La montgolfière
Deux chers amis, l'un heureux, l'autre malheureux, se trouvent sur une montgolfière qui va pour s'écraser, les tuant tous les d´eux sur le coup. Ils n'ont plus de leste à lâcher, sinon eux-mêmes. Réalisant que l'un d'eux pourrait se sacrifier pour sauver l'autre, ils commencent à se parler.
Le malheureux
Que le frisson parfois est un témoin heureux !
Quand on a l’amitié, quand on connaît l’amour,
Que l’on a de raisons de prolonger ses jours !
Qu’on est peu accusable étant lâche ou peureux !
Car se mettre en péril, et se pousser peut-être
Dedans des bras glacés qui vous raviront tout,
L’amour, la joie, la paix ; l’espérance, surtout ;
Quoi, se jeter - gâcher -, c’est un crime à commettre !
Quant à moi je cherche le danger que tu fuies
– Ce qui est fait de noir n’a pas l’abîme à craindre :
C’est honneur de mourir, infamie de s’en plaindre - ;
Le malheur me défend de la mort le souci
Et j’exulte au contraire en m’approchant du vide.
Je ne t’en voudrai pas, n’aurai pas de remords,
Tu vis près de la vie, je vis près de la mort,
C’est ainsi. Reste. Je vais.
Le bien-heureux
Que tu es livide !
Tu t’exaltes si bien à courir au trépas
Que ton sang excité oublie de te venir,
Et qu’en ses moments où il a du souvenir
Il livre ce qu’il peut pour rassembler tes pas.
Tu crains plus que moi toi qui te penches ainsi.
Tu es pâle et trembles abominablement,
Un sot n’y croirait pas. Et tu m’aimes. Tu mens.
Mourir, c’est me perdre.
Le malheureux, s'approchant plus encore du bord
C’est te sauver aussi.
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