais pas exactement comment elle explose… Où me mettre pour être sûr de ne pas repeindre les murs ? Le plus loin possible, je dirais ? On va viser un coin du mur, tout au fond. Je ne verrai pas grand-chose mais tant pis.

De mon coin poussiéreux et mal ventilé, je lève les yeux vers le trou où se trouve ma bombe et je laisse mon doigt appuyer sur l’écran. Un large dôme bleu s’élève brusquement, envoyant voler des fragments de pierre un peu partout, dans un quasi-silence terrifiant.

Le bruit de mes pas résonne lorsque je m’approche du rebord et que je constate que les blocs de pierre ont été réduits en poussière. Les quelques fragments que j’ai vu voler sont si petits qu’ils tiennent dans la paume de ma main.

Je note : ne pas jouer au plus malin avec les bombes.

Elles n’ont peut-être pas un rayon d’action si impressionnant, mais elles sont efficaces. Du moins, contre les choses qui cassent… ? Parce que le sanctuaire n’a rien, lui. Rien ne s’est effondré sur moi, le sol n’a pas la moindre égratignure, le plafond qui aurait dû être réduit en poussière est presque brillant…

Je devrais arrêter de me poser des questions. Si ça doit casser, ça casse, sinon… C’est comme neuf. J’ignore quelle technologie est capable de faire ce genre de chose et surtout pourquoi quelqu’un voudrait exploser ce qui est déjà fragile et… pas le reste. Mystère. Enfin bref, continuons à avancer.

Au bout du couloir s’ouvrent deux chemins, l’un vers la droite et l’autre vers la gauche. Sans plus d’indice, je prends le chemin de gauche et tombe nez à nez avec des rochers. Bon, rien de bien compliqué, je place une bombe, recule d’une dizaine de mètres et la fait exploser. De l’autre côté se trouve une échelle, courte, qui mène vers un espace plus lumineux, sans que je ne comprenne d’où vient la lumière. Là, une petite zone plate est reliée par une plateforme à un espace rendu inaccessible par les mêmes blocs friables que je vais donc faire exploser. Et comme je ne rêve pas de finir dans le même état qu’eux, rien de plus simple : poser une bombe plate sur la plateforme et la faire exploser lorsqu’elle atteint l’autre côté.

Boum. C’est fait.

De l’autre côté, la salle est bien plus grande et bien plus chaotique… Une balle au diamètre orangé s’envole au rythme des mécanismes qui sortent brusquement du sol, lui faisant décrire des arcs de cercle spectaculaires. Plus loin, un belvédère me propose une vision plus claire de la zone. Trois lanceurs, un coffre tout à gauche, des blocs à exploser à droite et au milieu, cette balle qui… Vole.

Visiblement, le constructeur de cet espace a voulu que je fasse exploser les blocs avec une bombe ronde, il a même construit un tunnel exprès… Essayons.

La bombe roule, est envoyée par le mécanisme et atterrit sur les blocs, puis explose, révélant une échelle permettant d’accéder à un espace en hauteur. Rien de très compliqué, je peux descendre par un escalier et remonter par l’échelle, ce qui me permet d’arriver… Face à la même boîte bleue, à cette prison de lumière faite pour conserver les cadavres. Face à moi se trouve en effet une silhouette semblable, rachitique, les jambes en tailleur, les mains posées sur les hanches comme si elle m’attendait depuis des années.

Je place ma main sur le symbole en face de moi, la cage éclate en paillettes de lumière et le même phénomène se répète. La voix désincarnée me parle comme si je n’étais pas là, me félicite au nom de la déesse et m’envoie sa balle de lumière froide marquée de deux ailes dans la poitrine, avant de me souhaiter bon voyage.

Mais cette fois-ci, je n’ai pas trouvé de vis, ni quoi que ce soit qui soit digne du nom de trésor, je n’ai même pas eu à affronter d’ennemis. Il reste bien le coffre, mais je ne sais pas vraiment comment l’atteindre. Je n’ai rien à faire exploser et cette chose n’est pas en métal. La seule chose que je pourrais faire, ce serait de rejoindre ce coffre en me mettant sur la plateforme, en espérant qu’elle m’envoie suffisamment loin pour ne pas finir avec une jambe cassée ou la tête directement dans le mur d’en face.

Bon. Je pourrais tenter avec une branche ou quelque chose comme ça, mais on n’a pas le même poids, pas sûr que ce soit concluant. Tant pis. Si je rentre les mains vides, le vieil homme m’en voudra sûrement. Et puis, tout ce sanctuaire a l’air basé sur ces mécanismes bizarres qui envoient des choses d’un côté à l’autre. Pourquoi pas des gens ?

Il suffit uniquement d’oublier son instinct de survie un instant, après tout. De mettre un pied sur la base, d’attendre quelques instants pour…

Oh.

Je décolle d’un coup sec. En un instant, je n’ai plus de sol sous mes pieds, mon corps tout entier se fige et je vois l’entièreté du sanctuaire se dévoiler devant moi tandis que mon estomac a décidé de rester au sol. Et puis je tourne la tête, me retrouve très, trop près d’un nouveau sol, je plie les genoux et me réceptionne par un miracle absolu de manière relativement propre. Le choc fait certes vibrer tout mon corps, mais je ne réitère pas la catastrophe absolue d’hier, ne m’écrase pas dans un mur et ne me brise pas une cheville. C’est déjà ça, on va dire.

Profitons-en pour voir ce qu’il y a dans ce coffre, du coup. J’espère que ça valait ma cascade… Même si je ne suis pas sûr de savoir ce qui la vaudrait… Ou ce qui ne la vaudrait pas, d’ailleurs. Tant que ce n’est pas une branche d’arbre ou une pomme, j’imagine que tout a de la valeur ? Du moins, en bas de ces terres ?

Dans la petite boîte il n’y a qu’un morceau de pierre orangée. De l’ambre, je crois. C’est… décevant ? Je crois ? Je ne sais pas vraiment ce que je peux en faire, à vrai dire. C’est assez inutile, voire complètement absurde dans le contexte de mon exploration. Mais c’est un joli caillou. Il fera sûrement plaisir à ce vieux hibou. Je n’ai plus qu’à me laisser tomber de cette plateforme et à rentrer. Peut-être qu’avec un peu de chance, je pourrais m’avancer sur le prochain sanctuaire ?

Lorsque je ressors, la température a baissé. Le soleil est largement dissimulé par des nuages sombres qui m’ôtent toute envie de poursuivre. D’ailleurs, si je veux sortir d’ici, il va falloir que je sois prudent. Ou que je fasse exploser les deux étranges gardiens qui ont essayé d’avoir ma peau à l’aller.

Je jette un œil à la carte. Bon, au milieu de ces ruines, je ne vois pas de gros point rouge me signalant un danger. Je sais qu’il y en a un dans la zone devant moi, derrière le…

Derrière le tas de cailloux légèrement instable qui fait face au sanctuaire ? Il était là, lui ? Je peux le faire exploser, ça c’est sûr. Est-ce que pour autant c’est une bonne idée ? Non. Si c’est pour laisser le champ libre à l’œil laser rouge, c’est une mauvaise idée. On va passer par derrière.

Etonnamment, je dois avoir un don pour l’escalade car le mur de pierre qui isole le sanctuaire est bientôt sous mes pieds et je me réjouis de sa largeur. Pas besoin de jouer les équilibristes, surtout au vu de la proximité du rempart, à ma gauche. Un seul pas de travers et ma chute durerait des heures avant de finir… Je chasse une pensée macabre et avance en regardant droit devant moi. Il y a un de ces monstres dans la prochaine enceinte. Je me fige. Il a l’air mort, mais… Je préfère ne pas prendre de risques. Au pire, je serai mouillé, tant pis. J’arriverai en un seul morceau chez le vieil homme, c’est mon seul objectif.

J’arrive au bout du mur, le redescend, passe par les ruines de la muraille pour remonter sur le talus et me dirige d’un bon pas vers le seul abri que je connaisse. À l’instant où j’ouvre la porte, les premières gouttes de pluie se mettent à tomber. J’entre en me tentant de me réchauffer. Cette pauvre chemise n’est vraiment pas suffisante, j’aimerais trouver quelque chose de plus chaud… Je me glisse sous la couette pour trouver un petit peu de réconfort, tandis que le son de la pluie sur la toile du toit résonne. Çà et là, des trous dans les murs laissent passer la pluie et humidifient le sol, creusant de petites flaques.

Etrangement, même si ça n’est pas très confortable, je n’ai pas non plus l’impression d’être particulièrement mal loti. Certes, il fait froid, mais j’ai l’impression que comparé à d’autres situations, dont évidemment je ne me souviens pas, ce n’est pas si mal. Quelque part, je suis soulagé d’avoir un endroit où rentrer. Du moins… Je crois ?

Cette pensée me met mal à l’aise. Comme si je trahissais quelqu’un en me disant ça. Comme si je n’avais pas le droit de ressentir ce genre de chose. Une dernière pensée traverse mon esprit. Ces monstres de fer… Je les connais. Je les redoute, du moins mon corps les redoute assez pour se figer à leur vue. Je resserre le bout de tissu autour de mes épaules. Peut-être que parfois, ne pas se souvenir, ce n’est pas si mal… ?

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