Le sanctuaire 1 : Le jardin

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À peine montés à bord, la barge s'éleva et disparut derrière les parois de la Brèche de Roland. Baby se dirigea en tâtonnant vers le canapé pendant que Gibraltar s'appuya sur le bastingage, le visage baissé, la tête vide. Un bruit de chute attira son attention. Le petit garçon recula au fond d'un fauteuil, terrorisé. Son compagnon, pensant qu'il avait trébuché contre un meuble s'en voulut de l'avoir laissé seul. Il se précipita, se mit à genoux et le rassura comme il put.

Baby désigna du doigt le canapé derrière Gibraltar. Celui-ci se retourna et fit un bond en arrière : un jeune homme, inanimé, semblait endormi : c'était Matéo.

Il mit la tête sur sa poitrine : il respirait, lui tapota les joues, puis le secoua. Matéo toussa et ouvrit les yeux. Dans un réflexe, il se massa le cou.

— Co... Comment.... Comment est-ce possible ? Je l'ai vu te décapiter.

— Matéo, c'est toi ?

— Oui, c'est moi Baby.

Baby le serra très fort dans ses bras.

— Content de te retrouver. Merci Gibraltar, lança-t-il.

Il étreignit ses amis avec ferveur.

— Non, mais j'hallucine littéralement ! Dis-moi par quels prodiges tu es vivant et entier !

— C'est grâce à Slau que je suis vivant.

— Ouais ! Dit comme ça, on a du mal à te croire. Ça doit être une métaphore parce que ce n'est pas l'impression que ce salaud m'a laissée.

— Slau est un messager. C'est un être fait d'énergie pure. Et comme tous les messagers, il peut créer un corps et y transférer son esprit ou à l'inverse, le dissoudre comme lorsque Esprit dématérialise un objet pour revenir dans celui fait d'énergie.

Gibraltar ne voyait pas le rapport avec le retour de Matéo.

— Ça ne me dit pas comment tu as fait.

— Je me suis dit que puisque Esprit m'a reconnu comme son propriétaire et que dans mon rêve chez l'interprète des rêves, je brillais comme un messager, il se pouvait que je possède quelques attributs des messagers. Pendant que tous les deux, vous étiez prisonniers, j'ai demandé à Esprit de matérialiser le double de mon corps et il l'a fait. Puis je réussis à transférer mon esprit dans le corps ainsi créé. C'est ce corps là qui a été décapité.

— Si tu ne te transfères pas avant qu'il te tue, tu ne risquais pas de mourir pour de bon ?

— C'est pourquoi je me suis levé pour lui faire face. Ainsi je voyais le coup venir et me suis transféré juste avant qu'il me tranche la tête. Je ne pouvais pas t'expliquer tout cela au risque que mon stratagème soit découvert. Merci de m'avoir fait confiance !

— Tu nous a flanqués de ces émotions ! C'est aussi bien qu'il te croit mort, on sera tranquille à présent. Maintenant, on fait quoi ?

— On va au sanctuaire.

— Attends une seconde. On dirait que la barge s'est posée.

Ils se retrouvèrent sur le sommet d'un vaste cirque qui dominait une vallée plaine. C'était la réplique de Gavarnie en beaucoup plus grand. La falaise, haute d'une vingtaine de mètres, était séparée de la vallée par un cône d'éboulis en pente douce, composé de terre, de sable, de roches et entrecoupé de terrasses éparses tantôt garnies de végétation, tantôt remplies d'eau limpide aux tons pastel, de l'émeraude au rose. Esprit dématérialisa le véhicule qui a partagé leurs aventures.

— Tout ça, c'est bien beau, mais je ne vois pas comment on va descendre.

Des hennissements lui répondirent en écho. Un cheval bai à la robe luisante et un second, isabelle, les attendaient. Dès qu'ils s'en approchèrent, les magnifiques créatures se baissèrent pour faciliter la monte à cru et empruntèrent un chemin qui descendait en lacets à travers un paysage irréel.

L'environnement rappelait celui des massifs coraliens aux coloris chatoyants, mais sans agresser le regard. Tout n'était qu'harmonie et équilibre, reposant pour le corps et l'esprit. Des coraux durs tapissaient le sol ou les roches, finement ciselés au milieu des mousses et des lichens jaune-orangé, rouille ou verts. Certains prenaient la forme de mini baobabs trapus aux ramifications d'un rose presque translucide. D'autres, comme les coraux mous, ressemblaient à des arbres figés avec des teintes tirant sur les marrons, les jaunes ou les verts.

Les gorgones étendaient leur éventail rouge ou orange vif. D'autres laissaient flotter leurs branches parfois plumeuses, parfois duveteuses. Les polypes formaient des champs de toutes les teintes, du pastel aux plus vives dont les tentacules que le vent s'amusait à bercer au gré de sa fantaisie, ondulaient avec grâce. Elles créaient des plateformes circulaires qui atteignaient en certains endroits plusieurs mètres de diamètre. D'autres, en forme de corolles, prenaient des airs de parterres de fleurs multicolores. .

Les chevaux se déplaçaient avec prudence au milieu de cette vie grouillante. Un parfum apaisant s'élevait du sol. L'harmonie des couleurs, des formes et la variété des compositions, le doux froufrou de l'eau d'une terrasse à l'autre diffusaient un bien-être et une satisfaction qui comblaient les visiteurs. Même Baby qui, pourtant, était privé de ses merveilles, ressentait cette plénitude. Son visage irradiait de bonheur comme si les traumatismes qu'il avait subis avaient soudainement disparu.

Plus bas, des anémones agitaient avec une force tranquille leurs tentacules aux magnifiques dégradés ouverts à tous les courants d'air. D'autres, plus coquettes, montaient leur robe aux froufrous compliqués. Certaines, timides, se refermaient à l'approche des humains. Quelques-unes, curieuses, tendaient à l'extrémité de leurs tentacules une tâche sombre qui, tel un œil, regardait tout ce qui passait à proximité. D'humbles cactées se mêlaient aux épais tapis des plantes de rocailles.

Des colibris au plumage plus ou moins irisé, de différentes tailles, voletaient en tous sens, changeant de couleur à chaque mouvement. D'autres gardaient leur parure et avaient des allures de poule d'eau des récifs marins ou de poisson clown. Des animaux semblables à des rascasses déambulaient avec une tranquille assurance sur le fond sablonneux tandis que des serpents à écailles ou à plumes traçaient leur chemin sans que les rascasses s'en trouvent dérangées le moins du monde. D'autres habitants de ces récifs attendaient dans les anfractuosités, à l'abri des ardeurs somme toute modérées du soleil. Tout ce petit monde cohabitait en toute harmonie sans crainte d'être dévoré au détour d'un rocher.

Arrivé dans la vallée plaine, les chevaux entamèrent un petit galop qui semblait réjouir Baby qui bougeait au rythme des secousses. Matéo et Gibraltar remplissaient leur esprit de toutes les merveilles qu'ils traversaient. Un petit ruisseau alimenté par l'eau des terrasses serpentait avec langueur pour se perdre au milieu des bosquets fleuris dont une légère brise transportait les parfums apaisants. Là-haut, une cascade cassait les bruns des falaises de sa panache blanche. À chaque détour de chemin, une composition différente s'offrait à leurs yeux : un champ d'humbles violettes mêlées aux bleuets, un îlot où poussaient pins et épicéas se reflétait dans le bleu glacé d'un lac, une famille de saules se penchait entre les méandres d'un ruisseau.

Gibraltar qui s'était auto investi de la mission de fournir la nourriture, remarqua des arbres fruitiers en nombre. Il y en avait de toutes sortes : manguiers, pommiers, litchis, jacquiers, cerisiers, citronniers, orangers et bien d'autres qui le faisaient saliver.

— J'ai faim.

— Devant toutes ces merveilles, tu penses à manger ?

— Ça n'empêche pas.

Comme pour répondre à ces désirs, les chevaux s'arrêtèrent dans un méandre verdoyant de la rivière parsemé dhumbles jonquilles, d'anémones vêtus d'habits de soie et de jacinthes aux senteurs entêtantes. Des haies couvertes de baies et des arbres fruitiers abondaient. Lorsque les cavaliers posèrent pieds à terre, les chevaux, dans un hennissement amical, s'éloignèrent. Un puma se désaltérait. Lorsqu'il eut fini, il fixa un moment les nouveaux venus et s'allongea dans l'herbe fraîche avec une tranquille nonchalance.

Gibraltar s'étira longuement et jetaient un regard gourmand sur l'abondance de fruits. Il ne lui restait qu'à les cueillir.

— Je sens que je vais m'éclater.

Baby se frottait les yeux et semblait incommodé.

— Que t-arrive-t-il, demanda Matéo.

— J'ai les yeux qui me piquent.

— Comment peux-tu avoir les yeux qui piquent ? Ça te fait très mal ? s'inquiéta Gibraltar.

— Non pas trop.

— Un truc irritant a dû pénétrer dans la cavité oculaire. Viens t'asperger d'eau à la rivière.

Sans prêter attention au puma qui reposait à quelques mètres, Baby s'agenouilla, prit l'eau au creux de ses paumes et se frotta les yeux à plusieurs reprises.

— Ça va mieux ? interrogea Matéo.

— Oui, ça va mieux. Où on est ?

Lorsque Baby se retourna, les deux jeunes hommes virent le bleu clair de ses yeux.

— Mais... Tu es guéri ! s'exclama Matéo en prenant la tête du petit garçon entre ses mains.

— Trop génial, tu vois à nouveau !

Ils éclatèrent de joie, soulevèrent Baby et le projetèrent en l'air en mêlant ses cris aux leurs. Après ces moments de joie, ils entourèrent affectueusement leur petit compagnon dans leurs bras et devisèrent sur ce miracle.

— C'est toi qui as fait cela ?

— Pas du tout. Si j'avais ce pouvoir, j'aurais redonné la vue à Baby depuis longtemps.

— Toi qui es de mèche avec les messagers, tu dois savoir quelque chose non ?

— Je pense que le sanctuaire nous guérit de tous nos maux et nous procure bonheur et bien-être. Mon père pourra sans doute m'en dire plus là-dessus. Il faudrait que je le retrouve.

— Bonne idée ! En attendant, je vais chercher à manger. Baby, tu viens avec moi ?

— Et Matéo, on ne va pas le laisser tout seul.

— Merci Baby, mais je m'en sortirai très bien.

— Tu en es sûr ?

— Sûr ! J'ai remarqué une petite grotte à côté. J'irai voir si on peut y passer la nuit. Tiens, une petite hotte en osier que Esprit a matérialisée. C'est pour toi.

Le petit garçon le remercia, fixa la hotte dans son dos par les bretelles et rejoignit Gibraltar. Matéo le regarda s'éloigner avec un regard attendri.

Le puma s'approcha avec nonchalance du jeune homme, s'arrêta à quelques mètres pour s'étirer et après un bâillement qui découvrait sa gueule puissante, vint frotter sa grosse tête contre son flanc. Il sembla apprécier les timides caresses de l'humain et le suivit dans la grotte. C'était l'intérieur d'une énorme géode ovoïde de quinze mètres de large sur sept de haut. Des cristaux tapissaient toute la paroi. Le sol d'un blanc translucide ou laiteux, présentait des parties lisses tandis que des prismes d'un bleu azuréen par un subtil dégradé se teintaient d'un magnifique bleu roi au fond de la géode. Au plafond, la roche extérieure corrodée laissait passer la lumière qui donnait une douce luminescence en se faufilant à travers les polyèdres.

Tout à sa contemplation, Matéo ne remarqua pas Gibraltar arrêté devant l'entrée. Le puma partit à sa rencontre. Baby se rua sur le félin et le caressa avec douceur.

— Entre ! Ne t'inquiète pas pour le puma. Il ne te fera pas de mal.

— Je vois ça. D'ailleurs, j'ai l'impression que rien ne nous fera de mal ici. Baby l'a compris depuis longtemps il me semble.

— C'est beau ! s'exclama le petit garçon. C'est notre maison ?

— On peut y passer la nuit si on le désire. Qu'est-ce que vous nous avez apporté dans votre panier de bon ?

Gibraltar s'apprêtait à répondre mais Baby, qui avait recouvrait la vue comme la parole, le devança.

— Plein de fruits. Et des baies aussi. On a vu des perroquets de toutes les couleurs. Il y en a même plusieurs qui sont venus se poser sur mon épaule. C'est plus que bien ici.

Tous les trois s'installèrent au bord de la rivière. Les légers grondements d'une chute et les derniers gazouillis de la journée remplissaient l'espace de sérénité. L'air d'une pureté enivrante remplissait leurs poumons de quiétude et de félicité. Les fruits aux goûts suaves et délicats apportaient plaisir et contentement.

Le jour baissa. Le couchant colora les falaises d'un beau orangé avant que la lune y laisse ses camaïeux de bleu. La température, douce, incitait au calme et à la langueur, prélude au sommeil. Le rêve de Matéo fut doux et velouté. Il vit son père lui sourire avec bonté et entendit son invitation de venir le voir. Il reçut un flot ininterrompu d'amour et de tendresse jusqu'à son réveil.

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