La mort et l'usine
Ma chère Jeanne, certains livres sont comme des lieux qui nous ont marqués à jamais. Des lieux où l'on s'est senti bien, des lieux où l'on se sent en communion avec l'air qu'on y respire, avec les paysages devant lesquels on reste contemplatifs et serein. Oui Jeanne, il y a des livres qui vous initient au voyages intérieurs après avoir gouté à la beauté des choses dans la vraie vie.
Parfois j'ai envie de lire ou de relire un livre comme pour satisfaire une envie soudaine. La femme enceinte qui a une envie de fraises. Moi j'ai des envies de livres. Moi, j'ai envie de voyages dans le temps. Moi, j'ai envie de savoir comment les hommes ont vécu, pensé et souffert
Est-ce la mélancolie des jours sombres d'automne qui me pousse à des langueurs littéraires?
Est-ce cette brise automnale qui fait se balancer les arbres hauts devant ma fenêtre, en delivrant un doux mumure ?
Ou est-ce la Camarde qui me fait savoir tout simplement par signes sibyllins : " là où je t'emmène, tu n'as pas besoin de livres" ?
Je vais relire "notre cœur" de Maupassant.
J'ai pris trois jours de repos. Le travail d'usine me fatigue. J'aime me replonger dans un livre qui, paradoxalement, est un livre qui raconte la vie d'un ouvrier. La poèsie se cache parfois là où elle n'a rien y faire. Pour ceux qui comme moi ressentent l'anxiéte de la vie comme une seconde nature, le bruit et la fureur sont un exutoire très efficace. Je dirais même un divertissement au sens pascalien. En cela l'usine présente un avantage. On voit des gens. Les mêmes. Toujours souffrant mais toujours vivants. C'est peut -être le seul lieu où l'on se sent immortel. Le bruit, la fureur du métal qui cogne vous divertit de la mort. Est-ce pour cela que le bougre retraité rend l'âme le plus souvent quelques mois seulement après la quille ?
Un brusque retour des choses ?
La mort et l'usine sont-elles les seules mesures de toute chose ici bas?
Jeanne , ton Adrien qui ne cesse de penser.
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