Une ombre chauve dans la nuit

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  Voilà neuf heures que le groupe était enfermé dans l'aéroport. La tempête gelée enveloppait toujours le bâtiment. Les piégés se réveillaient un par un, constatant avec effroi pour certains que leurs proches ne se releveraient pas. Magalie s'était assoupie, les cris et pleurs ne lui ayant permis que de profiter d'un bref repos. Elle rejoignit Marlowe, accroupi, le pistolet dans la main.

 — Salut.

 — Salut, accepta-t-il de répondre.

 — Tu sais quand est-ce qu'on pourra partir ?

 — Non. Aucune idée. Normalement la tempête aurait dû s'effacer plusieurs heures auparavant. La météo locale indique même un ciel bleu.

 Magalie se tourna ensuite vers les civils. Puisque Marlowe ne daignait pas jouer ce rôle et qu'elle avait un bon sens du contact humain, elle devrait s'occuper de calmer la foule, de la rassurer et de l'informer quant à la situation. Elle procéda cependant de façon opposée à son collègue ; plutôt que de s'adresser à la masse comme une seule entité grouillante, elle parlait seule à seuls avec quelques-uns de ses membres à la fois, ce qui avait pour effet de faciliter les échanges et le réconfort.

 Soudain, des bruits de pas pressés résonnèrent dans tout l'édifice. Nathalie Nathalie apparut au tournant d'un couloir. Elle se dirigea immédiatement vers Marlowe.

 — Que t'arrive-t-il ? s'enquit-t-il.

 Le temps qu'elle reprenne son souffle, le Lieutenant se releva.

 — Tu te souviens quand tu m'as dit que tu te croyais observé ?

 — Un peu trop bien, oui.

 — J'ai vu quelqu'un.

 — Qui ça ? Où ça ?

 — Je ne sais pas, il était dehors je n'arrivais pas à bien voir.

 — Dehors ? Dans la tempête ?

 — C'est ça, mais il ne semblait pas affecté par elle. Il me regardait fixement, d'un air de tueur, et s'approchait lentement comme les psychopates dans les films ! J'ai eu tellement peur !

 "Il semblerait que ce Hanz avait raison sur un point : cette histoire nous dépasse, même moi. Les péripéties se déclenchent toutes seules, elles n'ont plus besoin de mon aide. Il a suffit que j'envoie la première impulsion pour qu'un tas d'événements se produisent ensuite. Ça dépasse toutes mes espérances, un peu trop d'ailleurs."

 — Le froid a dû avoir raison de lui maintenant, ne t'en fais pas.

 — C'est censé me rassurer ? Qu'un type soit mort congelé à quelques mètres de nous ?

 — Oui.

 Le malaise grandissait dans l'esprit de chacun. La présence des corps dans leur lieu de vie n'était tout bonnement plus acceptable. En accord avec cette idée, et ne désirant pas qu'une odeur de décomposition vienne envahir l'endroit, Lucio proposa d'amener les cadavres dehors, où la neige les recouvrerait. Les plus forts d'esprit se collèrent à la tâche. Magalie ressentit un grand froid s'infiltrer dans la salle quand elle ouvrit la porte. En moins de cinq minutes, les morts quittèrent les vivants. La secrétaire referma une fois tout le monde rentré, espérant que la chaleur reviendrait bientôt.

 Tandis qu'elle essayait de se réchauffer, elle entendit des bouts de conversation. Pomoc, l'adolescent musclé, assurait avoir aperçu une personne supplémentaire quand il avait déposé Jean-Gabin dans la tempête.

 — Si, je vous jure ! s'insurgea-t-il. Un mec, debout, entre les flocons ! ... Mais je sais pas quelle taille il faisait, les perspectives sont trompeuses. ... Mais si, ma main à couper ! Je lui ai fait signe, je pensais qu'il me suivrait jusqu'ici, mais il n'est pas rentré... Il faut le ramener avec nous, le pauvre !

 Alors que personne ne voulait le croire, Lucio céda finalement.

 — D'accord, allons-y tous les deux.

 Magalie regretta de déjà devoir repermettre au froid de rentrer, mais elle souhaithait encore moins que plus de vies soient perdues. Elle laissa donc la porte entre-ouverte et les regarda s'enfoncer dans l'enfer neigeux. Une vingtaine de secondes suffirent à les rendre invisibles.

 — Alors, il est où ton type ? cria Diceni sous les flocons tumultueux pour bien se faire entendre.

 — J'en sais rien, il était par là-bas !

 — Ok.

 Les deux hommes s'enfoncèrent un peu plus, la poudreuse montant jusqu'à leurs tibias.

 — Je vois rien du tout !

 — Mais où est-ce qu'il est parti ?

 — Nulle part sans doute. On dirait qu'il n'y a jamais eu personne.

 — J'étais pourtant persuadé, regretta le jeune.

 Plus de deux minutes déjà qu'ils étaient sortis. Magalie ne les voyait pas revenir. S'ils n'avaient pas fait demi-tour assez rapidement, leur sens de l'orientation aurait très bien pu les tromper. Framboise les imaginait déjà avancer vers la mauvaise direction jusqu'à leur fin. C'est alors qu'une civile s'exclama :

 — Gilbert ! Quelqu'un a vu Gilbert ? Gilbert !

 — Que vous arrive-t-il madame ? intervint Magalie.

 — J'ai perdu mon mari ! Il a aidé à déposer les défunts dehors, mais il n'est toujours pas revenu !

 — Ne vous inquiétez pas, ils vont revenir avec lui.

 Magalie n'en était pas si sûr, mais elle l'espérait de tout son cœur. Elle scruta à travers l'ouverture de la porte, mais rien.

 Soudain, elle distingua trois silhouettes revenant vers elle. La joie transfigura son visage. Lucio rentra le premier, suivi par l'adolescent, dépitié et frigorifié.

 — Rien trouvé, expliqua Diceni.

 — Quoi ? n'y comprit rien la secrétaire. Comment ça ? C'est qui avec vous alors ?

 — Qui ça ? Y'a personne.

 Magalie regarda à nouveau. La troisième silhouette avait cessé de suivre les deux hommes, s'étant arrêtée au milieu de nulle part.

 — Et ça alors ? demanda Framboise.

 Tandis qu'elle prononçait ces mots, l'ombre s'évapora.

 — Vous avez vu quelqu'un ? s'inquiéta la femme seule.

 — Euh, oui je crois, mais il a disparu...

 — Gilbert ! s'écria-t-elle. Gilbert, tu m'entends ? Reviens ici !

 Elle sortit en trombe dans le paysage glacé pour raccompagner son époux.

 — Hey, non, revenez !

 Magalie n'eut le temps de la retenir.

 — Si j'y retourne une seconde de plus, expliqua Lucio, je vais geler sur place. Elle devra revenir d'elle-même.

 — Et merde, s'en voulu l'adolescent tandis qu'on lui tendait une couverture. C'est de ma faute ça... Pourtant ça n'avait pas du tout l'air d'une hallucination !

 — Je crois l'avoir vu aussi, avoua la secrétaire.

 — Je suis pas fou, hein ?

 Quatre minutes passèrent sans que personne ne revienne. Sous le coup des protestations frissonnantes, Magalie accepta de fermer la porte. "Si quelqu'un devrait revenir, on pourrait toujours le voir par la fenêtre" se rassura-t-elle.


 De son côté, Marlowe surveillait les trois criminels. Pablo semblait 'exclu' du 'groupe', probablement car il n'était que terroriste et pas nazi. Mathilda et Hanz discutaient entre eux à voix basse. Le Lieutenant avait évidemment remarqué qu'ils préparaient un nouveau coup fourré, mais il s'en moquait bien.


 — ... et ce serait à ce moment-là que je sauterais dans tous les sens, évitant les balles, et tordrait la nuque du type en noir.

 — Mathilda, vous jouez trop aux jeux-vidéos. J'ai fait la guerre moi, ce n'est pas comme ça que ça se passe en vrai. Votre plan est invraisemblable.

 — Dommage. Si seulement j'avais sur moi un bouclier télescopique, tout serait plus simple.

 — Eh, pas bête comme idée ça !

 — Ah bon ?

 — Si, totalement.

 — Ah.

 — Seulement, votre phrase m'a donné une idée. Nous avons déjà un bouclier à disposition. Suivez mon regard...
 — Pablo ?

 Hanz acquiesça.

 — Il a un bouclier télescopique sur lui ?

 — Mais non abrutie ! Ce sera lui notre bouclier...

 — Oh ! Ah je vois ! Fallait y penser !

 — En effet. Je suis d'accord avec vous ; je suis un génie absolu.

 — J'ai jamais dit ça par contre.

 — Oui, bon...

 — Je me souvenais même plus que ce type était avec nous.

 — Moi non plus à vrai dire. Il aurait pu intervenir dans l'avion ! Quel mou du slip !

 — Au moins maintenant il pourra nous être utile.


 Tout à coup, la voix criarde de Magalie interrompit les chuchotements et les chagrins :

 — La revoilà ! C'est elle qui revient !

 — Qui ça ? s'intéressa Lucio en se levant.

 — La femme qui cherchait son Gilbert, indiqua Framboise en pointant la direction de la silhouette qui s'approchait derrière la vitre.

 — Il faut tout de suite lui ouvrir ! s'exclama Pomoc, qui se sentait toujours coupable de ne pas avoir pu sauver l'homme qu'il avait aperçu dans le torrent de neige.

 — Oui !

 Diceni dévisagea les contours de la veuve, ne les reconnaissant pas.

 — Vous êtes certains que c'est elle ? On dirait un mec.

 — Peu importe, il faut l'aider ! Elle a passé une dizaine de minutes de ce blizzard.

 — Justement, comment elle a survécu à ça ?

 Constatant qu'elle ne marchait que très lentement, le jeune homme décida d'aller la chercher. C'est alors qu'elle se mit à courir. Subitement, le coeur de Lucio s'emballa. Il piqua un sprint, attrapa l'adolescent par le col et le tira si fort à l'intérieur du bâtiment qu'il faillit l'étrangler.

 — Qu'est-ce qui vous prend ?! s'énerva Magalie.

 — Fermez cette porte tout de suite !

 — Hors de question !

 — Faites ce que je vous dit !

 — C'est quoi votre problème ?

 Le gangster gratifia la secrétaire d'une violente giffle, se saisit de la poignet et claqua la porte.

 — Mais merde ! Laissez-la rentrer ! supplia Magalie.

 Lucio demeura silencieux. La silhouette se rapprochait toujours, mais ses traits ne devenaient pas plus clairs pour autant. Pomoc tenta de pousser le caïd pour permettre à la femme d'entrer, en vain ; Lucio était plus fort que lui. Elle n'était plus qu'à quelques mètres, et ne décelerrait pas pour autant. À y regarder avec plus d'attention, Pomoc ne comprit pas comment elle pouvait atteindre cette vitesse alors que lui avait eu tant de mal à marcher dans l'énorme couche de poudreuse. Quand le profil sombre s'écrasa contre la paroi transparente, il s'évapora en une dense fumée noire.

 Un long silence suivi, ponctué par :

 — C'était quoi ça ?

 — Un démon de l'apocalypse, révéla Lucio. Je le savais, la fin du monde est proche. Ils ont fait pleuvoir les corps, et maintenant ils viennent nous chercher directement. Mais ça bien sûr, les gouvernements nous le cache.

 — Qu'est-ce que c'est que ces carabistouilles ?

 — La stricte vérité. Désolé de vous avoir frappé, c'était pour vous sauver.

 — N'importe quoi ! s'exclama une grande-mère vêtue de rose et d'un œil de verre.

 — Y'a un problème ? s'emporta Lucio.

 — Oui, y'en a un ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez !

 — Ah bon ? Eh ben je serais curieux d'entendre votre avis, la vieille.

 — Ce ne sont que de simples âmes errantes, des fantômes vagabonds ! Ils ne peuvent nous blesser, ils sont juste perdus.

 — Et les gens qui tombent du ciel alors ? Vous en faites quoi ?

 — Mais quels gens qui tombent du ciel, enfin ?

 — Vous n'êtes au courant de rien ma pauvre...

 — C'est vous l'ignorant ! Je vous assure qu'il ne s'agissait que d'un spectre attaché à ce lieu. Quant à savoir ce qu'il fait ici, c'est une autre histoire... Vous pouvez me croire, j'en connais un rayon en esprits : je suis moi-même médium.

 — Manquait plus que ça.

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