Liaisons canardeuses

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Ducky, le petit canard looser, venait de signer un stage-photocopie. Fallait bien cela pour gagner quelques pièces, il en profiterait aussi pour se procurer quelques stylos et ramettes papier qu'il revendrait au marché noir.

En contrepartie, il devait se farcir ses collègues. Comme il trouvait pénible ces pauses-café où ça papote des conneries ! Il les évitait autant que possible. Mais comme un canard ça carbure au café  – surtout pour faire passer la gueule de bois de sa soirée passée à jouer aux jeux vidéo  –, il avait décidé d'aller à la machine.

A peine sorti de son cagibi  – son bureau  –, il vérifia soigneusement qu'il n'y avait personne autour avant de s'y lancer. Il y mit sa pièce, choisit un café long et à cet instant surgit Suzy, la souricette. Elle était dans quel bureau, celle-là ? se demanda-t-il. Il la savait timide, cela le rassura ! Au moins, elle n'allait pas le saoûler.

Ducky guettait anxieusement le liquide qui daignait descendre à compte-gouttes dans le gobelet. La souricette envahissait son espace vital, il fallait qu'il parte rapidement.

— Ça va, Ducky ? demanda Suzy.

Ducky hésita, il savait que, quoi qu'il réponde, il serait pris dans les filets de la souricette. Mais comme Suzy lui semblait une souris réservée – il ne la voyait jamais papoter –, il évalua rapidement le danger s'il répondait. Ainsi, il demeura neutre.

— Ça va…

— Bah moi, ça va pas du tout ! renchérit-elle sans qu'on ne lui demande.

Malheur ! Ducky était pris au piège et son café n'avait même pas fini de couler. Satanée machine ! Il ne dit rien pour ne pas l'inviter à poursuivre.

— En fait c'est Cricri, ma meilleure copine, poursuivit-elle. Bon, mon ex-meilleure copine.

Ducky acquiesçait, même s'il s'enfichait. Il sentait que le ciel lui tombait sur la tête et qu'il allait se farcir sa foutue  histoire à la con.

— Elle n'était plus comme avant, mais elle dit que c'est moi qui a changé. Alors que non, franchement je n'ai rien changé ! pleurnicha-t-elle.

Las, Ducky lèva les yeux au plafond, regrettant ce café qui n'avait pas fini de couler. La souricette, ravie d'avoir trouvé une oreille compatissante, continua.

— Tout a commencé quand je lui ai presenté Timothé, qui était soi-disant mon meilleur ami. Le pire est que ni l'un ni l'autre ne voulaient se rencontrer, chacun me disait que j'étais leur seule amie. Puis voilà, je les ai présentés, ils sont devenus super proches et ils m'ont jetée comme une merde. Cricri, elle m'a même éliminée de sa liste d'amis Barbe bouc ! C'est terrible ! J'en pleure tous les jours, mais je n'ai pas le courage de le raconter tellement ça a l'air con. Mais ça me travaille comme pas possible.

Cent soixante sept gouttes. Ducky avait compté cent soixante sept gouttes tomber du tuyau et son gobelet n'était toujours pas rempli ! Quelle idée d'avoir commandé un café long ! En plus, comme il avait oublié son téléphone portable, il ne pouvait même pas feindre un appel ou s'adonner à une autre occupation pour échapper à ces sornettes. Même ses oreilles de canard – bien cachées – avaient entendu sa malheureuse histoire. Il ne savait que répondre.

D'un côté, son sadisme naturel serait ravi de l'enfoncer un peu plus ; mais de l'autre, un souvenir lointain vint occuper ses pensées :

Quand il n'était qu'un petit caneton, Ducky avait son meilleur pote : Fifi. Ils faisaient les quatre cents coups ensemble. L'été, Ducky était parti chez son Papy et sa Mamie Coincoin à la campagne. Là bas, il s'était fait un super pote : Momo, le petit-fils des voisins.

L'été suivant, Ducky était aux anges. Ses grands-parents avaient accepté d'accueillir Fifi dans leur maison. Fifi était content de partir, même si au départ il avait bien dit qu'il ne voulait pas partager son ami avec ce Momo dont Ducky avait tant parlé. Momo aussi boudait. Pourquoi Ducky avait invité un ami alors que lui, il était là ? C'était lui le seul ami de Ducky.

Ducky se sentait aux anges, tant aimé par ses deux amis. Or, dès que Fifi et Momo se rencontrèrent ils devinrent illico inséparables. Petit à petit, ils commencèrent à excluer Ducky de leurs jeux et conversations. Comme un coup de poignard dans le dos, l'été suivant, Ducky découvrit que Fifi allait être accueilli par les parents de Momo. Ducky s'était senti seul comme un chien.

De retour à l'instant présent, Ducky compatit pour Suzy et décide de lui faire justice. Personne ne devait souffrir ce qu'il avait enduré !

— Quel bande d'enfoirés ces deux-là ! Tu sais que, dans une autre vie, j'ai été tueur à gages ? Je m'en occupe gratos de ces deux ordures !

— Ton café déborde, répondit Suzy.

A présent, se sentant libérée, délivrée d'avoir extériorisé ses malheurs, elle n'avait pas entendu la diatribe de Ducky.

— Tu disais ?

Pendant que Ducky se remémorait son enfance malheureuse, la machine s'était remise en route et avait servi une double dose au gobelet du canard. Enragé par ses souvenirs d'enfance et par l'indifférence de Suzy face à une offre si alléchante, Ducky prit son café et alla s'enfermer dans son cagibi pour ressasser.

Ses deux meilleurs amis, eux, sont restés ensemble... pour l'éternité.

Bien au fond de la mare aux canards de chez Papi et Mamie.

Mouhahahahaha !

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