La quête 1 : Le village de Fatata
La nuit fut courte mais le sommeil profond et réparateur pour Matéo, sans cauchemar. Terrassé par la fatigue d'une journée riche en émotions, il avait dormi d'une traite. Les cris de ses deux compagnons pataugeant dans l'eau le réveillèrent. Il se leva et s'approcha de la rive pour comprendre la raison de ce tumulte matinal.
— Tu viens ? invita Gibraltar. Elle est un peu froide mais ça ravigote.
— Tout à l'heure peut-être !
La veille, lorsqu'il était perché sur une branche du palétuvier, il avait aperçu un scintillement au loin. Il décida d'y retourner pour repérer les lieux. Du sable, du sel et des débris végétaux recouvraient le sol. Au milieu de l'île, il remarqua un trou béant au-dessus d'une cavité remplie d'eau et, sous ses pieds, du béton armé duquel sortaient des tiges de fer tordues. Cela lui rappelait la construction dans laquelle il s'était réfugié pendant sa fuite avec Gibraltar, après avoir tiré sur le condamné. Il en conclut que l'île était artificielle et se demanda qui avait pu édifier une telle structure au milieu de la mer et dans quel but.
Il finit par atteindre la côte ouest d'où il avait aperçu la lueur la veille. En scrutant attentivement l'horizon, il vit une terre qui se détachait à peine du bleu du ciel. Il demanda à Esprit de matérialiser des jumelles, puis inspecta la rive en face. Il découvrit un village au fond d'une crique avec sa marina, ses appontements et quelques bateaux. Il en conclut que ses habitants devaient vivre de la pêche, des gens pacifiques en somme. Il décida d'y accoster afin de se ravitailler et de se renseigner sur le meilleur itinéraire pour se rendre à Paname.
Il retourna vers ses compagnons qui prenaient toujours autant de plaisir à leur bain matinal. Il matérialisa des lunettes de plongée, emporta le respirateur, se déshabilla et plongea.
— Tu veux faire quoi avec tout ça ? demanda Gibraltar en désignant les lunettes et le respirateur.
— Vérifier quelque chose. Toi qui veux des preuves de la vie avant le Grand Chaos, tu devrais venir avec moi, proposa Matéo, énigmatique. J'ai laissé du matériel de plongée pour toi au camp.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les deux jeunes hommes disparurent sous la surface. Ils suivirent une falaise à pic couverte de concrétions calcaires. Des myriades de poissons peuplaient l'étendue sous marine. Des coraux avaient envahi les parois verticales tandis que les algues offraient le spectacle d'un ballet incessant au gré des courants. Des ouvertures disposées à intervalles réguliers formaient un quadrillage qui n'avait rien de naturel. Matéo, suivi de Gibraltar, décida de s'engager dans l'une d'elle et découvrit une espèce de grotte. De petites stalactites pendaient du plafond. Des carcasses de meubles métalliques recouvertes de limon jonchaient le sol. Au fond, un passage donnait sur une autre pièce.
La configuration des lieux leur rappelaient les immeubles construits par les ancêtres et laissés à l'abandon. Pour en avoir le cœur net, Matéo fit signe à Gibraltar de le suivre. Tous deux s'éloignèrent et eurent une vue d'ensemble : ils découvrirent un immeuble immergé. Tout autour d'eux, sous leurs pieds, d'autres constructions se dressaient, témoins silencieux de la vie qui avait fleuri en ces lieux qu'une faune et une flore marines variées et nombreuses hantaient désormais.
Matéo pointa son index vers le haut et tous deux remontèrent.
— C'est incroyable ! s'exclama Gibraltar. Il y a tout un village ici. Tu as vu ces grandes tours à perte de vue ? C'est gigantesque !
— Tout est si bien conservé ! répondit Matéo en remontant de l'eau. En fait, on n'est pas sur une île, c'est juste le toit terrasse d'une de ces tours qu'on a vues.
— Mais comment ont-ils fait pour construire des bangas aussi hauts ? Celui sur lequel on est doit faire plusieurs dizaines de mètres et après plus de trois cents ans, il est toujours debout.
Baby les écoutait, perplexe, se demandant ce qui pouvait les rendre aussi surexcités. Pour une fois, il regrettait d'être aveugle et de ne pouvoir partager leur enthousiasme.
— Il faut penser à repartir, le soleil commence à être haut dans le ciel.
— On prend quelle direction ? s'enquit Gibraltar.
— Hier soir, j'ai repéré une petite lumière. C'est un village de pêcheurs je pense, on ne risque rien à leur rendre visite pour acheter quelques provisions.
— Il reste des fruits. On peut les finir avant de partir.
— J'ai une petite faim aussi, mais avant, j'ai un devoir à remplir.
Esprit matérialisa un récipient funéraire. Matéo le remplit des cendres de la crémation et le déposa dans la jangada. Ils embarquèrent et bientôt l'esquif atteignit sa vitesse de croisière.
Baby barrait sous la supervision de Gibraltar. Matéo se pencha sur l'eau claire. Il entrevit des formes et imagina la vie grouillante qui avait animé ce gigantesque village. Il décida que l'endroit était indiqué pour que Max rejoigne les ancêtres. Il prit une poignée de cendre et la laissa s'écouler lentement de sa paume. Il vida ensuite le contenu de la jarre dans l'eau, une petite quantité à la fois.
Une grande tristesse l'envahit. Jusqu'à cet instant, il avait toujours eu sous les yeux un élément physique de l'existence de Max, mais c'en était fini. Il devait faire son deuil : Max n'était plus. Il était seul dans ce vaste monde à présent, mais pas sans repère. Il se souvenait des paroles de son mentor : trouver le visionnaire de Paname. Alors, il sut qu'au delà de la mort, le vieil homme était encore à ses côtés. Il était déterminé à achever son oeuvre en recherchant son père biologique. Il remplit la jarre et la laissa couler, suivant des yeux sa descente hiératique jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la pénombre des profondeurs. Il releva la tête, regarda ses deux compagnons et réprima une irrépressible envie de pleurer.
La brise marine favorisait la navigation. La jangada filait plein ouest avec un fort vent arrière si bien que la côte approchait rapidement. Matéo repéra la crique aperçue plus tôt dans la journée et mit le cap sur l'éperon rocheux qui en indiquait l'entrée. Au fond de l'anse, un village s'agrippait au versant du coteau. Sur la droite une marina avait été aménagée contre la falaise. Des pontons bien entretenus en facilitaient l'accès. Un embarcadère séparait la marina de la plage de sable blanc. Au-dessus, sur une terrasse, des femmes faisaient sécher des poissons sur des claies. D'autres, sur leur esquif, levèrent un visage interrogateur sur leur embarcation. Leur étonnement mêlé à de l'incrédulité montrait, si besoin était, que les visites étaient rares, suffisamment rares pour susciter la curiosité et une certaine effervescence.
La jangada aborda l'extrémité du débarcadère. Gibraltar attacha le cordage à la bite d'amarrage pendant que Matéo aidait Baby à débarquer. Les trois visiteurs marchaient d'un pas mal assuré en se demandant s'ils étaient les bienvenus.
— Tu vois bien ! Ce n'est qu'un village de pêcheurs ! remarqua Matéo.
Il se demandait s'il avait prononcé ces paroles sensées être rassurantes pour lui-même ou pour ses compagnons.
— Ce sont des gens paisibles, ils ne feraient pas de mal à une mouche !
— Tu essaies de convaincre qui ? rétorqua Gibraltar.
Une volée de flèches se planta bruyamment dans le bois du ponton, stoppant toute velléité de poursuivre leur progression vers le village.
— Allez-vous en ! Vous n'êtes pas les bienvenus.
Trois guerrières leur barrèrent la route à une vingtaine de mètres. Elles portaient une tunique qui leur descendait à mi-cuisse. Une ceinture en cuir leur serrait la taille. Un plastron constitué de cuir et de métal protégeait leur torse. Un carquois fixé dans le dos, des jambières et des sandales achevèrent de leur donner une allure qui se voulait martiale.
— Nous ne cherchons pas d'histoire, expliqua Matéo pas très rassuré. Nous voulons juste nous approvisionner et vous demander l'hospitalité pour la nuit...
— Dans ce cas, allez passer la nuit ailleurs ! vociféra l'une des amazones.
Pour rendre la menace plus explicite, une seconde volée de flèches atterrirent à quelques dizaines de centimètres des trois visiteurs. D'instinct, ils reculèrent d'un pas. La précision des tirs montrait la capacité des archères à les atteindre sans problème.
— On se débranche, murmura Gibraltar à l'adresse de Matéo. Je n'ai pas envie d'affronter cette bande de mégères.
— Je suis d'accord.
Ils se retournèrent pour rejoindre la jangada quand une voix les arrêta net.
— Attendez !
Une femme d'âge mûr, au visage ridé, passa devant les archères. Elle était vêtue d'une longue tunique de lin qui lui descendait jusqu'aux chevilles. Une ceinture bleue en soie serrait la taille. Sa coiffure sofistiquée tout en tresses et ondulations donnait de l'autorité et de la dignité à son port de tête.
— Révérende Mère, ce sont des hommes ! s'exclama la plus grande guerrière, l'air choqué.
— Je sais mon enfant, mais ce ne sont pas de visiteurs ordinaires. C'est un honneur de les recevoir. Forsytia, allez annoncer leur venue.
La dénommé Forsytia comprit très exactement les implications de l'ordre reçu.
La Révérende Mère se dirigea vers les trois 'hommes' en leur tendant les bras.
— Pardonnez cet accueil peu avenant. Vous êtes à Fatata. Je suis la Révérende Mère Fortunée. Nous sommes un village de femmes qui ont fait vœu de virginité. C'est pourquoi, nous n'acceptons aucun homme en notre sein.
Les deux garçons se regardèrent, surpris de la tournure des événements ainsi que de cette coutume bizarre.
— Il n'y a rien à pardonner, madame, répondit Matéo. C'est à nous de nous excuser du trouble causé par notre présence.
— Venez, suivez-moi Monseigneur ! Je vous conduis à la Maison Shiloh préparée pour vous depuis bien des années.
Matéo vit que la Révérende Mère s'adressait à lui personnellement et avait relevé ses paroles énigmatiques. Il fit néanmoins rien paraître de sa stupéfaction.
Arrivé à l'extrémité de l'embarcadère, le petit groupe, toujours escorté par les deux guerrières, emprunta la rue principale entrecoupée de places et d'escaliers qui les menèrent dans la partie haute, plus arborée, qui donnait une vue magnifique sur la rade. Sur leur parcours, des femmes agitaient des foulards de toutes les couleurs tant des fenêtres que dans la rue, déclinant leur plus gracieux sourire.
Finalement, ils parvinrent à une maison en bois laqué richement ouvragé. Des oriflammes en lin bleu lagon cousu de fils d'argent flottaient au vent. L'intérieur était composé de poutres de toutes tailles savamment enchevêtrées, rouges pour le plafond et bleu céruléen pour les murs agrémentés avec goût d'arabesques dorées. Des panneaux polychromes au graphisme raffiné représentaient des scènes de pêche ou de bain. D'autres montraient la faune et la flore dans leur décor naturel. Des arbustes à fleurs agrémentaient l'espace. Un bassin délivrait ses froufrous apaisants. L'ensemble n'agressait pas le regard et incitait au calme et à la douceur de vivre tandis qu'un doux parfum euphorisant s'échappaient des boules à encens. Les deux garçons n'osaient élever la voix de peur de rompre la quiétude des lieux.
La Révérende Mère les toisa des pieds à la tête.
— Nous servirons le déjeuner dans une heure. Je vous invite à prendre un bain et à vous changer. Des novices vous montreront le chemin.
Pendant que la Révérende Mère s'éclipsait, trois novices les invitèrent à les suivre.
Quand ils revinrent dans la pièce de vie toujours escortés par leurs jolies guides, la table était dressée pour quatre personnes. Les couverts en porcelaine étaient décorées de fleurs et de feuilles. Les gobelets en métal présentaient des ciselures colorées. Deux ikebanas rompaient la rigueur du dressage. À Fatata, le luxe de la vaisselle ou un dressage sophistiqué n'étaient que secondaires. Les convives étaient l'élément important qui devait focaliser l'intérêt.
Les garçons portaient un pantalon gris à liserés noirs, une veste bistre à col officier noir au-dessus d'une chemise de soie bleu indigo. Pour le village, ces couleurs constituaient les attributs masculins qui permettaient de les repérer facilement, les habitantes se vêtant de façon colorée à l'exception de la Révérende Mère, toujours en blanc.
Après que chacun ait pris place, la Révérende Mère prit la parole.
— Comme vous le constatez, nous menons une vie paisible. Nous prélevons à la mer ce qui nous est nécessaire. Nous pratiquons également la culture de légumes et surtout de plantes médicinales avec lesquelles nous préparons onguents, beaumes, pommades et autres remèdes que nous fournissons à ceux qui en ont besoin.
— J'ai entendu dire que les anciens avaient abandonnés ces pratiques et que la connaissance de ces plantes a été perdue. Vous avez pu retrouver des archives ? intervint Gibraltar, toujours intéressé par les modes de vie d'avant le Grand Chaos.
— Si vous êtes intéressé par les choses du passé, je vous suggère d'aller au village suspendu. Là où demeurent les Gardiens des savoirs disparus.
Fortunée se tourna vers Matéo.
— Dites-moi, Monseigneur, quel est le but de votre visite ?
— Nous avons besoin de quelques provisions et de nous reposer pour la nuit avant de reprendre notre route.
— Serait-il indiscret de demander votre destination ?
— Nous désirons rejoindre le village de Paname.
— Ah ! Le village de Paname ? répéta la vieille femme. C'est un bien long voyage que vous entreprenez là, Monseigneur. Avez-vous une raison particulière d'aller si loin ?
— Je désire rencontrer le visionnaire de Paname, expliqua Matéo, quelque peu réticent à révéler ses projets.
Gibraltar leva les yeux de son assiette. Il trouvait son ami bien imprudent de dévoiler ainsi leur projet et lui jeta un regard désapprobateur. Baby se contentait d'apprécier le moment présent et son repas.
— Je le connais fort bien, le rassura Fortunée qui perçut son trouble. Très bon choix ! Vous serez étonné de sa manière d'enseigner et de guérir les blessures de l'âme. J'imagine que vous désirez le rencontrer pour recevoir son enseignement ?
— Heu ! Non !... Pas tout à fait, balbutia le jeune homme.
La Révérende Mère le fixa intensément, feignant la surprise. Toute son attitude indiquait qu'elle attendait la vraie raison de ce voyage.
— Je crois... Enfin, je pense qu'il peut m'aider à retrouver mon père, finit-il par avouer.
— Très intéressant, déclara son interlocutrice qui se servit à boire
— Il y a une chose qui excite ma curiosité depuis notre arrivée, se permit timidement Matéo pour changer de conversation. Si votre village est interdit aux hommes, pourquoi nous avez-vous permis d'y séjourner ?
— Question très intéressante ! se contenta de répondre Fortunée.
Elle pose beaucoup de question mais elle ne répond à aucune, remarqua Gibraltar. Elle ne m'inspire pas confiance avec ses manières doucereuses.
La Révérende Mère lui rappelait une autre personne qui posait beaucoup de questions mais n'en répondait à aucune et qui lui avait laissé un souvenir des plus déplaisants : Spartans.
— Allons prendre le thé dans le jardin, proposa-t-elle pour toute réponse. Tu te joins à nous ?
— Non, merci ! déclina Gibraltar. Je ne bois pas de thé et Je vais rester avec Baby.
Il suivit du regard son hôtesse et Max sortir par les grandes baies latérales qui donnaient sur le jardin.
Les deux promeneurs empruntèrent une allée dallée bordée de parterres de jacinthes rouge saumoné et d'agastaches bleues en début de floraison, ces dernières avait été choisies pour leur aspect décoratif, leur parfun subtil et leurs vertus médicinales. Ils parvinrent à un bosquet semi circulaire composé de junipérus et d'ormes nains du japon. Un parapet protégeait les promeneurs de la falaise et offrait une vue dégagée sur le village. L'air du large mêlait les senteurs marines aux fragrances des talus en fleurs. Une table circulaire et des bancs de pierre en forme d'arc les invitaient à s'asseoir. Deux jeunes novices leur versèrent du thé et s'éloignèrent discrètgement, leur service accompli.
— Comme vous le voyez Monseigneur, nous bénéficions d'une vie simple et paisible, loin des règles arbitraires du duché. Sangamouji nous traite de barbares sous prétexte que nous refusons de nous soumettre à son autorité.
— C'est pour cette raison que vous vous êtes retirées du monde ?
— Oh mais non ! Nous ne sommes pas retirées du monde !
— Pourtant, vous vivez cachées. Vous refusez tout contact avec les hommes, je veux dire les personnes de sexe masculin.
— En effet. Mais ces jeunes filles viennent ici de leur plein gré. Elles ne sont pas prisonnières. Elles peuvent partir quand elles le désirent et revenir à leur convenance, sous la seule condition de conserver leur virginité. Vous vous demandez sans doute pourquoi cette règle n'est-ce pas ? Elles ont consacré leur vie au messager. Pas à Slau, au vrai messager ! Elles attendent le Shiloh, celui qui doit venir, l'Élu qui rétablira toutes choses.
— Je n'ai jamais entendu parler de cet enseignement, s'étonna Matéo.
— C'est pour se concentrer sur cette attente et ne pas se laisser distraire que nous refusons les hommes dans notre village. La vie de famille a ses joies mais aussi ses turpitudes qui peuvent nous empêcher de nous consacrer entièrement au service du messager.
— Dans ces conditions, je ne comprends pas pourquoi vous nous aviez permis de rester et pourquoi les femmes nous ont accueilis, mes compagnons et moi, en brandissant leur foulard.
La Révérende Mère fixa intensément Matéo dans les yeux avec une bienveillance toute maternelle au point que le jeune homme en fut gêné.
— Mais parce que l'Élu, le Shiloh, c'est vous Monseigneur. Je pensais que vous l'aviez compris.
— Je ne suis rien, se défendit Matéo. Je ne sais pas qui est ma mère et je n'ai jamais connu mon père. Qui suis-je pour être l'Élu des messagers ? C'est absurde, voyons ! Je ne suis qu'un humain dont l'unique ambition est de retrouver son père.
La Révérende Fortunée ne réagit pas à ce déni entêté. Elle se contenta de le regarder avec douceur.
— Vous avez dit au cours du repas que vous connaissez bien le visionnaire de Paname. Comment cela se peut-il alors que vous ne bougez pas de ce village ? Je ne veux pas mettre en doute vos paroles Révérende Mère mais je veux seulement m'assurer que vous pourrez m'aider à le trouver.
— Vous ne le savez pas encore Monseigneur, mais tous les visionnaires du monde habité sont en contact les uns avec les autres. Ils forment un réseau toujours en connection. Les Enkidus nous servent de relais. Celui de Paname a été choisi pour vous enseigner et vous aider à accepter la vérité sur vous et sur votre père.
Matéo remua la tête de gauche à droite en signe de dénégation.
— Tout cela est absurde, répéta-t-il. Comment pouvez-vous être à ce point certaine que je suis le Shiloh ? Toutes les apparences affirment le contraire.
— En êtes-vous si sûr ?
La question le désarçonna. Il baissa les yeux pour éviter de soutenir le regard doux mais intimidant de son interlocutrice.
— Quand je suis devenue Révérende Mère trente tois ans en arrière, le visionnaire de Paname m'a transmis un message de la part du messager : je ne mourrai pas avant d'avoir vu l'Élu, le Shiloh et quand je le verrai, j'aurai une vision des terres qui sont au-delà. Lorsque vous vous êtes approché avec vos compagnons sur votre embarcation, j'ai reçu cette vision. Je me suis précipitée pour vous accueilliravant que les sœurs en charge de la sécurité ne vous expulsent comme il se doit. Je n'ai aucun doute sur ce point. Les sœurs ont foi en cet enseignement et la nouvelle circule déjà que l'avènement du Shiloh est proche.
— Bon.. bien ! balbutia Matéo. Je réfléchirai à tout ce que vous m'avez dit aujourd'hui. Soyez remerciée pour le temps que vous m'avez consacré. Je dois rejoindre mes compagnons à présent.
— A votre guise Monseigneur !
La Révérende Mère le quitta en arrivant à la Maison Shiloh. Des novices conduirent Matéo au premier étage, mais il refusa la suite royale et préféra partager l'appartement de ses compagnons.
— Alors !? demanda Gibraltar. Elle t'a dit quoi ?
— Rien ! Que des bêtises !
— Elle n'a dit que des bêtises pendant une heure ? J'y crois pas ! C'est secret ? J'ai pas le droit de savoir ? Ah ! C'est elle qui ne veut pas, c'est ça ? J'étais sûr qu'on ne pouvait pas lui faire confiance à celle-là !
— Non, ce n'est pas ça ! Elle a parlé de l'avènement de l'Élu des messagers et elle s'imagine que cet Élu, c'est moi. Voilà !
— Ah mince ! La pauvre, elle n'a pas toute sa tête !
— Profitons de pouvoir dormir dans un bon lit pour nous reposer. Je pense qu'on ne trouvera plus le même confort avant longtemps, répondit Matéo avec un enthousiasme affecté.
— Justement, à ce sujet ! On ne peut pas en profiter encore une semaine ou deux ? C'est pas mal ici ! L'auberge est de qualité.
— Il faut partir demain ! Si les gardes de Slau nous trouvent ici, ils risquent de faire un mauvais sort à ce village.
— C'est pas vrai ! Qu'est-ce qui m'a pris de m'acoquiner avec un type qui ne pense qu'aux autres ? Je me demande pourquoi je te suis comme un petit chien. Ah si, je sais ! Sans moi, tu ne ferais pas cent mètres sans te prendre les pieds dans une racine ! T'es d'accord avec moi Baby ?
— Tu as l'intention de maugréer le reste de la journée ? le coupa Matéo. Essayons plutôt de trouver un itinéraire pour demain !
Les deux amis passèrent ainsi un long moment à deviser sur la meilleure route pour se rendre à Paname.
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