Ce jour-là, Ducky emballait les cadeaux pour Noël. Pour maman Coincoin, un set de manique et gant de cuisine, avec un motif de la cabine téléphonique de Dr Who ; pour papa Coincoin, un cahier de cent pages de mots croisés et un stylo Bic à 4 couleurs. Et voilà ! Ses économies n’en permettraient pas plus (et puis il fallait qu’il s’achète Red Quack Redemption 2... avec la console qui va bien). De toute façon, papa et maman Coincoin s’occuperaient d’offrir des cadeaux à Gloria, à son beau-frère et à ses neveux.

Il n’avait plus qu’à compter les cases qui restaient dans son calendrier de l'Avent Mon petit bébé loutre, cadeau de maman Coincoin. Malheureusement, il n’y avait pas de chocolats, mais des articles de bureau aux couleurs de l’arc-en-ciel. « Mais qui ose vendre ces choses-là ? » se demandait notre petit palmipède tandis qu’il ouvrait la case du jour : elle contenait du scotch violet.

À l’instant même où il se demandait ce qu’il allait faire de cet objet inutile, maman Coincoin vint le prévenir qu’ils partaient pour la fête de Noël du Club de bridge et que Gloria l’attendait pour qu’il l’emmène au centre commercial.

— Euh ?! s’exclama notre petit héros, sans rien comprendre.

— Tu avais promis de l’emmener au centre commercial pour faire ses courses de Noël, rappelle-toi, sa voiture est toujours à la fourrière.

— Aller au centre commercial le samedi avant les fêtes de Noël c’est de la folie ! hurla Ducky.

— Mais tu le lui as promis, chéri. Allez, c’est Noël, on est gentils à Noël, sinon Papa Noël ne va pas passer.

Elle le dit d’un ton si calme et si tendre, avec ce sourire si spécial, que Ducky ne pouvait pas refuser, même s’il ne se souvenait pas d’avoir promis quoi que ce soit. Comme sa mauvaise foi était plus forte, il ne put s’empêcher de demander pourquoi diable elle n’avait pas récupéré sa voiture à la fourrière.

— Mais Ducky, tu sais ta sœur est une cane très occupée. Elle travaille, elle. Et puis son mari aussi. Tu sais qu’à cette période leurs journées sont trop chargées. Ils s’en occuperont après.

Dans un élan de générosité digne de la période des fêtes, Ducky se disposait à prêter sa magnifique Dwingo d’occasion, mais après une petite réflexion, il balaya cette idée. Personne ne touche Titine ! Titine était le petit nom qu’il avait donné à sa voiture qu’il chérissait.

Ainsi, notre pauvre petit canard se vit contraint de rendre service à Gloria. Il la retrouva en bas de chez elle avec à ses côtés, deux sièges enfants, une poussette et ses deux marmots.

— Tonton ! crièrent à l’unisson les petits canetons, lui sautant au cou.

— Mais...

À peine allait-il protester, que Gloria coupa la parole :

— Tu comprends, Ducky, en ce moment chouchou travaille dur ! Je ne pouvais pas laisser les gosses avec lui et partir faire du shopping, tu vois ? Allez, ça va aller ! le rassura-t-elle.

Mais Ducky n’était pas convaincu. Si faire des courses le samedi avant les fêtes était une folie, y aller avec des enfants relevait de l’irresponsabilité ! Il dut installer ces sièges maudits et embarquer tout le monde, furax.

Lorsqu’ils arrivèrent à quelques mètres de l’entrée du parking du centre commercial, une longue file de véhicules attendait, ne serait-ce que pour accéder au parking. Ducky sentit bouillir ses entrailles. À l’arrière, les enfants braillaient avec de fausses notes aiguës des chansons de Noël et se disputaient pour ne pas avoir chanté au même rythme. Ducky sentait que la petite veine sur sa tempe commençait à gonfler.

Enfin, la file avança et il ne restait plus qu’à tourner en rond pour trouver une place. Le miracle se produisit quand il en vit une se libérer. Il s’y dirigea, lorsqu’une autre voiture arriva en sens inverse et s’y gara, sans gêne. Ducky klaxonna frénétiquement et insulta l’autre conducteur, tandis que Gloria était concentrée sur son portable. Les enfants répétèrent les gros mots prononcés par leur oncle.

— Hé, ho ! Mais c’est quoi ces manières ! les gronda Gloria. Ça ne va pas de leur apprendre ces mots, frérot ?

— Cette voiture-là m’a piqué MA place ! hurla Ducky.

— Rho ! T’exagères ! Regarde, t’en as une autre qui se libère, là !

Effectivement, et avec beaucoup de chance, la place contiguë venait de se libérer. Ducky se fit tout petit sur son siège, puisqu’il se gara à côté de la voiture qu’il venait d’insulter. Surtout lorsqu’il découvrit sur le siège passager un loup gris aux yeux ozone qui le fixait froidement.

* Gloups ! * déglutit notre petit canard, ravalant sa fierté et dessinant un sourire idiot sur son bec. Il sortit au même moment que le loup gris.

— Que reprochez-vous à la conduite de ma femme ? demanda-t-il d’une voix glaciale.

* Gloups ! *

— Mon trésor arrête d’embêter le monsieur, tu sais bien que ce n’est pas gentil ce que j’ai fait ! intervint une belle louve blonde. Vous m’excuserez, monsieur ! Oh ! s’exclama-t-elle d’une voix doucereuse.

— Célia !

— Gloria !

Le loup gris et Ducky se regardèrent nerveusement, comme s’ils étaient tous les deux allergiques à toute tentative de sociabilité.

— Mais quelle M-A-G-N-I-F-I-Q-U-E coïncidence ! s’extasia la louve blonde. Regarde, trésor, c’est Gloria, mon binôme de cours de cuisine ! Tu sais que j’ai très envie de l’inviter à la maison, mais son chéri n’aime pas trop sortir. Oh ! j’ai une idée... !

Ducky regarda Trésor, pardon, le loup gris qui faisait les gros yeux, comme si par ce geste il pouvait, au choix, faire taire la louve blonde ou disparaître de cette scène.

— Pour me rattraper de cette impolitesse, je vous invite ce soir à la maison toi et ton frère, c’est bien Ducky ? Ah ! Gloria m’a tellement parlé de vous !

Le loup gris étouffa un accès de toux, tandis que Ducky secoua la tête, il n’était pas sûr d’avoir tout saisi.

— On va faire un atelier de cuisine improvisé ! ajouta la louve blonde, tout excitée.

— Oh ! C’est génial ! Ducky va adorer tes recettes ! N’est-ce pas ?

Ducky tordit son bec et remarqua que le loup gris grimaçait aussi. Finalement, cela pouvait être rigolo de le voir souffrir sous le youg joug de sa femme, se dit-il.

— On va préparer mes nouvelles créations : la « dande farcie » et la « vole ail », vous allez A-D-O-R-E-R !

Ducky ne fut pas rassuré par le nom des plats. Heureusement, la conversation fut coupée par les enfants qui tapaient de manière insistante sur la fenêtre pour sortir.

Ils pénétrèrent dans le centre commercial, bondé. Les enfants aperçurent un stand pour se faire prendre en photo avec Papa Noël et insistèrent pour y aller, sauf que la queue paraissait interminable. Au bout de dix minutes d’attente, le benjamin commençait à s’impatienter et à vouloir courir partout.

— Pascual ! Si tu ne restes pas ici à côté de nous, Papa Noël ne va pas t’apporter de cadeaux ! gronda Gloria.

— De toute façon, Papa Noël n’existe pas ! Ce sont les parents qui apportent les cadeaux ! cria Lucas.

— Ah bon ? s’enquit Ducky, la mine déconfite tandis que Pascual se mit à pleurer à chaudes larmes.

— Chut ! ça ne va pas de dire des bêtises ? intima Gloria à son aîné, devant les regards fulminants des autres animaux de la file d'attente.

Trente minutes plus tard, photos prises et en dépit d’une barbe arrachée à la taupe déguisée en Papa Noël, tous les quatre se dirigèrent vers l’hypermarché pour faire les courses. Enfin ! Gloria remplit le caddie de toutes les victuailles nécessaires et les enfants y mirent quelques jouets. Gloria les sortit du chariot en expliquant qu’on n’achetait pas les cadeaux, puisque c’était Papa Noël qui les apportait. Puis, elle prit à part Ducky et chuchota :

— Va prendre un autre caddie, tu prends les mêmes jouets et on se retrouve à la sortie, mais il ne faut pas qu’ils te voient, hein ? Prends un gros sac pour les cacher.

Puis elle partit avec sa marmaille, laissant notre petit canard tout confus. D’autant plus quand il dut passer tout seul à la caisse... et payer avec l’argent qu’il destinait à sa nouvelle console et à son jeu !