Marie Rose 1 : l'interrogatoire
Le capitaine Mahoré Elyas s'assit avec soulagement en s'épongeant le front. Il avait connu une rude journée et pouvait à présent profiter d'un moment de répit. Il avait dû calmer la foule à coups de taser et organiser le transfert de plus d'un millier de manifestants depuis l'avenue des Triomphes jusqu'à ce bâtiment de rétention dans la ville basse. Ce fut une horrible pagaille où chacun piétinait en criant, vociférant, se bousculant et il eut beaucoup de mal à rétablir un semblant d'ordre dans ce tohu-bohu indescriptible. Les plus vindicatifs furent jetés dans les cachots du sous-sols où ils allaient croupir toute la nuit. Les gardes usèrent de la force, parfois à coups de crosse, pour obliger les autres à se mettre à genoux, les mains sur la tête. Heureusement, de substantiels renforts avaient permis de maintenir ces émeutiers sous contrôle. Un tri avait été effectué avant d'enfermer tout ce monde derrière les grilles dans de vastes cellules pouvant contenir chacune de cent à cent cinquante personnes.
Mahoré donna ensuite l'ordre de commencer les interrogatoires afin de déterminer l'état civil et l'adresse de chaque interpellé. Ils devraient tous rester une nuit en détention sauf les meneurs identifiés et les excités du sous-sol qui passeraient en jugement le lendemain.
Il se versa un verre d'eau bienvenu et s'en délecta tout en surveillant les prisonniers visibles depuis son bureau. Le capitaine Mahoré avait la trentaine, une allure athlétique, un visage fin, des pommettes hautes bien dessinées et une coupe en brosse qui lui donnait un charme qu'il entretenait avec soin. C'était un soldat qui avait jusqu'alors consacré sa vie à son travail. Son existence était insouciante, faite de camaraderie potache, de virées alcoolisées et de femmes faciles. Depuis sa nomination au grade d'officier, il éprouvait le besoin de se ranger, c'est-à-dire de trouver une épouse convenable pour fonder une famille. Dans sa recherche d'une certaine honorabilité, il se mit à mépriser les filles trop accueillantes dont il avait si souvent usé et abusé.
Le capitaine remarqua rapidement une jeune femme avec son enfant. Elle arborait sans prétention un port de tête élégant qui contribuait à sa belle prestance malgré ses humbles vêtements. Elle avait un visage au teint rose charmant, des lèvres charnues sans vulgarité et des cheveux châtain clair arrangés avec soin. Il trouvait qu'elle était bien faite de toute sa personne et ne la quittait plus des yeux, comme hypnotisé par cette sublime apparition. Il se plaisait à penser qu'elle ne dédaignerait pas son salaire et tout le confort qu'il permettait. Son phantasme sur la jolie brune enfanta un désir ardent. C'était décidé : elle serait à lui.
Une main passa devant ses yeux. Il tourna la tête.
— Oh ! Tu es avec nous !? s'écria son ami le lieutenant. Joli morceau hein ?
— Tu l'as remarquée aussi ? constata Elyas. Mais attention, on ne chasse pas sur les terres de son supérieur.
— Ne t'inquiète pas. Elle a un gosse. Tu sais ce que c'est. Avec un morpion à s'occuper, elles sont moins disponibles pour le reste et souvent il te reste la seconde place. Très peu pour moi !
Mahoré ne la quittait plus des yeux, entièrement sous le charme, totalement conquis en la voyant se mouvoir avec grâce. Tout à fait le type de femme qui lui fallait !
— Va la chercher. Je veux l'interroger moi-même, décida-t-il, impatient de l'avoir près de lui.
— A tes ordres, mon capitaine ! répondit le lieutenant Felipe Phasma sur un ton des moins protocolaires.
D'un signe de tête, il fit ouvrir la grille, se dirigea vers la femme, la désigna du doigt et lui intima l'ordre de le suivre.
Pendant ce temps, Elyas rangea son bureau, installa une chaise pour l'interrogatoire et fit semblant d'étudier un dossier sans se soucier de la femme debout devant lui, les bras autour de son fils collé à elle. Il leva les yeux et feignit la surprise.
— Asseyez-vous ! l'invita-t-il sèchement.
Elle s'exécuta, stoïque malgré l'angoisse qui l'étreignait à la pensée de passer une nuit en prison avec son enfant.
Le capitaine se présenta, demanda ses nom et adresse. Il s'enquit de son état matrimonial, du nom de son fils, de son âge. Elle répondit avec la plus grande franchise à toutes ses questions. Il était impressionné par le calme et la maîtrise dont elle faisait preuve dans une situation aussi oppressante.
— Je résume. Vous vous appelez Marie Rose Vinci, vous avez vingt-sept ans. Vous êtes couturière et vannière. Vous habitez entre le marché et la Porte de la Sérénité. Vous avez un fils de neuf ans qui s'appelle Baby et qui a terminé sa formation chez le visionnaire. Vous êtes célibataire et vivez seule avec votre fils. Vous déclarez être venue pour assister aux festivités et que vous avez été prise dans le mouvement de foule. Avez-vous autre chose à déclarer ?
— Non capitaine.
— "J'ai été pris dans le mouvement de foule", répéta-t-il. Tout le monde dit la même chose mais ce que je constate, c'est que vous étiez bel et bien avec les mutins et les rebelles qui sont venus dans l'unique but de tout casser et tout détruire. C'est ce qu'ils auraient fait sans l'intervention rapide des gardes. Pourquoi devrai-je vous croire ?
— Je suis une honnête travailleuse. Je ne suis pas une délinquante. Je suis venue assister au défilé avec mon fils. Je n'avais pas l'intention d'enfreindre la loi.
Mahoré dévisagea Baby avec insistance, ce qui troubla Marie Rose.
— Vous êtes peut-être une honnête travailleuse mais votre fils, lui, est un délinquant, rétorqua le capitaine en montrant Baby du doigt. Il correspond au signalement du petit braconnier qui vient vandaliser les terres du duc. Je suis sûr que les caméras de surveillance l'identifieront sans l'ombre d'un doute.
Marie Rose éclata en sanglots en passant un bras protecteur autour de son fils. Elle le suppliait de prendre pitié arguant du fait qu'il n'était qu'un enfant. Le capitaine se radoucit et lui tendit un mouchoir.
— Je n'aime pas vous voir pleurer. Essuyez vos larmes. Je ne suis pas un monstre. En effet, ce n'est qu'un enfant comme vous dites. Je vois bien que vous n'êtes pas une mauvaise personne. Rassurez-vous ! J'ai décidé de vous relâcher. Vous ne passerez pas la nuit en détention avec votre petit garçon. Vous êtes rassurée ?
— Merci capitaine, s'écria-t-elle avec reconnaissance.
— Comme vous le voyez nous ne sommes pas des monstres, répéta-t-il. Je vais demander qu'on vous raccompagne en voiture. Je repasserai pour voir si tout va bien.
— Encore merci capitaine. Que le Messager vous bénisse !
— Soldat ! Raccompagnez Madame chez elle.
Dès que Marie Rose et Baby furent sortis, il brûla la fiche de renseignements les concernant.
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