Chapitre 5 - Un monde complexe (2/2)
L'adolescente ne comprenait pas tout, une fois de plus. Toujours était-il que Scur régnait sur ce monde aujourd'hui et qu'il allait certainement s'en prendre à elle.
- Vous dites que Scur a voulu détruire tous les héros potentiels qui "poussaient" dans la forêt et que ses agents vous ont aussi demandé de me livrer. Je me doute qu'il ne vont pas se contenter d'attendre sagement que vous me portiez jusqu'à eux.
- Non, en effet. Comme je te l'ai dit, les portes de Sérasia sont à trois jours de marche d'ici mais comme personne ne s'attendait plus vraiment à ce qu'un héros soit de retour parmi nous, il y a de fortes chances qu'un temps de préparation ait été nécessaire avant leur départ. Tu es arrivée ici il y a une journée environ. Je pense qu'ils arriveront d'ici trois jours encore... Pour ne pas prendre de risque, tu partiras la veille de leur arrivée estimée.
- Comment ça, je partirais ?
- Je ne peux t'accompagner, je vais faire semblant de errer dans les bois, comme si j'étais à ta recherche pendant que toi, tu t'en iras. Si je t'accompagne à Sérasia, tu seras tout de suite repérée. Le lien entre toi, la fille perdue, et moi, le vieil ermite solitaire, sera très vite fait...
- M... Mais... commença alors Aelis.
- J'ai tout prévu. Ne pense pas que je vais te lâcher dans la nature comme ça ! Mon ami l'aubergiste est dans le coup. Pendant que tu étais dehors, je lui ai envoyé du courrier. Demain, il saura que tu es avec moi et que bientôt, il devra te récupérer non loin de Sérasia avant de te mettre en lieux sûrs, dans son auberge, durant un certain temps.
L'adolescente tremblait. La seule personne qu'elle avait rencontrée comptait l'abandonner et avait envoyé un mot à quelqu'un demeurant dans une ville pleine d'espions. Comme si cela ne suffisait pas, l'ermite comptait la jeter dans la gueule du loup en la guidant vers ladite ville qui n'attendait certainement que ça pour pouvoir l'attraper.
- Vous êtes sûr que cet aubergiste est digne de confiance ?
- Oui, cela fait des années que je le côtoie et je peux t'assurer que plus d'une fois, il sauva des victimes des sbires de Scur. C'est un habitué. De plus, il est lié à des réseaux de résistance ce qui te sera utile pour lutter contre toutes ces abominations.
Voilà qu'il la reprenait pour la guerrière qu'elle n'était pas...
- Le courrier, comment l'avez-vous envoyé ? reprit la jeune fille. N'y a t-il pas des chances que quelqu'un l'intercepte ?
- C'est une colombe qui porte ce message. Ne m'as tu pas entendu siffler tout à l'heure ? Ces volatiles sont très bien apprivoisés et l'un d'entre eux m'a été confié pour pouvoir communiquer rapidement en cas de problème. La lettre actuellement en cours d'acheminement est en fait un message secret dont Elric et moi-même avons convenu il y a longtemps, au cas où... Si quelqu'un l'intercepte il ne trouvera qu'une charmante demande de pâte de noix pour la prochaine visite de mon ami.
Bien qu'Aelis n'ait absolument pas entendu le sifflement d'appel durant sa petite escapade à l'extérieur, elle accepta de croire l'ermite. Avait-elle vraiment le choix après tout ?
- D'accord... dit-elle. Comment vais- j ebien pouvoir retrouver votre ami seule ? Je ne connais pas cette forêt qui est visiblement immense...
- Mais tu ne seras pas seule, répondit d'une voix douce Glenn. Tu auras un guide digne de ce nom ! Le gardien des bois t'accompagnera.
- Le gardien des bois ?
- Oui, il se dénomme Cèrvi. N'oublie pas son nom car il aime qu'on lui témoigne du respect. Il te servira de monture, il est très rapide. C'est pour cela que ton arrivée à Sérasia devrait être discrète car personne ne pourrait penser que tu sois arrivée seule si vite dans cette ville. Il te faudrait au moins cinq ou six jours avant de pouvoir trouver la lisière à pied.
Cèrvi... Non, Aelis n'oublierait pas ce nom. Elle ne voudrait pas se mettre à dos le seul cheval des environs qui pourrait l'aider à se mettre en sécurité... D'ailleurs...
- Mais, il est où ce... Cèrvi ? Je ne l'ai pas vu en faisant le tour de la clairière...
- Oh, il doit parcourir la forêt. Il vit sa vie sans contrainte. Pour l'appeler, il te suffira de souffler dans ce petit sifflet.
Et en disant cela, Glenn sortit de sous le col de sa robe, un petit sifflet de bois.
- Je te le donnerais en temps voulu, ne t'inquiète pas.
L'adolescente avait à peine atterri dans ce monde qu'il fallait déjà qu'elle fuie comme si la peste était à ses trousses. L'ermite ne lui laissa pas le temps de penser davantage car il reprit :
- Bien, il va falloir que tu oublies aussi ton nom. Il fait trop... Étranger vois-tu ? Tu te dénommeras Lutz Pintassèra, cousine de Elric Pintassèra. Tu prétexteras venir travailler pour lui dans la perspective de reprendre l'auberge. J'ai quelques habits entassés dans cette armoire. Certains d'entre eux devraient t'aller. Tu n'auras qu'à les essayer demain et les mettre dans une besace que je t'aurais préparée en cas que tu doives partir en urgence.
Désemparée par ce plan qui lui semblait totalement irréaliste, Aelis finit par se taire. Elle essayait de digérer toutes les informations qu'elle venait d'accumuler. Scur, Elric, Cèrvi, les espions, une ville inconnue... Comment pourrait-elle s'en sortir indemne ? Vivre ne serait-ce que quelques jours dans un lieu où elle serait constamment recherchée s'avérait très risqué. Sa seule chance demeurait dans le fait que son visage n'était pas encore connu... Glenn, la surveillait de son regard doux. Il semblait compatir avec l'adolescente qui se retrouvait enfermée dans une destinée qu'elle n'avait jamais souhaité. Lui posant la main sur l'épaule, il ajouta gentiment :
- Je me doute que tout cela est très dur pour toi. Les tiens ne sont pas là pour te soutenir mais je suis sûr que là où ils sont, ils pensent à toi. Sache que tu peux compter sur moi, je ferai tout mon possible pour t'aider, sois en certaine. De plus, le jour de ton départ ne sera certainement pas un adieu définitif, j'essaierais de rejoindre un groupe de résistance. Je ne sers plus à rien reclus comme je suis au fin fond de cette grande forêt...
Et alors que la jeune fille sentait les larmes monter de nouveau, l'ermite lui proposa :
- Le soir tombe... Allons ramasser des lucioles pour pouvoir s'éclairer quand il fera noir.
Aelis regarda au dehors. La lueur était rougeoyante, signe que le soleil de Sérasia se couchait. Puis, elle inspecta l'intérieur de la cabane. Aucune chandelle... Glenn s'éclairait-il vraiment grâce à des lucioles ? Curieuse, l'adolescente sécha les larmes qui bordaient ses paupières et se leva à la suite du vieil homme. Ce dernier saisit, dans un tiroir, un petit filet accroché à un bâton. Il le donna à son invitée avant de prendre une lanterne cachée dans un placard. Enfin, ils sortirent tous deux, accompagnés de Castanha, et se dirigèrent vers le potager. Les premières étoiles pointaient dans le ciel. Cette journée riche en émotions était passée bien trop vite au goût de l'adolescente qui savait que son temps ici était compté.
Une fois devant la longue haie fruitière qui bordait le petit jardin empli de légumes et de fruits, Aelis put observer de petites lumières dorées éparpillées dans les branches. Il y en avait énormément. On aurait dit qu'une guirlande lumineuse avait été déposée au milieu des petits arbres buissonneux.
- Tu es prête ? demanda Glenn.
Aelis acquiesça, se redressant, le filet bien tenu entre ses deux mains.
- Très bien ! Castanha, à toi de jouer maintenant !
Et le petit écureuil qui se trouvait par terre à ce moment, se précipita sur l'adolescente, grimpa sur ses épaules avant de sauter dans la haie. La jeune fille pouvait l'entendre courir et voir les buissons s'animer par endroits. Cela rendait la situation hilarante. Pour la première fois depuis son arrivée à Sérasia, Aelis Bifrost se mit à rire de bon cœur. Glenn l'imita bientôt, la regardant sautiller un peu partout pour attraper le plus de lucioles possible.
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