Paname 2 : Le village suspendu

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Les voyageurs n'eurent pas à effectuer un détour pour se rendre au village suspendu. Il représentait une escale sur la route de Paname. Matéo avait conçu une barge plus confortable pour ce qui était devenu davantage une croisière qu'une fuite. Mais il savait que Slau n'abandonnait pas. Aussi il savourait ces journées paisibles en compagnie de ses amis, juste compensation du harcèlement violent qu'il subissait chaque nuit. Il avait hâte de rencontrer le visionnaire qui pourrait l'aider à gérer ses cauchemars.

 Gibraltar enseignait le pilotage à Baby qui prenait un plaisir évident à diriger l'engin même s’il ne pouvait lire le ludique scan holographique du tableau de bord. À cette altitude, il ne risquait pas de défoncer un arbre ou de s'encastrer dans une montagne. Quelques vallonnements s'annonçaient à l'horizon au milieu d'une plaine assez morne.

 Matéo regardait ses amis et se disait qu'il était le plus chanceux des hommes parce qu'ils acceptaient de l'accompagner dans sa quête. Depuis son départ, bien des choses avaient changé dans sa vie. Ce qui lui rappela la mort de son oncle et une bouffée d'émotions le submergea. Il pensait aussi à toutes ces rencontres qui avaient enrichi son existence. Il n'espérait qu'une chose : que Max, son père adoptif, soit fier de lui.

 Il jeta un regard vers le bas et distinguait la trouée que constituait l'ancienne route qui reliait Chevoncourt à Bar-le-Duc. Le terrain s'éleva en pente douce au niveau de Vavincourt jusqu'au fjord. Puis la route fut cisaillée par un canyon envahi par la mer, qui débouochait sur lr fjord dont toute la face nord était formée par une falaise de trois cents mètres. L'autre rive restait plate. Gibraltar en conclut que, lors du Grand Chaos, toute cette partie s'était soulevée.

 Il descendit dans le canyon et chercha en vain le village suspendu. Kéran avait affirmé qu'il était construit à flanc de falaise.

— Monte vers ces buissons qui poussent à mi-hauteur, suggéra Matéo.

 En s'approchant, il constata que la végétation cachait des constructions bâties sur le modèle de nids de tisserin. Sur un plancher accroché à la roche étaient fixés des paravents constitués d'un tissage sur un cadre en bambou. Comme pour le village dans les arbres, chaque habitation était reliée aux autres par des marches et des passerelles en bois. Des cordes permettaient de descendre au pied de la falaise. Au-dessus, des ruches sauvages pendaient sur lesquelles les cueilleurs armés de panier prélevaient les alvéoles remplis de miel.

Gibraltar immobilisa la barge au niveau d'une des maisons.

— Bonjour, y a quelqu'un ?

 Une petite fille montra la tête et le fixa de ses jolis yeux noisette sans répondre. Puis l'enfant disparut. Quelques instant plus tard, une femme apparut. D'autres personnes sortirent sur les terrasses. Il semblerait que tout le village montrait le bout de son nez pour assouvir sa curiosité. Matéo, avec la permission de la femme, sauta sur la terrasse.

— Nous sommes désolés de vous déranger, mais on nous avait dit qu'il était possible de consulter les archives.

 La cheffe du village, aux formes voluptueuses, drapée dans une espèce de toge brun clair, fonça vers lui avec une telle détermination qu'il crut qu'elle allait le percuter.

— Jeune homme, votre gros engin n'est pas très discret. Il faudrait le déplacer. Vous allez nous faire repérer.

— Pardonnez-moi, je fais le nécessaire de ce pas.

 Il aida Baby et laissa le temps à Gibraltar de débarquer. La Cheffe ne voyait pas d'un bon œil le débarquement alors qu'elle venait de demander de déplacer la barge.

— Tout de suite ! ordonna-t-elle. Vous ne comprenez rien ou vous le...

 Elle s'interrompit car le véhicule se dématérialisait sous ses yeux. Un Oh ! de stupéfaction jaillit de la foule des curieux amassés sur les terrasses.

— Jenna, fais entrer tes invités.

— Ce ne sont pas "mes" invités.

— Maintenant, ils le sont ! rétorqua Masha.

 La cheffe se tourna vers Matéo

— Par quel prodige avez-vous fait disparaître votre machine ?

— Il n'y a pas de prodige. Le messager avait confié Esprit...

— Vous avez Esprit ? s'exclama-t-elle sur un ton super aigu. Ah, désolée ! Continuez !

— Le messager avait confié Esprit à mon oncle, enfin mon père adoptif et à sa mort, il me l'a laissé.

 Une certaine effervescence parcourut l'assistance entassée à l'extérieur.

— Votre oncle devait être quelqu'un d'important alors. Que venez-vous faire chez nous ?

— Nous voulons consulter les archives sur les ancêtres, sur la vie avant le Grand Chaos, expliqua Gibraltar

— Et vous êtes venus spécialement pour consulter les archives, c'est cela ?

 Les deux jeunes hommes répondirent en même temps.

— Exact !

— Enfin, pas tout à fait. Nous voulons rencontrer le visionnaire de Paname et vous êtes sur notre route. C'était une opportunité car mon ami que voici aimerait consulter les archives.

— Je transmettrai votre demande aux Gardiens. Vous pourrez rester chez Jenna si elle est d'accord... Parfait. Je vous informerai dès leur décision prise.

 En sortant, elle dispersa l'attroupement devant la maison suspendue à la falaise.

 Jenna montra à ses trois hôtes la pièce qu'elle leur a réservée. Pendant qu'ils prenaient possession des lieux, elle installa des rideaux pour préserver leur intimité.

 Quand elle eut terminé, un homme héla à la porte.

— Il y a quelqu'un ?

— Entre Matauri ! Que me vaut l'honneur de ta visite ?

— Puis-je parler à tes invités ?

— Eh bien ! Les nouvelles vont vite !

 Matéo et Gibraltar sortirent de leur alcôve.

— Pardon de vous déranger. Voulez-vous nous accompagner pour une partie de pêche ?

 Ils se jaugèrent du regard et après une courte hésitation, Gibraltar accepta l'invitation.

— En ce qui me concerne, je reste avec Baby.

— Ma fille Kara et moi, nous prendrons soin de votre frère. N'ayez pas d'inquiétude.

— Vous êtes sûre que...

— Oui, elle est sûre, s'impatienta le jeune homme qui tira son ami par le bras sous le regard amusé de Jenna.

 Trois hommes les rejoignirent et la petite troupe emprunta diverses terrasses, escalada et descendit nombre de marches avant de parvenir à une passerelle qui menait à une plate-forme circulaire s'élevant à environ cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer. Deux potences y étaient installées.

— Vous voulez pêcher de cette hauteur ? s'étonna Gibraltar. Là, je suis largué !

— En fait, ici, on nous appelle des plongeurs et non des pêcheurs. Vous allez comprendre.

 Deux plongeurs montèrent sur la balustrade, s'agrippèrent à la poutre, passèrent une corde par la poulie à l'extrémité de la partie horizontale, puis l'attacha au pilier vertical, ce qui leur demanda pour exécuter la manœuvre une gymnastique qui n'était pas sans risque.

— Je vais vous montrer comment on procède. Je vous conseille de vous déshabiller si vous ne voulez pas tremper vos vêtements.

 Un plongeur lui attacha les deux jambes au niveau des chevilles, un second l'aida à s'asseoir sur la balustrade, les pieds dans le vide et lui présenta un harpon. La transparence de l'eau laissait distinguer les poissons qui nageaient tranquillement.

 Matauri s'élança dans le vide, le harpon en avant et disparut dans une gerbe d'écume. Aussitôt, ses compagnons le remontèrent, donnèrent du mou lorsqu'il s'agrippa au parapet pour lui permettre de poser pied à terre.

— A vous maintenant. Comme vous êtes débutant, on va attacher le harpon autour de votre taille au cas où vous le lâcheriez.

 Gibraltar sentit une poussée dans le dos. Il voyait la surface de l'eau approcher rapidement, trop rapidement et s'efforça de ne pas hurler. Il baissa la tête dans le prolongement de son corps juste avant la pénétration dans l'eau, maintenant le harpon dans l'axe. L'eau ralentit sa chute, puis il sentit la corde tirer sur ses jambes et bientôt il jaillit de la mer, tel un exocet.

— Yohou ! exulta-t-il.

 En posant pied sur la terrasse, il aperçut le poisson à l'extrémité de son arme.

— J'ai réussi ! J'ai réussi !

— En effet, c'est la chance du débutant, mais félicitations quand même. Vous pourrez déguster votre pêche ce soir. Jenna se fera un plaisir de le préparer pour vous.

 Ils exécutèrent encore quelques sauts pour le plaisir. Après avoir ôté leur pagne mouillé, ils s'habillèrent, puis Matauri leur fit visiter la cité suspendue. Les constructions étaient constituées de panneaux de formes variées, agencés avec art : tantôt les parois étaient triangulaires, tantôt ovales, mais toutes donnaient une impression de légèreté, d'aérien et il était difficile de croire qu'elles étaient solidement fixées à la roche. Elles semblaient flotter au gré du vent et on s'attendrait presque à les voir emportées à tout moment.

 Quand ils revinrent au domicile de Jenna, il était le milieu de l'après-midi.

— Matauri vous a montré ses techniques de pêche ?

— Oui, j'ai beaucoup apprécié. On n'est pas rentré bredouille. Matauri nous a dit que vous pourrez le préparer pour ce soir. Je pense qu'il est assez gros pour nous tous.

— Il faut le manger tant qu'il est frais.

 Après ces quelques heures de détente, Matéo pensait à Baby et se sentit un peu coupable de l'avoir laissé avec des inconnus pendant qu'il s'amusait.

— Comment s'est passé l'après-midi avec Baby ?

— Kara s'est occupée de lui. Au début, il est resté, tête basse, assis à la table et a refusé tous les jouets qu'elle lui présentait. Puis il a pris un fusain et s'est mis à dessiner. J'ai trouvé intéressant de vous montrer son chef d'œuvre. Tenez !

Les traits étaient maladroits, mais la scène explicite : un homme tirait sur les cheveux d'une femme à ses pieds. Il tenait un couteau avec une goutte qui tombait. Sur le côté droit, un soldat retenait un enfant. Une voûte couronnait l'ensemble. La noirceur et le désespoir se dégageaient du dessin. Matéo se sentait bouleversé et heureux à la fois, bouleversé parce que Baby fut le témoin d'une scène d'une indescriptible horreur et heureux parce que, pour la première fois, il s'exprimait sur cette acène atroce dont il fut le témoin.

 Il jeta un œil dans leur quartier : Baby dormait. Il resta un instant à le contempler, puis sortit sur la terrasse. Le jeune "dormeur" ouvrit les yeux : dessiner lui fit du bien, mais raviva des souvenirs terribles.

 Matéo posa les mains sur la balustrade, le regard perdu dans les profondeurs de l'étendue d'eau du canyon. Il pensait à Baby qui s'efforçait de raconter pour la première fois ce qu'il avait vécu et se demandait si cela pouvait avoir un rapport avec l'arbre médecine. Son jeune compagnon semblait manifester la volonté de communiquer avec son entourage depuis son étreinte avec le majestueux végétal. Si cela s'avérait, il se devait de lui répondre. La présence de Gibraltar l'extirpa à ses réflexions.

— J'ai vu le dessin du petit. Tu crois qu'il a assisté à l'assassinat de sa mère ?

— J'en suis persuadé. Sur le dessin, il n'était pas encore aveugle. Il a vécu un traumatisme dans son esprit et dans son corps.

— Je suppose que c'est vrai. Le mieux est qu'il puisse nous raconter ce qui s'est réellement passé.

— C'est ce qu'il a fait, affirma Matéo. Je pense qu'un enfant exprime mieux ce qu'il ressent par un dessin que par des mots.

— Je vous trouve enfin, jubila Masha. Les Gardiens ont donné leur accord. Vous pourrez consulter les archives. Je vous y mènerai demain. Bonne soirée.

— Merci beaucoup. Bonne soirée.

 Les deux jeunes hommes se rendirent subitement compte de la tombée de la nuit. Tout autour d'eux, des torches jetaient des flaques lumineuses sur les murs tressés et les terrasses. Une lumière diffuse dévoilait de l'intérieur les formes des habitations semblables à des lampions un jour de fête. La fraîcheur du soir et une bonne odeur de poisson les incitèrent à rentrer.

 Pendant le dîner, Baby ne quittait pas des yeux Kara qui ne cessait de babiller. Gibraltar se demandait comment sa mère pouvait supporter ce moulin à paroles. Elle narra par le menu l'après-midi passé avec son compagnon de jeu. Sans doute, sa sociabilité, sa spontanéité et sa sincérité avaient contribué à le sortir de sa torpeur. Celui-ci montrait un regard plus expressif et avait perdu cette expression hagarde que Matéo avait toujours connue sur le visage de son jeune protégé.

 Le repas fut prolongé par une courte veillée pendant laquelle les convives dégustaient des noix. Kara montra ses talents de chanteuse et chacun, Baby aussi, mais de façon plus discrète, battait la mesure. La soirée se termina dans une ambiance bon enfant. Puis vint le moment du coucher.

 Jenna porta sa fille endormie dans sa chambre. Matéo dut insister pour que Baby rejoigne la sienne. Il l'installa sous une bonne couverture car les nuits pouvaient être fraîches à cause des vents marins qui s’engouffraient dans le couloir que constituait le canyon. Il s'assit sur le bord du lit et constata que, pour la première fois, le garçon levait le visage vers lui, sans doute une invitation à communiquer.

— J'ai regardé le dessin que tu as fait. La dame sur le dessin, c'était ta mère c'est ça ?

 Le visage du petit s'assombrit.

— Au village sur pilotis, la vieille dame qui nous a invités dans sa barque avait dit que tu te sens coupable de la mort de ta maman, je veux dire que tu crois que c'est ta faute. C'est ce que tu ressens ? 

L'enfant baissa les yeux.

— Tu sais ce que je crois ? Tu es le garçon le plus gentil et le plus courageux que je connaisse. Tu n'es pas responsable de sa mort. Le responsable, c'est celui qui l'a tué. Tu n'y es pour rien. Un jour, il sera puni pour ce qu'il a fait à ta maman. Je sais qu'elle te dirait la même chose que moi. Tu comprends ?

 Baby se redressa, chercha des mains le visage de Matéo et laça les bras autour de son cou. Ils restèrent ainsi un long moment jusqu'à ces paroles magiques murmurées à ses oreilles :

— Merci Matéo.

 Le jeune homme s'écarta pour regarder son interlocuteur.

— Tu as réussi à parler. Tu as réussi à parler. Que le messager soit béni ! s'écria-t-il enthousiaste.

 Il le serra tendrement dans ses bras, tout à la joie de l'avoir retrouvé.


 Le lendemain, lorsque Masha se présenta à la porte, Matéo confia Baby aux bons soins de Kara, une petite fille dégourdie pour son âge. Pendant leur déplacement, le jeune homme ne put s'empêcher d'admirer toutes ces formes arrondies, torsadées, recourbées, mais néanmoins harmonieuses que les bâtisseurs avaient réussi à donner à leurs constructions. De loin, elles ressemblaient à d'énormes nids tissés par des oiseaux architectes.

— Nous arrivons, annonça leur guide.

 Une tyrolienne les attendait. Gibraltar, plus casse-cou, se harnacha le premier.

— Vous n'avez rien d'autre à faire qu'à freiner en tirant sur ce cordon.

 Dès que la petite cloche tinta, elle aida Matéo à s'élancer. Il prit de la vitesse et éprouvait une certaine ivresse à voir la paroi rocheuse foncer sur lui. Il traversa à vive allure un tunnel creusé dans la montagne et vit plus loin des silhouettes lui faire signe. Il tira sur le frein et réussit à atterrir en douceur devant une grotte.

— Bienvenue dans les archives des connaissances oubliées. Venez, suivez-nous.

 Les Gardiens portaient une braie blanche et une tunique rouge sombre. Ils prirent chacun une torche et après quelques couloirs, débouchèrent dans une échancrure de la montagne en forme de croissant par où le soleil plongeait. Dans la courbe intérieure se dressait un bâtiment que les ancêtres auraient trouvé familier. Une passerelle y conduisait.

— La construction que vous voyez en face est la Bibliothèque Nationale de France. Elle se trouvait à Paname, mais la montée des mers a contraint les ancêtres à la déplacer sur les hauteurs. Ils l'ont bâtie entièrement étanche et autonome. Bien qu'elle ait été recouverte de sédiments lors du Grand Chaos, elle a résisté et préservé les connaissances accumulées pendant des centaines d'années. C'est cette connaissance que nous mettons à votre disposition.

 Parvenus dans l'immeuble, ils traversèrent un grand hall et le Gardien les dirigea vers la section Histoire. Des étagères se succédèrent où que le regard portait. Des tables étaient sagement alignées sur une place centrale gigantesque. Un éclairage d'appoint compensait une lumière traversante trop chiche pour une lecture confortable.

— Quand vous aurez fini, laissez les livres sur les tables. Ils seront remis à leur place par un Gardien. Je vous souhaite une bonne consultation.

 Ils passèrent la journée à lire toutes sortes d'ouvrages et repartirent avec les yeux fatigués et la tête pleine de révélations.

 De retour à leurs pénates, ils s'effondrèrent avec délectation sur les transats que Jenna avait installés sur la terrasse et comme le temps couvert et l'arrivée de la nuit apportaient une grande fraîcheur, elle avait disposé un braséro bienvenu.

— Tu as trouvé des choses intéressantes ? demanda Matéo.

— Oui. J'ai vu des images quand toute la région était habitée. Les villages s'étendaient très loin. Les bangas s'élevaient très haut dans le ciel. Certains dépassaient une hauteur d'un kilomètre. Tu te rends compte ? Dans leurs bangas, ils avaient tout : de l'eau à volonté et même une pièce rien que pour prendre des bains. Et pour cuire les aliments, ils possédaient toutes sortes d'appareils. Ils ne se déplaçaient pas que dans le réseau. Ils avaient tous des véhicules personnels et certains en avaient même plusieurs. Ce sont les carcasses qu'on avaient vues dans la forêt. Ils construisaient même des chemins rien que pour se déplacer encore plus vite. Ils appellent ça des autoroutes. La vitesse était limitée à cent cinquante kilomètres à l'heure.

— Cent cinquante kilomètres à l'heure ? Mais pourquoi donc ont-ils besoin de se déplacer si vite ?

— Ça, j'en sais rien. Je n'ai pas trouvé pourquoi ils étaient toujours aussi pressés. Il y a d'autres choses que je ne comprends pas non plus. J'ai lu quelque part qu'ils ont pêché tout le poisson de la mer. Pourquoi avaient-ils besoins de pêcher tout ce poisson ? Ils avaient faim à ce point-là ?

Matéo haussa les épaules.

— Surtout, surtout, il y a une chose incroyable. Ils vivaient dans de beaux bangas avec toutes sortes de machines à leur service, ils nommaient ceux qui les dirigeaient, c'est pas comme chez nous. Des vigiles veillaient sur leur sécurité, c'est pas non plus comme maintenant, ils n'avaient pas besoin de murs pour protéger leurs villages, pourtant ils ne se sentaient pas en sécurité et n’étaient pas heureux.

— Peut-être qu'il faut autre chose que des choses matérielles pour être heureux, supposa Matéo.

— Contrairement à nous, leur vie semblait vraiment compliquée. Ça explique peut-être. Et toi, tu as trouvé des choses intéressantes ?

— J’ai lu deux livres extraordinaires.

— Allez, raconte !

— C’est l'histoire d'un jeune de mon âge. Il s'appelle Luc. Comme moi, il n'a jamais connu son père. Il a été élevé par son oncle et sa tante. Il les aidait dans leur ferme. Mais il cherchait à échapper à sa vie de fermier qu'il trouvait monotone. Il voulait rejoindre la rébellion, une organisation qui luttait contre les injustices.

— Ça, ça me dit quelque chose.

— Un jour, il rencontre un ermite qui affirme avoir connu son père. Cet ermite lui apprend que son père était un grand guerrier et pas simplement un pilote comme l'affirme son oncle. Il lui apprend aussi qu'il a les même pouvoirs que son père et que le dirigeant de ce pays voulait le rechercher pour le tuer car il constituait une menace à cause de ses pouvoirs. Il n'a pas voulu croire l'ermite jusqu'à ce que la ferme soit incendiée et son oncle et sa tante tués par les gardes du dirigeant.

— Ça me fait penser un peu à ton histoire.

— Je continue. Par la suite, Luc a découvert que son père était le dirigeant malfaisant de ce pays. Avant de mourir, l'ermite lui a dit qu'il devait tuer son père s'il voulait rétablir la justice dans le pays.

— Et il l'a tué ?

— Non. Il pense qu'il peut aider son père à changer malgré toutes ses mauvaises actions.

— Et il a réussi ?

— Oui. Je crois que son père était un messager car il lui a dit avant de mourir : "Nous sommes des êtres de lumière, pas cette matière brute". Il lui a dit aussi combien il était fier de lui.

— Attends ! Je croyais que les messagers ne meurent pas et qu'ils sont des êtres sympathiques et bons. Enfin ! Pas tous à ce qui me semble quand on voit Slau... Oh là ! Pourquoi tu te mets dans ces états !

Matéo contint avec peine les émotions qui le submergeaient.

— Luc a vu son père commettre toutes sortes de méfaits. Pourtant il ne l'a pas condamné et avait toujours confiance qu'un jour il changerait même si son père lui-même avait affirmé : "Il est trop tard pour moi mon fils". En ce qui me concerne, je n'ai pas connu mon père et pourtant, je lui en veux de m'avoir abandonné. Max, avant de mourir, m'a rappelé d'avoir confiance dans l'amour que mon père me porte. Je me sens un peu coupable d'être aussi négatif. Je pense que comme Luc, un fils ne devrait pas juger son père.

— Je suis sûr que tu le retrouveras un jour et tu t'apercevras que c'est une belle personne.

— Je veux faire comme Luc et retrouver mon père. Max a dit que le visionnaire de Paname pourrait me renseigner à ce sujet.

— Alors, on s'arrache au plus vite et on va le trouver, pressa Gibraltar.

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