Semaine 4 - Ducky et la Fête des morts
Ducky contemplait son calendrier mural, celui avec les photos choisies par papy et mamy, que maman Coincoin faisait tous les ans pour offrir aux membres de la famille. Bientôt, il cocherait le dernier jour d'octobre. Il en rêvait de cette fête depuis le début du mois. La photo d'Halloween de l'année dernière, où il s'était déguisé en vampire végétarien, le lui rappelait.
Enfin la nuit tant attendue ! Cette année, notre héros innoverait en se déguisant en squelette. Il ferait dans l'originalité en ajoutant un chapeau haut-de-forme, comme il avait vu dans la plus récente des aventures de l'agent secret Wolfie Bond.
Il avait demandé à maman Coincoin de décorer la maison, de se ravitailler de bonbons et autres délices pour festoyer après la tournée des voisins en quête de friandises. Mhhh ! Ça sentait bon dans la cuisine ! Notre vilain petit canard joua son curieux et découvrit un délicieux gâteau en forme de cerveau sanguinolent. Il avait l'air... appétissant. Tellement que Ducky eut des envies de zombie et s'en goinfra. Lorsqu'il eût terminé, le coulis de groseille qui lui coulait du bec faisait un excellent effet de sang. On aurait dit un mort-vivant tout droit sorti de sa série préférée : The Quacking dead. Le ventre archi-plein, il décida d'aller faire un petit somme.
Lorsqu'il se réveilla, misère ! Halloween était fini ! Tout de même, notre petit canard préféra rester bien au chaud dans son lit, jour férié oblige, et dormit toute la journée. Peut-être que le lendemain il resterait encore des bonbons chez les voisins et les commerçants du coin, se dit-il. Car il tenait à sortir avec son déguisement !
Ainsi, le soir, Ducky s'apprêta en squelette, vêtu d'un smoking et coiffé de son chapeau. Il sonna chez la voisine de palier, une chatte aussi âgée que pingre. Elle ne lui donna rien à part une petite frayeur lorsqu'elle hurla et tomba par terre. Tant pis ! Il trouverait des bonbons ailleurs. Il frappa à une autre porte où une famille de lémuriens le regarda les yeux écarquillés d'étonnement. Il ne récolta aucune friandise non plus. Heureusement qu'il restait encore des portes où sonner ! Il tenta sa chance à la suivante, toute décorée de crânes multicolores. "Chouette !" se dit-il.
"Driiiiing !"
La porte s'ouvrit sur une magnifique Quetzal, grimée d'un masque de squelette et la tête coiffée de fleurs.
— Oh ! "El catrin" [1] ! Entrez, entrez !
Derrière l'oiseau, un bouledogue, une lapine et une gazelle vinrent l'accueillir à la porte. Étonné et ravi de ne pas se trouver tout seul à se déguiser, Ducky pénétra dans l'appartement. À l'intérieur se tenait un délicieux buffet : une table fleurie d'œillets d'Inde, des bougies, des petits crânes colorés et décorés de sequins, une sorte de brioche recouverte de sucre qui avait l'air exquis, et plein d'autres plats à l'aspect succulent. Tout autour, du papier de Chine multicolore découpé en formes diverses. Au centre du buffet, plusieurs photos d'un autre temps.
"Étrange, réfléchit-il, c'est l'anniversaire de tous ces gens ? Ils ne pouvaient pas mettre une photo plus récente ?"
— Viens célébrer la Fête des Morts avec nous ! invita la Quetzal.
— Euh, oui, bien sûr ! répondit Ducky sans se faire prier, se disant que ça avait l'air cool comme nom, le gâteau cerveau sanguinolent de maman Coincoin aurait bien eu sa place sur le buffet.
— Souper ! Tiens, Catrin, commaint tou t'appelles ?
— Euh ? Ducky...
Avant qu'il ne puisse répondre, la Quetzal se tourna, prit un petit crâne qui décorait la table et se mit à écrire sur le front. Puis, le tendit à l'invité de dernière minute.
— Tiens, Ducky ! Vouaci taunne crâne enne soucre ! Mange !
Notre héros prit l’étonnante friandise dont les yeux en sequin le fixaient d'un air solennel, quasi moqueur. "Manger des crânes en sucre avec mon nom dessus ? Hé ben, pourquoi pas ?" se dit-il avant de se lancer.
À peine allait-il croquer dedans que la petite lapine s'approcha timidement. Tout sourire et d'une voix aiguë, elle annonça.
— Je vous ai composé une Calavera !
— Euh ?
— Oh ! Magnifico ! Parfait ! Viens nous la lire ! l'invita la Quetzal.
Le pauvre petit canard, qui crevait de faim, attendit avant de déguster. Il ne comprenait pas de quoi on lui parlait. Avant qu'il ne puisse demander quoi que ce soit, la lapine s'éclaircit la gorge et récita :
Bienvenue, señor Ducky,
Apportez vos gnocchis !
Ne soyez pas affolé,
il n'y a pas de gouacamaulé
L'assemblée se mit à rire.
Mort de faim, ce parfait pigeon
avala même les noyaux
et sous le coup d'une indigestion,
à ce monde, il dit tchao !
Ducky tenta de comprendre le sens de ces mots, étonné de voir l'assemblée rire à nouveau, alors que ce poème à la noix parlait de... sa mort ? Mais qu'avait en tête cette bande de fous ? Puis la lapine poursuivit :
La Mort vint chercher ce volatile
lui offrir une fin subtile
Au lieu de l’ensevelir,
elle décida de se l’offrir
Dans une bonne casserole
avec quelques herbes folles.
Plus qu’un simple tourne-broche,
La Mort opta pour une fine approche :
D’abord une aiguillette,
un peu maigrelette.
Puis vint la cuisse,
un véritable délice !
— Stop ! hurla Ducky.
C'en était assez, cette bande de fous planifiait déjà son meurtre et en plus ils allaient le manger ?
— Mé naune, Catrin canard, intervint la Quetzal. C'est oune Calavera littéraire, oune pétit poème rigolo qu'on écrit aux vivants pour parler dé leur mort...
— C'est glauque ! s'exclama Ducky.
Même pour lui et son esprit parfois tordu, c'était trop bizarre.
— Mé nonne, mé nonne. Bon, lezamiz, yé crois qué c'est l'heure ! annonça-t-elle, souriante.
"L'heure de quoi ?" se demanda-t-il. L'heure de son meurtre ou de manger ? Avant qu'il n'eût le temps de formuler sa question, tout le monde s'approcha du buffet. "Chouette !" se dit-il, prêt à s'empiffrer. Or, personne ne mangeait, au contraire, ils se mirent à ranger les victuailles. Notre petit canard ne comprenait plus rien.
— C'est l'autel dé nos ancêtres, expliqua le Quetzal. Nous allons tout raméner au cimetière, et nous mangerons là-bas, pour partager lé répas avec les morts.
— AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH ! hurla Ducky en s'échappant de cet appartement de fous.
Un grand merci à Grunni pour son aide pour la calavera.
[1] El catrin (se prononce "catrïn") c'est un homme bien habillé, élégant. La version au féminin est "La catrina" qui est l'image représentative de la fête des morts au Mexique ( https://goo.gl/images/5RvGeb ) issue des caricatures de José Guadalupe Posadas.
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