Les festivités d'anniversaire 2 : La grande parade

9 minutes de lecture

 Baby tirait sur le bras de sa mère et la pressait d'accélérer le pas. Il lui tardait d'être sur place. Une foule de plus en plus nombreuse se dirigeait vers l'une des portes de l'enceinte intérieure. La ville basse se composait d'un enchevêtrement d'habitations construites sans un plan d'urbanisme précis. C'était un lacis de ruelles étroites et poussiéreuses qui serpentaient entre les humbles demeures en torchis blanchis à la chaux que le soleil teintait d'orangé et de pourpre.

 En levant les yeux, le garçon aperçut le palais ducal couronnant un gigantesque escalier à paliers ornés de statuaire impressionnant qui prolongeait l'avenue des Triomphes. Pour atteindre la ville haute, il fallait passer par des portes monumentales contrôlées par les gardes rouges sous le commandement du Prétoire. Les gardes noirs, d'habitude en mission dans la jungle, étaient à titre exceptionnel réquisitionnés pour la surveillance du public. Un mur d'enceinte richement décoré entourait la ville haute tandis qu'une fortification protégeait la ville basse de la ban-lieue. Au-delà, commençait la jungle.

 Baby et sa mère passèrent les contrôles de la Porte de la Sérénité et découvrirent un monde de splendeurs architecturales. Des bâtiments en pierre de taille bordaient de grandes avenues dallées. Des cariatides et atlantes décoraient l'extérieur tandis qu'une seconde rangées de colonnes formait un péristyle où déambulaient fonctionnaires et serviteurs en cas de mauvais temps ou de fort ensoleillement. Les parties réservées aux piétons, en briques bleu lapis-lazuli, contrastaient avec le ton sable des larges boulevards et des places gigantesques que limitaient d'immenses escaliers menant aux monuments officiels et gardés par des statues colossales soutenues par des piédestaux richement parés de rouge orangé et d'or. Partout des cascades, des bassins et des rigoles où l'eau chantait, chargée de nutriments pour les jardins suspendus qui apportaient fraîcheur, couleurs aux bruns des façades et des squares ainsi que des fragrances tantôt suaves, tantôt entêtantes.

— Regarde maman, s'exclama Baby en désignant un hologramme d’information. Tu as vu, il y aura une course de roues demain. On pourra y aller dis ? S’il te plaît ?

— Je ne sais pas, répondit sa mère.

 On y voyait un wheeler exécuter des figures compliquées de freestyle, ce qui émerveilla le petit garçon.

— En plus c’est gratuit, s’écria-t-il en pointant l'index. Regarde ! C’est écrit là.

— Si c’est gratuit et que ça te fait plaisir, c’est d’accord, décida sa mère.

— Merci maman.

 Il la serra très fort dans ses bras. Tous deux reprirent leur route après s’être frayé un chemin à travers l’attroupement qui s’était formé autour de l’affiche holographique.

 Baby ouvrait de grands yeux qui pétillaient d'admiration. Il ne savait où poser le regard tant il y avait de merveilles à découvrir. Dans ses rêves les plus fous, le garçon n'aurait même jamais imaginé autant de splendeurs. Ses yeux ne se lassaient pas de contempler les dômes de cuivre verdi par le temps, les chorégraphies chantonnantes des jets d'eau des bassins et les chutes végétales fleuries des pignons. L'or des toits du palais ducal étincelait de mille feux maintenant que le soleil commençait à s'élever sur un fond sans nuage comme si le ciel voulait participer à sa manière aux liesses du jour.

 Cependant, ce qui attirait en particulier l'attention de Baby, c'étaient les décorations somptueuses dont se parait la cité. Sur le parcours du cortège ducal, on avait accroché le petit pavois aux appuis de fenêtres des étages supérieurs, tentures or à liserés verts descendant jusqu'aux premiers étages. Tous les quinze pas, sur des mâts de vingt mètres de hauteur le grand pavois, bouclier en cuivre jaune étincelant de deux mètres de diamètre, était suspendu au-dessus des oriflammes rouge et vert virevoltant au gré du vent.

Sur la place de l'Harmonie céleste qui séparait l'avenue des Triomphes et le Grand Escalier d'Honneur menant au palais ducal, étaient installées des loggias richement décorées de pourpre et de vert. Des tentures de velours bleu azuréen rehaussé de motifs dorés recouvraient l'intérieur.

 Neuf heures venaient de sonner à la Tour Sangamouji. Les membres de la cour achevaient de prendre leurs quartiers, revêtus de leurs habits de gala passementés d'or ou de vert pour les hommes. Les dames s'était parée de robes de tulle, d'organdi, de soie, taillées et confectionnés dans les règles de l'art par les meilleurs artisans du duché. Chaque loge rivalisait de raffinement, de bienséance et de bon goût.

 Baby et sa mère, comme le reste du bon peuple, attendaient derrière des barrières, impatients de découvrir le défilé qui s'annonçait grandiose et mémorable.

— Ça y est ! ça commence ! s'exclama-t-il.

 Sur la gauche une fanfare éloignée annonça le début de la parade. Tous les regards se tournèrent dans la même direction. Il y eut comme un frémissement dans l'air qui prenait de l'ampleur avec l'approche de la tête du défilé pour se terminer par des applaudissements plus ou moins appuyés. Des ventilateurs envoyaient des confettis parfumés tourbillonner sur la foule réjouie.

 Puis venaient des acrobates, des jongleurs, des marcheurs de rêve perchés à deux mètres du sol sur leurs grandes échasses. Leurs tenues bariolées aux motifs de losanges, carrés ou à rayures, leurs couvre-chefs à clochettes et leurs vestes aux larges manches apportaient de la couleur et de l'animation. Ils furent les plus acclamés. Une fanfare tonitruante les accompagnait. Arrivaient ensuite les montreurs d'ours, de tigres, de léopard, de golems ainsi que d'autres créatures parfois mignonnes, souvent terrifiantes.

 Après cet intermède détendu les licteurs, dans un ordre parfait, annonçaient les ministres, tous en tenue d'apparat, suivis par les bourgmestres qui géraient les quartiers d'une main de fer. Pas toujours aimés, leur présence refroidit l'enthousiasme. Heureusement l'arrivée des chars suscita aussitôt la frénésie tumultueuse et l'admiration des spectateurs. L'atmosphère redevint festive.

 Des scènes holographiques très réalistes, longues de cent mètres et larges de quinze, sur l'histoire des trois derniers siècles étaient projetées. Différents tableaux s'offraient aux regards éblouis. Des tremblements de terre changeaient le contour des continents, des tsunamis emportaient les mégalopoles d'alors, des déserts remplaçaient les champs cultivés, la Révolte des animaux tuait une partie des humains tandis que la Peste alliée à la Grande Famine achevait les autres.

 Puis se succédaient les tableaux montrant l'arrivée du Messager dans un jaillissement de lumière, comment il rassembla les survivants, calma la colère de la terre, soumit la faune sauvage et réorganisa la société.

 Les bruitages adaptés transmettaient vibrations, grondements ou sifflements de projectiles et apportaient davantage de réalisme aux hologrammes qui débordaient parfois sur la foule affolée, surtout quand l'eau déferlait sur les spectateurs ou lors d'attaques d'animaux. Le plus impressionnant représentait l'éruption d'un énorme volcan qui éjectait scories brûlantes et laves rouge vif sur le public qui ne put empêcher un mouvement d'effroi.

 Baby ne pouvait détacher les yeux de ce spectacle grandiose. Un an auparavant, il s'était réfugié en pleurs dans les jupes de sa mère. Aujourd'hui, il était aux anges. L'enseignement du visionnaire ainsi que les conversations qu’il eut avec elle lui permettaient de comprendre ce que représentait chaque scène.

 Le dernier hologramme montrant la cité de cristal où vivait le messager passa dans un silence mêlé de crainte. Il y eut ensuite une pause de quelques minutes, puis vingt-et-un coups de canons correspondant à chacune des années de règne de sa Seigneurie furent tirés. Les boulets bondirent dans le ciel comme des météores et éclataient le long de l'avenue en un feu d'artifice éblouissant. La foule poussait des Oh ! et des Ah ! à chaque tir.

 Succéda à cet intermède, une parade plus militaire au rythme d'une musique martiale. L'infanterie défilait sur un pas vigoureux suivie par l'armée de l'air, puis venaient les gardes noirs et rouges tous en grande tenue, les officiers d'abord, les sous-officiers ensuite et enfin les soldats. Le duc avait insisté sur cette démonstration de force destinée à étouffer toute velléité de rébellion.

 Enfin apparurent les chars, les speeders, les aéroglisseurs, les transporteurs de matériel et de troupes, les vaisseaux de transport et des appareils volants qui effectuaient leur voltige à la verticale de la ville selon une chorégraphie orchestrée au millimètre.

 En levant les yeux, Baby remarqua les caméras de surveillance qui planaient sur les spectateurs ainsi que les nouveaux drones dotés pour l'occasion d'un système de reconnaissance faciale.

 Derrière la foule des badauds, les gardes rouges venaient de repérer l'une des deux bombes qui devaient exploser au passage du carrosse ducal. Un drone reconnut le visage du kamikaze et transmit sa position au centre de contrôle. Ils informèrent leurs collègues en civil qui appréhendèrent avec discrétion et efficacité le rebelle. Après l'avoir immobilisé et désarmé sa ceinture explosive, ils lui firent une injection au cou et le menèrent à moitié conscient dans les sous-sols en vue de l'interroger. Personne n'y prêta attention, accaparé par la danse des engins au-dessus de leur tête. Les rares témoins de la scène crurent voir un jeune homme ivre que la sécurité amenait dans la ville basse.

 Pendant ce temps, le cortège ducal approchait : d'abord des chevaux, somptueusement harnachés et montés par la garde prétorienne, claquaient leurs sabots sur le pavage de l'avenue. Il n'y avait pas besoin de musique. Le trot de la troupe bien ordonnée imposait le respect. Deux rangées de prétoriens protégeaient les flancs du carrosse qui se déplaçait à un mètre du sol. Dix rangs sur une longueur de cent mètres assuraient l'arrière. Les spectateurs ne purent voir sa Seigneurie derrière son cordon de protection. Des clapeurs encourageaient la foule à brandir les drapeaux aux couleurs ducales et à pousser des hourras enthousiastes.

 Le cortège seigneurial rejoignit sur la place de l'Harmonie Céleste les autres corps d'armée au garde à vous. Le carrosse continua entre les loges pour s'arrêter en douceur aux premières marches du Grand Escalier d'Honneur. Trois côtés s'abaissèrent, le transformant en une estrade protégée par un champ de force. Sa Seigneurie se leva et admira la belle perspective qu'il venait de parcourir et qu'éclairait le soleil de midi. Sa voix retentit dans toute la cité.

— À vous mes amis qui m'assistez dans la gestion de ce magnifique duché et qui avez tant fait pendant ses vingt-et-une années de gouvernance pour que l'ordre soit maintenu et la loi respectée, je tiens à vous remercier pour votre dévouement, pour votre loyauté envers moi, pour votre présence à cet événement qui marque l'unité et l'harmonie qui prévalent dans notre fief. Quant à vous mon peuple qui n'avez manqué aucun des anniversaires de mon règne, vous vivrez sous ma protection aussi longtemps que vous obéirez aux lois de cette belle cité. Tous ensemble, nous œuvrons pour la gloire du Messager qui nous a réconciliés avec nous-mêmes. C'est à Lui qu'il convient de plaire. Craignons son courroux et recherchons sa bénédiction.

 Le silence était total. La voix se répercutait de façade en ruelle jusqu'à la ville basse. Chacun était concentré, attendant l'annonce de la distribution du pain promis.

— Mais certains veulent rompre cette belle harmonie et détruire nos valeurs. Les rebelles ont voulu vous priver de ce moment de liesse. Fort heureusement, nous avons pu intercepter l'un d'eux grâce à la merveilleuse efficacité de ma police qui travaille à chaque instant à votre sécurité. Je vous invite donc à assister à la sentence réservée à ceux qui osent braver l'autorité de notre Suprême Leader qui viendra en personne à seize heures au supplice de la braise. Sa mort est programmée à vingt heures. La fête se poursuivra par un feu d'artifice. Je vous convie aussi à venir nombreux à la course de roues qui se déroulera demain après-midi. Enfin, je m'adresse à vous, mon bon peuple. Profitez pendant ces trois jours des spectacles et festivités qui ont été préparés à votre intention.

 Il leva les bras et s'écria pour conclure :

— Joyeuses festivités ! Vive notre Suprême Leader !

 Pendant que le carrosse s'élevait majestueusement vers le palais ducal suivi par les loges quittant leurs supports dans un ordre parfait, une musique légère se diffusa sur la place à l'entrée de laquelle s'était massée la foule retenue par une triple rangée de gardes noirs.

 Des cris rappelant la distribution de pain montèrent et s'amplifièrent. Des éléments rebelles commencèrent à montrer de l'agressivité. La sécurité repoussa sans ménagement les premiers rangs. L'agitation secoua la marée humaine comme des vagues de tempête. Les gens ne demandaient pacifiquement que ce qui leur avait été promis et ne comprenait pas la réaction des services de sécurité. Les gardes sortirent les matraques, ce qui attisa la colère des mécontents.

 Marie Rose prit la main de Baby et s'engagea à contre-courant afin d'échapper à l'insurrection qui s'annonçait. Cependant, des troupes fraîches vinrent en renfort et encerclèrent le quartier, empêchant toute fuite.

Annotations

Vous aimez lire Max Jangada ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0