L'épopée glaciaire, (3)
— ... Le vrai problème, c'est que pour me venger de tout ce que je subissais, je frappais en retour TeddyBourre, ma peluche, mon meilleur ami. Et maintenant, je le sens, TeddyBourre ne m'aime plus. Il... Il ne me regarde plus comme avant... Lui et ses yeux en forme de boutons, si tristes désormais....
Tandis que Thierry divaguait inlassablement, Pablo se retourna vers les occupants des places arrière.
— Vous avez entendu ? Hein, j'suis pas fou !
— Je l'ai entendu aussi, affirma Diceni. Un éternuement, derrière.
Magalie était visiblement paniquée.
— Gardez votre calme, chuchota Marlowe, il pourrait nous entendre. Thierry. Thierry. Thierry !
Mais Thierry ne répondait pas, absorbé par ses souvenirs mélancoliques. TeddyBourre ne méritait pas tout ça... Marlowe cessa de parler à voix basse, puis graduellement, se mit à crier.
— Thierry ! Eh oh, Thierry ! Thierry !! Thierry !!! BORDEL THIERRY RÉPONDEZ À LA FIN !!!!
— Hein que quoi ? Oui, qu'est-ce que y'a ?
— Arrêtez-vous, chuchota à nouveau Marlowe.
— Que je m'arrête ? gueula le conducteur. Et puis quoi encore ?! On va galérer pour redémarrer, vous le savez très bien ! Ah non, ça c'est hors de question !
— Moins fort... Il y a un intrus dans le coffre...
— Ça me fait une belle jambe ça, tiens ! Qu'il y reste dans son coffre, il dérange personne là où il est.
— C'est à dire que...
— J'ai raison ou j'ai pas raison ? Bon. Tant qu'il est enfermé là dedans il pourra rien faire. Donc on s'arrêtera uniquement quand la route sera moins neigeuse, ou quand on aura atteint notre destination.
— Là c'est sûr, fit Lucio, il nous a entendu.
— Eh, le tchô ! apostropha Thierry. Ça va ? Pas trop serré dans le coffre ?
— Franchement si, un peu, répondit une voix étouffée à l'arrière.
— Eh bah rien à battre ! Fallait pas venir en douce !
— J'avoue, accorda la voix du coffre, c'était une idée de merde. J'aimerais bien sortir en fait, de préférence le plus tôt possible.
— Faudra attendre qu'on s'arrête pour ça, et c'est pas d'main la veille !
Tout à coup, le toit en mousse, séparant le coffre du reste de la voiture, sauta. Une petite tête dépassa.
— Ah, j'en pouvais plus, j'étouffais là-dedans !
— Pomoc ? s'étonna Marlowe. Mais qu'est-ce que tu fous là-dedans ?
— Ben, je voulais venir avec vous, mais vous vouliez pas...
— Ah oui, et donc t'es venu quand même...
— C'est votre collègue qui a insisté pour que je vienne.
Le Lieutenant tourna son regard vers Magalie, toute raide, le visage rouge.
— Qu'est-ce que c'est que ces conneries Magalie ?
— Euh bah c'est à dire que... Euh... En fait je...
— Vas-y, crache le morceau.
— J'avais pas confiance en notre équipe, et je voulais amener au moins quelqu'un de confiance, qui soit compétent et pas dangereux, avec nous.
— Putain Magalie, t'es sérieuse là ?
— J'la comprends, fit Thierry, moi non plus j'aurais pas eu confiance en moi. Ma mère, par exemple, n'a jamais eu confiance en moi non plus... Tout comme mon père qui...
— Faut dire, remarqua Lucio, on est tous un peu des criminels ici : Je traffique de la drogue, vous avez détourné un avion, lui conduit sans permis, et celui-là a pour coutume familiale d'empoisonner les gens.
— Mon dieu ! s'affola Pomoc. Où est-ce que je suis encore tombé ? Mais dans quoi je me suis embarqué ?
— Bah ouais, fallait y réfléchir avant, gamin.
— T'es contente Magalie ? T'as ramené un ado apeuré parmi nous, c'est sûr que l'équipe est bien plus stable maintenant !
— Mais enfin, fit Pablo, je ne comprends pas, vous aviez pourtant confiance en moi !
— Ah, oui, Pablo... soupira Magalie. Je regrette déjà de vous avoir accepté parmi nous, c'était juste un acte de pitié.
— Donc vraiment personne n'a confiance en moi, super...
— Moi j'ai confiance en toi, le rassura Thierry. Tout comme TeddyBourre avait confiance en moi, fut un temps...
— Hein ? TeddyBourre ? C'est qui ça ? Qu'est-ce que tu racontes ?
— Sérieusement ? Tu m'écoutes pas depuis tout à l'heure ?
— Euuuuuuuuuuuuuuh...
Pablo parvint à maintenir son "euh" pendant deux minutes. Marlowe le sauva en reprenant la parole.
— Bref, Pomoc, va falloir assurer maintenant. Y'a plus de retour arrière possible.
— Oui, tout à fait ! Je saurais me montrer digne de votre confiance et ferais tout mon possible pour vous aider !
— Parfait.
— Je l'aime bien, ce gamin, dit Lucio.
— Houlà ! s'exclama Marlowe. Profite bien de ce compliment, c'est la première fois que je l'entends en prononcer un !
— Bon par contre, petit, formula le conducteur, baisse-toi un peu, j'arrive pas à voir dans mon rétro central à cause de toi.
— Ah oui pardon, tout de sui... Attendez, quoi ? Vous avez pas besoin de voir l'arrière de la route, y'a rien ni personne !
— Oh oh oh oh ! Sur un autre ton, petit ! Tu sais à qui tu t'adresses ? Je suis Thierry, le légendaire pilote de...
— Abrège, soupira Marlowe.
— ... Oui, bon, bref, discute pas les ordres des grands, c'est moi le conducteur à c'que j'sache, hein, donc c'est moi qui sait ce qu'il faut faire pour conduire.
— Oui enfin, je veux bien mais, ça n'a pas de sens, y'a aucun argument là, vous avez juste dis que...
— Oh alors toi, je vais t'apprendre la politesse, mon garçon ! Allez, baisse-toi ou j'te foutrais une de ces roustes dès qu'on s'arrêtera !
— Thierry, calmez-vous, le pria Magalie.
— Vos désirs sont des ordres, charmante demoiselle.
— C'est ça, le pouvoir des femmes ! souffla Magalie à l'oreille de Marlowe.
— Ça, et aussi celui de faire la cuisine.
Framboise gratifia Marlowe d'un coup sur l'épaule.
— Je l'ai cherché.
Quelques minutes seulement après la "révélation du coffre", Thierry distingua quelque chose sur la route. En s'approchant il distingua qu'il s'agissait d'une pancarte en bois en plein milieu de la neige. Dessus, on pouvait lire "Bienvenue au Tibet !".
— Hey, regardez ça !
— Ah, nous voilà finalement au Tibet ! célébra Magalie.
— Vous trouvez pas que c'est bizarre ? s'assura Marlowe.
— Non, quoi ?
— Bah... Cette pancarte, pile sur notre route, qui dépasse de la neige, et uniquement en français ?
— Tu réfléchis trop... lui confia Lucio.
— Non, pas du tout ! C'est vous qui réfléchissez pas du tout.
— Moi je trouve que c'est assez curieux, en effet, confirma Pomoc.
— Ah, merci ! Enfin quelqu'un de censé ! T'as bien fais de le ramener, finalement, Magalie.
— Tiens, en parlant de choses étranges... anonça Pomoc. J'ai écouté votre conversation tout à l'heure, et il y a un autre événement paranormal qui me reste coincé dans un coin du crâne, que je n'explique pas et que je ne vois pas comment expliquer. C'est cet énorme nuage de fumée noire qui a englouti toutes vies dans l'aéroport, et dont la seule preuve vidéo a été supprimée de mon téléphone comme par enchantement...
— Quelque chose me dit qu'on aura la réponse au prochain chapitre, intuita Marlowe.
— Ah bah j'espère bien ! Parce que c'est vraiment LE truc mystérieux.
— Donc t'as aucun problème avec la notion de "chapitre", toi ?
— Si, mais je voulais pas recréer une embrouille.
Soudain, un violent éclat brusqua les oreilles des passagers. Puis, quelques secondes après, un second éclat. La trajectoire de la voiture sembla affectée par ces bruits.
— Qu'est-ce qui se passe, Thierry ?
— Je sais pas, j'arrive plus à bien contrôler les roues !
Un troisième bruit sourd. La Jeep Ultra Hiver en fut ralentie. Avec la quatrième explosion, elle s'arrêta complètement et commença à s'enfoncer dans la poudreuse.
— Tout le monde sort, vite !
Dès que Marlowe eut mit pied à neige, il remarqua une lueur furtive en haut d'une colline. Puis, des cris retentirent. Une vingtaine d'hommes sortirent de leurs cachettes et s'attroupèrent autour de la Jeep aux pneus crevés. Portant des tenues de camouflage blanches et des fusils d'assault, ils encerclèrent rapidement le groupe d'européens. Celui qui semblait être le plus gradé s'approcha un peu plus, accompagné de son subordonné. Il prononça quelques mots en mandarin, et l'autre les traduisit :
— Mettez les mains sur la tête. Vous allez nous suivre et répondre à nos questions.
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