Chapitre 1 - L'épreuve (1.3 Premier jour)
L'équipe commence à gravir le volcan. La pente est assez abrupte et irrégulière, d'une roche basaltique qui rend la progression peu aisée. À peine quelques minutes après leur départ, V'andale intime à sa soeur de s'arrêter car elle pressent un danger.
Aussitôt Akma interpelle ses camarades :
— V'andale est en alerte. Nous devons avancer prudemment.
Morr demande aussitôt :
— V'andale s'est-elle déjà trompée ?
— Rarement.
— Bien, ralentissons. Plus de courses mais une marche lente.
Lekchi s'agace aussitôt :
— Ça y est, mesdemoiselles ont les chocottes alors tout de suite il faut être prudents. Si on commence comme ça dès les premières minutes, nous arriverons bons derniers à destination. Je continue.
Morr a juste le temps d'ouvrir la bouche que Lekchi est déjà hors de portée.
On sent qu'il contient sa colère. Il a été choisi pour prendre le commandement du groupe et déjà son autorité est remise en question.
Soudain, le cri de Lekchi retentit. Ils ont juste le temps de le voir, projeté avec K'ra trois mètres en arrière dans un épais nuage à l'odeur pestilentielle. Lorsqu'Akma et Morr les rejoignent et descendent de leur nasse, Lekchi et K'ra sont au sol poussant des bruits étouffés de douleur. Des cloques apparaissent sur les parties nues de leur corps. Lekchi, malgré la souffrance, parvient à prononcer quelques mots :
— Dans ma sacoche. Pot bleu. Vite.
Morr se précipite sous le corps de K'ra et ouvre le petit habitacle où il prend la sacoche et revient en courant auprès de Lekchi.
— Tiens, voilà le pot bleu, je crois.
Lekchi peine à parler et après plusieurs secondes de silence il lui dit :
— Ouvre. Sur les cloques.
Morr se dépêche d'enduire toutes les cloques de Lekchi pendant qu'Akma est partie auprès de la felidienne lui crémer le pourtour des yeux, la truffe et la commissure de la gueule. Au bout de quelques minutes à peine, les râles de douleur cessent. Akma propose un peu d'eau aux deux blessés puis Lekchi explique :
— C'est un onguent qui stoppe les brûlures que ce soit par le feu ou l'acide.
Il plonge ensuite son regard dans les yeux d'Akma :
— Désolé, ça m'arrache le coeur de dire ça mais j'aurai dû écouter V'andale. Nous ne sommes pas amis et je ne pense pas que nous le deviendrons un jour, mais nous devons faire équipe le temps de cette épreuve. Je finirai premier quoiqu'il en coûte même si cela veut dire avoir confiance en ta felidienne.
Les deux autres n'osent laisser sortir la colère qui les possédait un instant plus tôt. Les excuses l'ont fait disparaitre aussi vite qu'elle s'était emparée d'eux. Même si cette posture en demi-teinte donne envie à la jeune fille de lui servir une remarque bien sentie. Il a fait des efforts ; elle doit en faire aussi.
Un autre jet de vapeur se manifeste un peu plus haut.
— Cela n'apparait sur aucun document que j'ai pu consulter, dit Morr contrarié.
— Il fallait bien quelques surprises, répond Lekchi.
— Es-tu prêt à remonter ?
— Oui, j'en ai vu d'autres. Je ne nous ferais pas arriver en dernière position.
Chacun reprend place dans sa nasse et le trio reprend son chemin à une allure beaucoup plus modérée afin d'éviter les vapeurs dangereuses du volcan.
Le reste de l'ascension se passe sans incident notable. Les dérapages réguliers des grands félins, la progression lente ainsi que la chaleur fatiguent la petite troupe. Ils ne s'autorisent que quelques courtes pauses pour boire dans des rus. Arrivés en haut de la montagne les animaux ont le souffle court et le soleil annonce que quatre à cinq heures sont passées depuis leur départ. Ils doivent continuer au moins jusqu'à l'orée de la forêt pour pouvoir dormir en hauteur, à l'abri d'éventuels prédateurs.
La descente s'annonce plus facile : de la terre ocre bien tassée parsemée de nombreux rochers massifs de couleur noire. Après avoir rapidement discutés, ils ont décidé de laisser Akma en tête puisque V'andale semble avoir l'instinct le plus fin en matière de danger. Ils ont parcouru quelques centaines de mètres lorsqu'Akma intime à ses compagnons de ralentir.
— Je n'aime pas ça. Quelque chose cloche.
La jeune fille croise les doigts dans son dos, signe qu'ils ont défini un peu plus tôt comme signal de danger imminent.
De derrière le rocher le plus proche, surgit un felidien. E'kmos est le plus rapide et saute à la rencontre de l'assaillant le percutant sur le flanc pour éviter la collision avec V'andale. L'ennemi retombe alerte juste face à Akma et sa soeur. Elles ont à peine le temps d'esquiver le coup de patte en bondissant sur la gauche. Morr et Lekchi tentent d'encercler l'ennemi mais ce dernier bondit par-dessus E'kmos, le compagnon de Morr, et assène au passage un coup de griffes sur le flanc de la bête.
Un râle, mélange de rage et de douleur, sort de la gueule d'E'kmos qui recule aussitôt se ranger un peu en retrait de V'andale et K'ra. Akma sent l'adrénaline parcourir tout son corps, lui intimant d'attaquer. Cette pulsion se transmet à V'andale déjà prête à bondir. Elles foncent droit sur l'ennemi qui semble se délecter par avance de sa victoire.
Au moment où le felidien adverse s'apprête à bondir, V'andale saute sur le rocher juste à sa droite, se retrouvant dans le sens de la ligne d'horizon. Elle effectue aussitôt un nouveau saut directement sur son adversaire. Ce dernier esquive de justesse et se rue sur E'kmos qui semble avoir perdu son souffle.
À l'instant où K'ra se positionne pour bondir à son secours, l'ennemi effectue une manoeuvre pour venir planter ses crocs dans la gorge de la compagne de Lekchi. Akma a senti la feinte venir. Elle a déjà intimé à sa soeur de bondir vers K'ra et non vers E'kmos comme l'adversaire a voulu le faire croire. Le coup de mâchoire de V'andale se referme dans le vide. Ils ont beau être trois, ils font face à un vétéran. La tâche ne sera pas aisée.
Les trois apprentis se resserrent et V'andale transmet aussitôt à Akma :
— E'kmos faiblit. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi mais je sens comme un filet d'énergie s'échapper de lui. Il va falloir terminer cet affrontement rapidement. Sinon, ça risque de se compliquer pour nous. Nous ne serons plus que deux à combattre et il faudra protéger Morr et E'kmos en même temps.
Au même instant, Morr dirige son compagnon vers le haut du volcan. K'ra et V'andale n'ont d'autre choix que de le suivre. S'ils se séparent, tout est fini.
Le temps que leur adversaire leur emboite le pas, Morr a transmis son intention : remonter jusqu'aux vapeurs toxiques. Akma doit passer en tête. Morr espère que l'instinct de leur poursuivant est moins affûté que celui de V'andale. Ils pourront ainsi le piéger dans un jet de vapeur.
Les deux premières gerbes sont évitées aussi bien par les apprentis que par le vétéran. E'kmos commence à ralentir, son souffle se transforme en un râle qui n'augure rien de bon pour la suite.
—V'andale, notre poursuivant se cale sur notre tempo pour éviter les vapeurs. Il réagit avec quelques secondes d'écart. S'ils les sentaient aussi bien que toi, il devrait modifier sa trajectoire en même temps, ce qui n'est pas le cas. À la prochaine, fonce droit devant. N'engage ton saut qu'au tout dernier moment. Je suis désolée de te demander ça.
— Je te fais confiance. Et puis, si je suis touchée, Lekchi pourra apaiser mes douleurs.
— Merci.
Après quelques secondes à peine, l'odeur âcre et chargée de soufre arrive aux narines de la felidienne. V'andale informe aussitôt sa soeur :
— L'éruption est proche.
— Continue.
— Je fonce.
K'ra semble prête à bondir de côté mais Akma lui ordonne :
— Pas encore !
Elle entend Lekchi jurer mais ils maintiennent leur position. E'kmos suit difficilement quelques pas en arrière.
— Maintenant !
La gerbe explose à quelques centimètres à peine d'elles au moment où le groupe bifurque à angle droit vers le haut de la pente. L'effort est conséquent mais ils seront ainsi en position dominante. Des éclaboussures viennent les asperger comme autant de piqûres d'insectes.
Après être montés d'une dizaine de mètres et à bout de souffle, ils s'autorisent un regard en arrière. Le felidien ennemi concentré sur sa chasse a foncé tête baissée. Il a tout de même réussi à tourner vers le bas de la pente mais la moitié de sa tête est couverte de brûlures.
Elles ne sont pas mortelles, ils en sont certains. Pour autant, l'animal continue de dévaler la pente. Le trio regarde la masse sombre devenir petit à petit une tâche de la taille d'une tête d'épingle, pour finalement disparaître de leur champ de vision. Le souffle court et bruyant d'E'kmos les ramène au plus pressant. V'andale et K'ra se baissent afin de permettre à leurs compagnons de descendre et de rejoindre le felidien étendu sur le flanc. Morr s'est extrait tant bien que mal de son habitacle et semble en état de choc.
— Du poison, c'est la seule explication.
Lekchi a lancé cette affirmation tout en auscultant de près l'animal.
— Difficultés à respirer, bave abondante, yeux injectés de sang et gencives qui virent au noir. C'est du Venélla. J'ai ce qu'il faut dans ma sacoche.
Tout en sortant un onguent qu'il applique délicatement sur les plaies d'E'kmos il poursuit :
— J'ai préparé quelques médicaments au cas où. Cette plante ne pousse pas dans notre région mais c'est un poison classique pour venir à bout d'un ennemi sans se fatiguer. En moins d'une heure, c'est terminé. J'imagine que notre adversaire devait avoir enduit les griffes de sève. D'ici vingt minutes, cela devrait aller mieux.
— Nous repartirons donc dans une vingtaine de minutes pour trouver un abri en bordure de forêt. Nous sommes trop exposés sur cette montagne et nous devons avancer avant la nuit.
Morr a repris les commandes du petit groupe. Au bout du temps minimum de rétablissement, ils redescendent entre les rochers. Ils restent sur le qui-vive tout le long du chemin. Ils arrivent finalement en bas du volcan sans incident mais cette tension permanente les a épuisés. D'autant que plusieurs d'entre eux souffrent encore de leurs blessures. Ils puisent dans leurs réserves pour avancer jusqu'à l'orée de l'immense forêt primitive qui leur fait face, masse sombre et imposante à cette heure tardive de la journée. Un petit groupe d'arbres se présentent à quelques pas de l'orée. Les trois felidiens s'installent au pied du plus grand tandis que les humains grimpent en hauteur pour se mettre à l'abri. Ils choisissent chacun une branche à laquelle ils s'attachent pour dormir, à l'aide d'une sangle. Cela évitera tout risque de chute. Quelques minutes à peine après être montés, tout le monde dort sauf un felidien qui monte la garde. Ils se relaieront toute la nuit. Leur besoin de sommeil est bien moindre que leur partenaire humain.
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