Sommeil noir
La journée qu'avait commencé ce rêve fût glauque, triste et austère. Tout me rappela à ma condition de puceau désespéré. Jusqu'au soir. Ce fût presque à la course que je pénétrai chez moi, m’enfermai dans mon studio à double-tour sans même prendre garde au dealer qui squattait le rez-de-chaussée de 21h à 3h du mat. Cet être rachitique et si prompt au gueulement qu’il m’arrivait parfois de me réveiller en pleine nuit à cause de ses sautes d’humeur tapageuses.
Je m’assis derrière mon bureau : un vieux truc Ikea en faux chêne clair tâché de multiples auréoles de tasses à café, encombré de papiers, de plantes carnivores et de livres. J’haletais, mais je ne m’en redis pas immédiatement compte. Me mains dessinaient une auréole de transpiration sur le plastique du sous-main qui me permettait d’écrire.
Pourtant, j’avais toujours la gaule.
Quelques clics sur Internet me convainquirent que je n’étais pas le seul fana de voyeurisme. Il y en avait même des forums spécialisés, où l’on s’échangeait des conseils pour rester dans les cadres de la loi tout en pratiquant sa passion sexuelle favorite. Voyeurisme. Étrange lucarne lubrique sur le monde de l’autre pouvant, l’espace d’un instant, assez éclairer votre monde à vous pour vous satisfaire sexuellement.
Je me mis à poil. Ma teub, qui commençait seulement à mollir, se reposait sur ma cuisse gauche comme un vieux poisson découvrant les peines de la gravité terrestre. Je me grattai les couilles, qui immédiatement se rétractèrent. Puis me fourrai au lit. Il ne fallait pas que je reste trop longtemps devant cet écran, car je ne résisterai pas à l’envie de me tirer une branlette.
Je dormis d’un sommeil noir, sans rêve.
Le lendemain, je me levai tôt, déjeunai de quelques flocons d’avoine jetés dans un lait tiède, puis quittai rapidement mon studio. Il me foutait le cafard, ces temps. Il était trop impersonnel, trop froid, et les couloirs qui y menaient fleuraient le deal, la pisse et la racaille.
Je fis rapidement un tour en ville, où la buée commençait à se former devant ma bouche, signe d’un automne approchant. Puis, après avoir graillé deux croissants encore tièdes, je remontai la pente qui mettait mon cognant à dure épreuve jusqu’à arriver sur la route de l’Université.
Je longeai une haie de thuyas, puis une seconde, en pestant contre les gens qui arrivaient à soutirer de l’esthétisme à cet alignement blafard de conifères nains, puant, exotiques d’un exotisme mauvais, et bourrés d’arachnides.
Et le dépassement de la fameuse maison m’arracha à mes pensées. Le store était toujours baissé. La lumière éteinte. La belle boule de muscle et sa femme devaient encore se pirouetter au lit, ou alors rêver de leurs prochains exercices de détente sexuelle.
Je me hâtai, de peur que la vieille ne me reconnaisse et appelle la police, et retrouvai la chaleur feutrée de l’Université. Je m’y réservai une table dans les étages, sûr qu’à cette heure-ci je serai tranquille, m’installai de telle sorte à avoir mon écran invisible depuis les escaliers et téléchargeai Tinder.
Sans savoir, je m’engageais innocemment dans le multiverse.
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