Le Cavalier.
Marlowe réfléchissait seul, dans son coin. Son œil mauvais dévisageait ses trois ex-compagnons de route restants. Car ils n'étaient plus dans son camp, désormais. En plus de sa profonde envie de faire de son histoire quelque chose de spectaculaire, le Lieutenant possédait des convictions qui le poussait à tenir en faveur des tibétains. Par ailleurs, ils l'avaient bien accueilli, et ce n'était certainement pas les chinois qui allaient le conduire jusqu'à Mardo. Son esprit était tiraillé, devait-il tout de même assister au combat au risque de ne pas pouvoir retrouver le personnage tant attendu depuis trois épisodes déjà, ou alors demander de rejoindre la voiture de Magalie et Pomoc tant qu'il en était encore temps ?
Non, c'était décidé. La bataille à venir était une occasion trop belle pour être ratée. De plus, la récente dispute avec sa collègue ne lui donnait pas envie de la retrouver dans l'immédiat. Enfin, quelqu'un devait bien s'occuper de ces ziggotos qui comptait renverser le cours du combat.
Mais pourquoi voulaient-ils faire ça ? Quelles pouvaient bien être leur motivation ? Avec des débiles pareil, il fallait s'attendre à tout... Après tout, peu importait. Ce qui comptait, c'était de les en empêcher.
Lucio jetait régulièrement des regards suspects à l'encontre de l'inspecteur. Ce dernier envisagea toutes les méthodes possibles de les contrer.
1. Les tuer immédiatement.
Non, trop brutal, trop risqué, et surtout, pas intéressant.
2. Prévenir Ching de leurs intentions.
Pour cela, il fallait passer devant ses trois nouveaux ennemis. Si ceux-ci ne se jetaient pas sur lui à la première occasion, les tibétains ne feraient qu'une bouchée de la menace. Efficace, sûr. Mais à nouveau, pas très intéressant.
3. Aller leur parler et tenter de les convaincre.
Mine de rien, Marlowe s'était attaché à ces abrutis. Il espérait pouvoir les ramener à la raison, mais aussi comprendre leur brusque revirement de cap.
L'homme à la conscience supérieure soupira, puis opta pour l'option 3, la 2 étant son plan de secours.
Il s'approcha des cultistes du Oui, l'air gai.
— Salut ! fit-il en s'insérant dans leur cercle.
Ils ne lui rendirent qu'un silence de marbre.
— Alors les petits potes, vous parliez de quoi avant que j'arrive ? Pas de moi j'espère, ahah !
— Justement, avoua Pablo, figure-toi que si !
Lucio contena l'immensité de son accablement. Il ferma les yeux deux secondes pour garder son calme, puis rattrapa la bourde :
— Exact, on disait que sans toi, on serait pas là aujourd'hui. Toute cette épopée, c'est un peu grâce à toi.
— Et on disait aussi à quel point tu es charmant garçon, extrêmement intelligent, extraordinairement charismatique et rudement courageux ! ajouta Thierry.
— On n'a jamais dit ça, réfuta Lucio.
— C'est un peu louche votre histoire là, tenta Marlowe. Vous me cachez un truc, ou... ?
— En effet ! s'exclama Pablo.
— Pas du tout ! s'énerva Diceni.
— La seule chose qu'on te cache, rattrapa Thierry comme il put, c'est notre admiration sans faille envers ta magnifique personne. Ah, quelle grandeur, quelle bonté, quelle...
Lucio ne savait plus où se mettre. Il regardait à droite, à gauche, gêné. Marlowe en eut assez.
— Bon ça suffit, arrêtez de me prendre pour un con, je sais ce que vous manigancez.
Les yeux des trois complices s'écarquillèrent en même temps.
— Merde, on est grillés ! soupira Pablo.
— Et qu'est-ce que tu crois qu'on manigance, mon cher Marlowe ? demanda Lucio, un brin anxieux, tentant toujours de conserver son calme.
— À toi de me le dire, vieux frère !
— C'est Pomoc qui te l'a dit, c'est ça ?
— Toujours aussi perspicace.
— Et alors, tu comptes nous en empêcher ?
— Pas pour l'instant. Je cherche juste à savoir pourquoi.
— Je te l'ai dit. Ces engins sont les Cavaliers. Ils nous détruirons, à condition qu'on ne les détruise avant.
— Ta théorie est totalement infondée.
— Pas plus que les tiennes.
— Tu as conscience qu'en détruisant ces tanks, tu diminueras drastiquement les chances de gagner des tibétains ?
— Je le réalise parfaitement. Et alors ?
— Je ne te permettrais pas de faire ça. Il est temps que les répressions qu'ils subissent cessent.
— Sérieusement ? Aider un peuple misérable à gagner une guerre d'indépendance en échange de la condamnation de notre espèce ? Vous autres, toujours à vous mettre du côté des opprimés... Mais pourquoi ? Ils ne sont peut-être pas aussi bons que vous le croyez. Peut-être seront-ils plus odieux encore envers leurs voisins que ceux-ci ne l'ont été. C'est même très probable, l'Histoire nous a montré à maintes reprises que les anciens opprimés oppriment plus encore leurs anciens oppresseurs dès qu'ils le peuvent.
— Je suis pas venu parler politique, Lucio.
— Moi non plus. Je veux simplement sauver le monde.
— "Simplement", hein ? Depuis quand tu veux faire le bien ? Toi, le grand criminel, tu es soudain pris d'une envie de rédemption...
— Donc tu es venu parler psychologie, c'est ça ?
— Non plus. Je suis venu t'empêcher d'agir.
— M'empêcher de tous nous sauver, donc. Je dois empêcher les tibétains d'utiliser ces monstruosités.
— Mais, et si finalement, hypothétisa Marlowe, c'est en aidant la Chine à vaincre le Tibet que les savants chinois trouveront alors les plans des chars, les utiliseront à mauvais escient, et ainsi déclencheront la fin du monde ? Et si finalement le destin était inévitable, déjà en marche, et que vous étiez ceux qui conduiraient l'humanité à sa perte en espérant justement la sauver ?
— Encore dans tes délires, à ce que je vois.
— Mais... Mon bon Lucio, ne vois-tu que nous sommes pareils ? Toi aussi tu nages en plein délire. Toujours est-il que ta prophétie se réalisera uniquement parce que tu en as connaissance.
— Ça, on n'en sait rien. Je préfère tenter quelque chose que de rester passif.
Pablo fut pris d'un mal de crâne. Il s'approcha de Thierry et lui chuchota à l'oreille :
— Je comprends plus rien de ce qu'il se passe.
— Moi non plus je pige que dalle, avoua le féru de karting.
Marlowe se leva alors et entama un discours :
— Je vois que je n'arriverais pas à te convaincre.
— En effet, affirma Lucio.
— Et cela me désole au plus haut point. J'espérais poursuivre cette aventure avec vous, mais me voilà seul. Peu importe. Je ne vous laisserai pas gâcher la bataille à suivre. En fait, c'est peut-être mieux que je vous abandonne ici. Vous n'êtes qu'une bande de débiles caricaturaux. Vous êtes les auteurs de gags stupides et puérils. Sans déconner, regardez autour de quoi vous êtes assis. Une boîte à Oui... C'est ça les blagues, maintenant ? J'en ai marre de l'humour à tout va. La vie c'est plus que ça. Je rendrais cette histoire grandiose, et non plus comique... Et le point de départ du revirement de mon univers, ce sera cette bataille époustouflante, sanglante, terrible, riche en émotions. Cette bataille que je vous empêcherai par tous les moyens de gâcher. Vous constaterez bien qu'à partir du moment où elle aura lieu, nous passerons dans un autre genre d'histoire. Car oui, c'est possible de faire ça, certaines œuvres l'ont déjà exécuté de manière excellente. Aurevoir la comédie, bonjour le drame.
— Tu débloques complétement mon pauvre vieux...
— Si tu le dis. Alors voilà comment ça va se passer : Vous allez rester là bien gentiment et ne pas bouger. Point.
— Et pourquoi ça ?
— C'est bien simple, refusez immédiatement de mettre votre plan en action. Si vous faites le moindre mouvement suspect, je n'hésiterais pas à vous flinguer et à prévenir Ching, qui à son tour préviendra ses collègues. Vous êtes bloqués, c'est tout ! Il faut toujours tout vous expliquer...
— Je vois, fit Lucio en se levant à son tour. Tu utilises le même procédé que contre les terroristes dans l'avion, ou que contre les nazis dans l'aéroport... Mais tu oublies un détail : Et si tes opposants étaient assez fous pour braver le blocage ?
— Eh bien, vous mourrez ou serez capturés, c'est tout.
Lucio s'approchait de manière mençante du Lieutenant. Il fit un signe de la main pour inciter ses complices à se lever à son tour. Pablo récupéra le buzzer en passant. Sa maladresse déclencha un OUIII qui plomba l'atmosphère tendue. Elle la déplomba donc, en quelques sortes. Le malfaiteur héroïque colla son visage à quelques centimètres de celui de son interlocuteur.
— T'oseras pas.
— Tu me connais pas assez, visiblement. J'ai beau m'être attaché, je dois me débarasser de vous. Que ce soit par l'abandon ou la mort. Ma décision est prise.
— Je sais très bien que t'as laissé ton arme à ta chère et tendre Nathalie. Moi, j'ai ramené les miennes. Thierry et Pablo sont prêts à les récupérer et à s'en servir. Et je pourrais te prendre comme otage dès que le moindre appel sortira de ta bouche.
— Faites donc.
— Quoi ?
— J'ai pas peur. En tant que personnage principal, je suis immortel.
— Te la pètes pas trop non plus, connard.
— Vous êtes juste pas assez nombreux ni assez performants pour venir à bout des soldats dans ce char. Ton seul espoir consiste à attendre une opportunité qui pourrait vous permettre de retourner la situation à votre avantage. Tu sais que j'ai raison. Retourne t'asseoir maintenant.
Lucio grommela. Il soutint le regard du protagoniste pendant quelques secondes, puis lâcha un grognement. Impuissant, il effectua l'ordre du Lieutenant.
Quelques heures passèrent, maussades et sérieuses. Marlowe distingua de nombreux cuirassés et troupes tibétaines dans les reliefs enneigés. Un homme grimpa sur le char et on l'y fait entrer. Il expliqua la situation à ses collègues. Interloqué, Marlowe interrogea Ching :
— Que se passe-t-il ?
Mais ce fut le nouveau arrivant qui lui répondit par une autre question :
— À qui ai-je l'honneur ?
— Marlowe Bopidabou, police française. Et vous ?
— Je me nomme Chong, je suis chargé de la straté...
— Bordel mais c'est pas vrai !
Marlowe fulminait. Il s'adressa à l'auteur sous le regard perplexe de Chong.
— Nan mais putain, faut faire un effort là ! "Tibex", "Ching" et maintenant "Chong", mais tu nous prends pour qui ? C'est ultra-raciste et cliché, ça suffit !
Les deux tibétains parlant français se concertèrent un instant puis avouèrent la vérité :
— En effet, vous avez raison, nous n'aurions pas dû. Ce ne sont en effet pas nos vrais prénoms. Nous avons choisi ceux-là en pensant que les étrangers ne soient confus. Avec ces fausses appelations, on se disait qu'ils parviendornt à prononcer nos prénoms tout gardant à leurs yeux une consonnance asiatique.
— Mais... C'est complètement con ! Qui pense à ça, sérieusement ? Bref, passons. Vous voulez bien me dire comment vous vous appelez réellement ?
— Bien sûr. Moi c'est Mai-Linh.
— Et moi Shun-Yuan. Mais c'est peut-être assez dur pour vous de le prononc...
— Mail-Linh, Shun-Yuan, répéta Marlowe de manière impeccable.
— Wow, en effet, vous savez le dire. Pardon de vous avoir jugés et sous-estimés.
— Pas de soucis, oublions tout cela. Donc, que se passe-t-il ?
— Eh bien... Nos défenses sont fin prêtes. L'ennemi devrait arriver dans moins d'une heure sur notre position. Nous l'accueillerons comme il se le doit, mais le combat sera rude. J'ignore si nous nous en sortirons. Mais peu importe. L'intérêt est de gagner du temps pour permettre aux populations d'évacuer les grandes villes.
De leur côté, Pablo et Thierry peinèrent de nombreuses minutes à tenter de prononcer les véritables noms de "Ching" et "Chong". Le Lieutenant les observa avec dégoût
"Pitoyables... C'est ça, l'humour maintenant ? Parfois mieux vaudrait juste pas en faire..."
Du mouvement. L'armée chinoise poignait à l'horizon. Si nombreux... Bien plus qu'on ne puisse le concevoir. Marlowe jubila. Le combat épique qu'il attendait tant était sur le point de commencer.
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