Le Réseau 4 : Visite de Matéo
La journée s'annonçait radieuse et pleine de promesses. Pour commencer, une rame de métro spéciale venait chercher Max et Matéo sur le quai de la station Pohr. Sept stations plus loin, un comité d'accueil les attendait. Mais l'enthousiasme n'était pas au rendez-vous. Max perçut des visages fermés et des sourires crispés. Il ne se doutait pas que toute la population savait que, deux jours auparavant, Slau et cinquante gardes rouges les avaient précédés et que les villageois étaient sous la menace de représailles. Gibraltar était parti livrer une missive à Mettingen, cinq stations plus loin. Montparnasse lui avait assuré qu'il sera revenu à temps pour accueillir ses amis et ce fut le cas.
Une haie d'honneur les mena vers la salle de délibération à l'entrée de laquelle se tenait Montparnasse. La foule s'écarta. Max était étonné de toute cette mise en scène. Le conseiller prit ensuite la parole.
— Par cet accueil, nous voulons vous témoigner notre amitié et..., heu, vous remercier d'avoir accepté notre invitation. Mes amis, suivez-moi. Une surprise vous attend à l'intérieur.
— Une surprise ? s'étonna Gilbraltar. Je ne suis pas au courant.
— Si je te le dis, ce ne sera plus une surprise, rétorqua Montparnasse, un sourire forcé sur les lèvres.
Gibraltar ne cessait de regarder autour de lui. Les comportements des villageois l'intriguaient, mais ils ne pouvait pas l'expliquer.
— Fais gaffe à toi, lança-t-il discrètement à l'adresse de Matéo. Je le sens pas, là.
Le conseiller, sentant la nervosité du jeune homme, pressa les trois compagnons de pénétrer dans la salle de délibération. Au fond, dans un fauteuil, quelqu'un était assis. Il pivota et la petite troupe découvrit le visage de Slau. Max prit le bras de Matéo pour l'entraîner vers la sortie mais des gardes leur bloquèrent toute issue et pointèrent sur eux leurs armes.
Montparnasse s'éloigna avec prudence des trois amis.
— Désolé, s'excusa-t-il. Je n'avais pas le choix. C'était vous ou il dératisait le village.
Gilbraltar le fixait avec une grande grande déception teintée de colère. Les gardes l'entraînèrent à l'extérieur ainsi que ses deux compagnons.
— Je t'aimais, lui cria-t-il en se retournant.
Tous les trois furent jetés dans une cage métallique et transportés vers la ville haute.
Slau fit sortir Montparnasse qui rejoignit les autres habitants de Hauptbahnhof, à genoux et tenus en respect par les soldats. Il fit venir le commandant des gardes rouges.
— Commandant, voici mes ordres. Après mon départ vous dératiserez ce village. Vous brûlerez toutes les maisons. Mais avant cela, vous ferez trois groupes : les jeunes hommes de vingt à trente ans seront enrôlés dans l'armée. Dans le deuxième, vous mettrez ceux qui sont en bonne santé et en âge de travailler. Ils seront enchaînés et dirigés vers les usines de fabrication des matériels de guerre. Ceux qui restent et les récalcitrants seront exécutés.
L'officier, après un salut, sortit. Slau resta assis, méditatif. Il était satisfait de la tournure des événements. Il tenait Matéo et ses amis et leur réservait un sort à la mesure de l'humiliation qu'il avait subie. Son sourire de satisfaction montrait le bon déroulement de ses plans : il venait de renforcer son armée et la main-d'œuvre bon marché pour ses usines d'armements. C'était une belle journée ! Une merveilleuse journée !
Les trois prisonniers devaient se tenir à la cage qui se balançait en fonction des cahos de la route car elle détait suspendue à une potence fixée sur le véhicule. Gibraltar était anéanti. Il restait indifférent à tout ce qui l'entourait, les yeux hargards, comme anesthésié. Matéo s'approcha et posait la main sur son épaule. Son ami leva les yeux et lui renvoya un faible sourire. Max quant à lui restait calme.
Les badauds regardaient passer le cortège avec une crispation sur le visage. Beaucoup les prenaient en pitié, se demandant les raisons de cet enfermement et le sort qui leur était réservé. La plupart s'éloignait sans demander leur reste comme si le malheur qui avait frappé ces infortunés pouvait les atteindre à leur tour.
Les véhicules passèrent par la porte de la Fortune céleste, tournèrent à droite avant de pénétrer dans la cour d'un petit casernement, devant un bâtiment blindé adossé au mur d'enceinte. Au premier étage, se trouvaient deux appartements luxueux pour deux officiers et leur famille. Au rez-de-chaussée, vivaient une vingtaine de gardes qui avaient chacun une chambre. Ils disposaient d'une salle de repos, d'un mess, d'une cuisine et de plusieurs pièces qui avaient servi de réserves de nourriture et d'entrepôts pour le matériel.
Ils restèrent dans leur cage au moins deux heures pendant lesquelles personne ne leur prêta une quelconque attention à part les quatre gardes affectés à leur surveillance. Puis il y eut un grand courant d'air qui souleva en tourbillons la poussière.
La barge du Messager atterrit quelques mètres plus loin. Il pénétra dans le mess où on lui amena les prisonniers. Il fit fouiller Max puis Matéo. Il prit Esprit qu'il examina avec une satisfaction non dissimulée. Sur un signe de la main, les gardes enfermèrent les prisonniers dans une pièce vide, propre mais dépourvue de toute ouverture vers l'extérieur. Il n'y avait qu'une sortie qui donnait sur un couloir séparé du mess par une grille fermée à clé. Au-delà de la grille, vingt gardes les attendaient pour le cas où la mauvaise idée de s'échapper leur passerait par la tête. Si les prisonniers voulaient s'évader, ils devaient percer le mur d'enceinte d'une épaisseur de trois mètres. La configuration des lieux avait dirigé le choix du Messager en vue de leur incarcération.
Slau retourna au palais, animé d'une grande satisfaction. Il se dirigea vers ses appartements privés et pénétra dans sa chambre. Le lit à baldaquin soutenu par quatre colonnes torsadées finement sculptées était surmonté par deux dragons prenant leur envol en haut de la tête de lit. Il approcha Esprit du mur. Des effluves noires dessinèrent un carré, dévoilant un coffre-fort encastré dans l'épaisseur du mur. Il l'ouvrit, posa sur son support la sphère bleue saisie sur Matéo, enclencha le bouclier de protection et referma le coffre. Lorsque son Esprit vola dans sa main, la matière se reforma et il était impossible de connaître l'emplacement du coffre où reposait celui de son ennemi. Même si quelqu'un cassait le mur et réussissait à l'ouvrir, le bouclier l'empêcherait d'atteindre le précieux artefact.
Restés seuls, les trois prisonniers se détendirent peu à peu. Max s'assit contre le mur côté rempart tandis que les deux garçons lui faisaient face, près de la porte. Personne ne parlait. Chacun digérait les événements de la journée. Gibraltar ne s'attendait en aucune façon à se retrouver enfermé alors que la journée avait offert l'esspérance de tant de bonnes choses. Ce qui le peine et l'irritait, ce n'était pas ces espoirs déçus, mais la trahison de la seule personne en qui il avait confiance dans le labyrinthe : Montparnasse. Encore une fois, il se sentait abandonné d'autant plus qu'il avait déjà connu une première traîtrise, celle de Spartans. Il ne put s'empêcher de se demander si Matéo finirait lui aussi par le laisser tomber même si en son for intérieur, il était persuadé du contraire.
Comme en réponse à ses pensées, son compagnon lui donna un petit coup d'épaule.
— Ne t'en fais pas, on va s'en sortir.
— Je ne vois vraiment pas comment, geignit Gibraltar qui tripatouillait avec nervosité son pendentif.
— Hein ! Mon oncle, on va s'en sortir, héla Matéo.
— Je peux voir ce que tu as dans la main ? demanda Max.
— Oui, bien sûr !
Max examina l'objet en holite. Il était composé de deux parties. La première, sans forme particulière, est d'un blanc légèrement saumonné. La seconde, un parallélépipède d'un bleu sombre semblait encastrée dans la partie blanche. Sur une des faces étaient gravés deux M entrelacés.
— Où as-tu trouvé cet objet ? demanda Max.
— Je ne l'ai pas trouvé. Ça a appartenu à ma famille.
— Tu sais ce que signifient les deux M ?
Max s'approcha de Gibraltar pour lui rendre son pendentif.
— Aucune idée, non ! C'est important ?
— J'ai bien connu le Duc Montégo de Mogor.
— Vous avez connu mes parents ? s'exclama Gibraltar.
— Mon père l'a servi et après lui je me suis mis à son service.
— Vous faisiez quoi au palais ?
— J'étais le chef de la garde.
Son esprit avait jusqu'ici refoulé sa vie antérieure mais l'assassinat de ses parents et les événements qui s'en étaient suivis remontaient régulièrement à la surface. Il fit donc le rapprochement entre Max et celui qui avait favorisé sa fuite.
— Alors !..., s'écria-t-il. C'est vous qui... vous êtes sacrifié pour me permettre de fuir ?
Le jeune héritier de Montégo de Mogor le prit dans ses bras et le remercia chaleureusement, heureux de retrouver une trace vivante de son passé. Il lui posa mille questions sur ses parents, sur sa vie d'avant. Au bout d'une heure, Gibraltar ne refoulait plus cet épisode de son existence qui lui apportait à présent de la joie et du réconfort et non plus de la nostalgie et du ressentiment.
Matéo écoutait et se réjouissait de ces retrouvailles. Malgré la situation, l'atmosphère devenait joyeuse et détendue. L'espoir revint et la question de la manière de sortir de ce cachot se posa à nouveau.
— Esprit nous délivrera, assura Max.
— Mais mon oncle, tu sais bien que le Messager me l'a pris.
— Matéo, n'oublie pas qu'il t'a reconnu comme son légitime propriétaire. Slau ne peut rien faire avec. Mais toi, si tu l'appelles, il viendra à toi. Rappelle-toi tout ce que je t'ai appris et ton entraînement.
Matéo se concentra. Il ferma les yeux et forma l'image de la petite boule bleue. Aussitôt elle s'illumina dans le coffre où elle était enfermée. Il la voyait voler à hauteur d'homme, traverser sans bruit et sans impact les murs des habitations, transformant la matière pour passer et la reformant après son passage sans ralentir. Après quoi, il ouvrit les yeux.
— Esprit est en route, informa-t-il ses compagnons sans se douter que Slau savait que celui-ci avait quitté le coffre où il l'avait déposé.
Gibraltar, pragmatique, ne croyait pas trop à toutes ces simagrées mystiques. Le temps où les messagers intervenaient dans les affaires des hommes au moyen de Esprit était révolu depuis longtemps. C'étaient des fables que l'on racontait aux enfants pour les effrayer ou les rassurer mais qui n'avaient aucune consistance.
Son incrédulité fut mise à rude épreuve quand Esprit apparut après avoir traversé le mur d'enceinte et se mit à briller comme un mini soleil et se déposa dans la main de son propriétaire dont le visage émettait des rayons.
— Bien, maintenant, on va sortir de là, proposa Max.
— Je ne vois toujours pas comment, répondit Gibraltar, encore sceptique.
— Montre-lui.
Matéo posa Eprit sur le mur et un rectangle luminescent apparut, laissant voir par transparence l'extérieur. Il n'y avait personne de l'autre côté. Sur l'ordre de Matéo, la matière se dilua et une ouverture se forma. Ils l'empruntèrent. Il tendit le bras et Esprit s'envola dans sa main. Gibraltar en resta bouche bée.
— Matéo, donne-nous trois boucliers, conseilla Max. On ne sait jamais.
Aussitôt trois effluves bleutés apparurent et se concentrèrent en autant de petites boules. Puis, il y eut pour chacune comme une explosion et une onde de choc lumineuse qui s'arrêta de s'étendre lorsqu'elle atteignit un diamètre égal à la longueur du bras. Enfin, le cercle se remplit de matière pour laisser apparaître les boucliers. Ils suivaient et assuraient la protection de chacun des prisonniers. Comme ils ne détectèrent aucun danger, ils prirent la forme d'une petite bille noire, prête à se déployer au moindre tir.
— Cool ! s'exclama Gibraltar.
À peine dehors, des coups de feu éclatèrent que les billes, transformées en un clin d'œil en rondaches interceptèrent. Malgré tout, les gardes continuaient de tirer, sans succès. À l'abri des boucliers, Matéo créa des ceintures avec deux pistolets à plasma ainsi qu'un kit de vol fixé au dos par des bretelles.
Leurs ailes métalliques se déployèrent et tous trois prirent leur envol.
— Cessez le feu !, ordonna Slau. Tirez s'ils se posent. Tant qu'ils sont en l'air, je m'en occupe.
Le Messager tendit le bras, Esprit devant sa paume relevé. Un vortex noir se forma et une dizaine de serpents à plumes s'en échappèrent et s'élancèrent vers les fuyards. Slau rejoignit sa barge et s'éleva pour mieux contrôler l'action des quetzalcoalts.
Ces derniers, verts sur le dessus et jaunes dessous, étendirent leurs longues rémiges multicolores. Leur queue se terminait en panache qui les aidait à garder l'équilibre. Leur tête était ornée d'une crinière touffue de duvet soyeux. Tout le long de leur corps aux reflets iridescents, des plumes qui restaient plaquées au corps lors des déplacements au sol, se déployaient pour augmenter la portance. Les ondulations de leur corps leur conféraient une vitesse hallucinante.
Ils dépassèrent rapidement les trois fugitifs et formèrent une ligne qui leur barrèrent le chemin et les obligèrent à faire demi tour en direction du Messager. Pris entre deux feux, les évadés s'levèrent à la verticale, poursuivis par les reptiles. Ils pointèrent leurs armes à plasma vers le bas en écartant bien les jambes et touchèrent quatre d'entre eux qui se transformèrent en poussière lumineuse, puis effectuèrent une large courbe pour redescendre.
Un des serpents réussit à se poser sur l'aile droite de Matéo et se dirigeait tant bien que mal vers sa gorge, malgré la vitesse. Le jeune homme effectua des virages serrés pour l'éjecter mais rien n'y fit. Max l'abattit au moment où il se redressa pour le mordre. Tous deux virent Gibraltar en mauvaise posture. Deux serpents l'attaquaient de front et avant qu'ils ne l'atteignent, il exécuta un salto arrière si près de ces derniers que son visage effleura les plumes de leurs corps sinueux. Il se retourna et leur fit goûter à son plasma.
— Va aider Gibraltar. Je m'occupe du Messager, s'écria Matéo, le souffle coupé après toutes ces émotions.
Il exécuta un large détour pour prendre à revers Slau qui était concentré sur les deux compagnons se débattant avec les trois quetzalcoalts restant. Gibraltar vola sur le dos et tua un quatrième. Il chercha mais ne vit aucun quetzalcoalt. Il s'apprêtait à rejoindre Max quand surgit au-dessus de lui un serpent aux plumes plaquées sur le corps pour gagner en vitesse. Il n'eut que le temps de le prendre à deux mains à la gorge et le maintenait avec difficulté éloigné de son visage. Il voyait sa gueule grande ouverte ainsi que les terribles crochets. Le serpent avait une force extraordinaire et Gibraltar hésitait à relâcher son étreinte pour prendre son pistolet. Il remonta les genoux, coinça la bête entre ses jambes et la tira en arrière. Il put ainsi libérer un bras, saisir son pistolet et envoyer une giclée de plasma bien sentie.
Quant à Max, il vit le dernier quetzalcoatl onduler à toute allure vers lui. Il déversa une mitraille de plasma qui finit par transformer l'animal en poussière lumineuse.
Gibraltar le rejoignit et tous deux se dirigèrent vers la barge du Messager. Celui-ci envoya dix autres serpents plus gros que les précédents. Tous deux déchargèrent sur eux tout le plasma qu'ils pouvaient. Matéo grimpa sur le toit de la barge et sauta sur le pont. Ses ailes se rétractèrent. Il effectua un balayage qui déséquilibra le Messager et en profita pour récupérer son Esprit. Slau, srupris d'une telle hardiesse, s'élança pour récupérer son bien mais Matéo lui envoya son pied au visage. Il n'attendit pas qu'il se remette de ce coup pour lui décocher une droite. Son adversaire esquiva et immobilisa le bras que lui envoyait Matéo. Désormais face à face, le jeune homme soutint le regard de son belligérant, mais étrangement n'y vit aucune haine mais une froide détermination. Plus souple, il pivota sur les talons pour se retrouver dans le dos de son adversaire et l'immobilisa avec une clé. Son cœur battait à tout rompre car il se rendait compte qu'après avoir combattu les terribles serpents à plumes, il était en train d'engager un corps à corps avec le Messager lui-même, celui que tous craignaient par-dessus tout. De mémoire d'homme, personne n'aurait pu imaginer une telle outrecuidence.
Soudain, un choc secoua la barge qui commença à perdre de la haureur dans un nuage de fumée, précipitant les deux combattants contre les parois. Max venait de détruire le système de sustentation. Matéo se releva et quitta le véhicule d'un battement d'aile. En rejoignant ses amis, il jeta l'Esprit de Slau.
Il faisait nuit et pendant que la barge se fracassait lourdement au sol, tous trois se dirigèrent vers la première station pour disparaître dans les profondeurs du labyrinthe.
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