Chapitre 13

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Je m’éveillai, couchée dans un lit qui dégageait une forte odeur de désinfectant. J’ouvris les yeux, entourée de draps blancs, dans une pièce toute aussi blanche. La blouse grisâtre d’un médecin, à la silhouette encore floue pour mes yeux fatigués, faisait tache sur la couleur immaculée des murs et du plafond. Seul le son de son crayon qui grattait nerveusement contre le papier brisait le silence. Il ne savait pas que j’étais réveillée.

Soudain prise d’un gros doute, je jetai un regard à mes habits. Je fus soulagée de voir que je portais la même tunique que d’habitude. Apparemment, personne n’avait eu la mauvaise l’idée de me l’ôter pour m’ausculter, ce qui aurait conduit à la découverte de ma vraie identité. Mais le médecin présent dans la pièce risquait de me demander à un moment où à un autre d’enlever ma tunique... Quelle excuse devrais-je alors inventer pour l’en empêcher ? Je secouai la tête. Non, je n’avais pas besoin de me stresser à l’avance ; à force de m’inquiéter, une migraine pointait déjà son nez. Je me massai doucement les tempes, fermant les yeux pour tenter de me souvenir de comment j’étais arrivée dans cette pièce. Je n’avais absolument aucun souvenir. J’avais dû m’évanouir pendant plus longtemps que je ne l’aurais pensé.

- Ah, vous êtes réveillé ! fit une voix bienveillante juste à ma droite.

Je sursautai et tournai la tête. Le médecin en blouse grise me fixait, un sourire compatissant pendu à ses lèvres presque inexistantes. De petites lunettes rondes posées sur son nez lui donnaient un air de rat de bibliothèque.

- Oui... répondis-je dans un murmure, craignant que le fait de parler fort ne me donne mal à la tête.

- Vous avez fait une belle frayeur à vos amis, continua-t-il en s’emparant d’un gobelet, heureusement, ce n’était qu’une hypoglycémie liée à la fatigue. Ils vous surmènent trop, dans cette école... ajouta-t-il en levant les yeux au ciel.

Je souris. Le calme qui régnait dans la pièce m’apaisait, ici le temps semblait s’écouler au ralenti. Loin des cris des spectateurs, loin des cours harassants, loin du brouhaha constant des élèves. J’avais l’impression que si on ouvrait la porte de cette infirmerie, ce sentiment de quiétude serait brisé ; les bavardages incessants tenus dans le couloir s’infiltreraient ici, me rappelant alors qu’en dehors de cette pièce, le calme n’existait pas.

Le docteur s’éloigna du lit et actionna le robinet d’un petit évier lui aussi d’une blancheur immaculée. Tandis que l’eau coulait dans le gobelet qu’il tenait à la main, il me fit la conversation.

- C’était un beau match, vraiment un beau match ! Vous avez stupéfait tous les supporters ! Depuis le temps que ça dure, ils s’attendaient à ce que l’équipe des deuxième année gagne, comme d’habitude !

Je fronçai les sourcils. Maintenant que c’était passé, je ne voulais plus en entendre parler. Le land, c’était fini pour moi. Hors de question de remonter sur l’une de ces planches volantes qui m’avaient tant malmenée. En voyant mon expression, le docteur sourit.

- C’est vrai que ça s’est assez mal terminé, pour vous.

Je hochai la tête, tout en chassant de mon mieux toutes les images désagréables qui me venaient en tête. Cette chaleur et cette fatigue lors du match avaient non seulement achevé de m’éreinter, mais en plus m’avaient un instant rappelé mon village, mes proches, Wahcka. Le docteur se déplaça à l’autre bout de la pièce pour prendre des médicaments sur l’étagère. Il me tendit le paquet.

- Ce sont des fortifiants, précisa-t-il, prends-en une fois par jour durant la semaine qui suit. Ça t’aidera à te remettre.

- Merci.

Je pris les médicaments et les glissai dans l’une des nombreuses poches de ma tunique. Le médecin me tendit le verre d’eau, que je vidai d’un trait. La chaleur du soleil qui filtrait à travers les rideaux chauffait mes bras, m’apportant un peu de réconfort.

- Vous avez passé toute la nuit, ici. Vous allez devoir retourner en cours, vous avez manqué plusieurs heures, me fit-il remarquer.

J’acquiesçai et m’assis sur le lit, repoussant les draps blancs. Je m’étais assez reposée, il fallait reprendre le travail. Mes sandales de cuir m’attendaient à côté du lit ; je les enfilai et me levai, malgré le petit mal de tête que cela me procura.

- Ne vous surmenez pas trop aujourd’hui, et n’oubliez pas de prendre un fortifiant ! m’avertit le médecin en ouvrant la porte pour me laisser sortir.

Immédiatement, un torrent de bruit se déversa dans la pièce, tellement soudain que j’en fus sonnée. Cette infirmerie était vraiment bien insonorisée ! Je remerciai le docteur et sortis dans le couloir, les mains dans les poches. Je me hâtai vers les dortoirs pour aller me changer et chercher mon sac de cours. J’avais aussi besoin de prendre une bonne douche. Me glissant entre les groupes d’élèves, j’atteignis rapidement le bâtiment des dortoirs. Je ralentis l’allure, heureuse d’être sortie de cette cohue due à la fin d’une heure de cours. Je poussai la lourde porte et m’engageai dans les escaliers, montant marche après marche, étage après étage.

Enfin, j’arrivai devant la porte de ma chambre. Le couloir, silencieux, désert, me rappela que mes amis étaient sûrement en train de travailler à cette heure-ci. Je soupirai, puis bâillai avec une furieuse envie de m’étirer. Je poussai la porte, qui tourna silencieusement sur ses gonds.

J’eus l’impression d’entrer dans la plus belle pièce du monde. A travers le dôme, je pouvais voir le ciel bleu traversé par de rares nuages, où quelques oiseaux voltigeaient dans l’air. La luminosité du soleil éclaboussait les murs blancs. Je me jetai sur mon lit, rebondis sur le matelas, enserrai mon oreiller. J’adorais ma chambre. J’aurais pu rester allongée ici plusieurs heures si l’image d’une salle de classe ne s’était pas imposée à mon esprit.

Couchée sur le dos, je jetai un coup d’œil à mon bureau : mon emploi du temps m’y attendait. Quelle heure était-il, au fait ? Je n’avais pas de montre. M’emparant de la feuille pour prendre connaissance des différents cours de la journée, je levai les yeux vers le ciel, à travers le dôme de verre. Le soleil était presque au zénith. Habituée à m’appuyer sur les signes du ciel, j’en déduis rapidement l’heure. Onze heures du matin. J’avais cours de géographie.

Soudain ravivée par le désir de poser de nouveau les yeux sur la carte du monde et de parcourir mentalement les montagnes, les plaines et les pays, je bondis sur mes pieds. M’emparant au passage de ma serviette de toilette, je partis prendre une douche. Il me restait dix minutes avant le début du cours.

************

Je courais dans le couloir, le souffle court, malgré l’interdiction. Cinq minutes. J’étais en retard de cinq minutes, moi qui étais certaine d’avoir bien géré mon temps, j’allais devoir remettre mon horloge interne en question. Lorsque j’étais sortie de ma chambre pour aller en cours, ma sacoche de cuir serrée contre moi, j’étais certaine d’être à l’heure. Ce n’était qu’en jetant un regard à la grande horloge du hall que je m’étais rendue compte de mon erreur. Et maintenant j’étais là, à courir dans le couloir comme si j’avais le feu aux fesses.

- Monsieur Vin Dorr ! cria une voix dans mon dos.

Je me raidis. Si on me prenait à courir, je risquais gros. Je m’arrêtai et me retournai. Madame Clara se hâtait vers moi, les talons de ses chaussures claquant sur le sol à un rythme précipité.

- Bonjour Madame Clara, je suis sincèrement désolé, je sais que c’est interdit mais je suis vraiment en retard, alors... tentai-je d’argumenter, espérant ne pas me prendre une punition.

- Vous allez bien ?

Je fus vraiment surprise. S’inquiétait-elle pour moi ? Ne voyait-elle pas que j’étais en train de transgresser deux règles à la fois : ne pas arriver en retard et ne pas courir dans les couloirs ?

- Je vais bien, merci.

- Vous devriez quand même vous reposer un peu plus avant de reprendre les cours ! En plus vous vous fatiguez, à courir ainsi ! fit-elle, les sourcils froncés.

- Je vous assure que je vais bien, insistai-je, je suis en retard, alors je vais aller en cours maintenant.

Madame Clara me fixa, seulement à moitié convaincue. Finalement, elle sourit et désigna le couloir de sa main aux ongles soigneusement manucurés.

- Alors allez-y, il serait dommage de rater une partie importante du cours !

Je hochai la tête et pressai le pas pour rejoindre la salle de géographie, encore éberluée par la réaction de la secrétaire. « J’ai eu chaud ! Si Madame Clara n’était pas si gentille, j’aurais sûrement eu une heure de colle... » pensai-je en longeant les portes alignées. J’atteignis enfin la salle de cours. Je pris mon inspiration et frappai du poing sur le pan d’artbois verni. On m’ouvrit. La silhouette du professeur se dessina dans l’encadrement de la porte.

- Eh bien, Wil ?

- Veuillez m’excuser pour le retard, soufflai-je, l’air contrit, j’étais à l’infirmerie et...

- Je connais le motif de votre retard, je laisse passer pour cette fois. Regagnez rapidement votre place.

Je me dirigeai vers le fond de la salle après avoir jeté un œil au tableau où était dessinée à la craie la forme des limites du royaume. Mes trois amis me suivirent du regard, et je leur fis un petit signe de la main pour signifier que j’allais bien. Le cours reprit.

Je sortis mon cahier de ma sacoche et l’ouvris, ne pouvant cependant m’empêcher de caresser le grain du papier. Pour moi, les feuilles de papier avaient quelque chose de fascinant, quelque chose qui tenait presque du miracle. Je contemplai la carte du monde inachevée que j’avais commencée à recopier lors du dernier cours. Mon écriture penchée recouvrait les marges, précisant ceci ou cela que le professeur avait indiqué.

Aujourd’hui, le cours portait visiblement sur le commerce entre notre royaume et les autres pays. Au fur et à mesure que le professeur parlait, des annotations s’ajoutaient d’elles-mêmes au tableau, sans qu’il ait à faire un geste. Au début, ça m’avait vraiment surprise, mais maintenant nous y étions tous habitués : le professeur de géographie était un Mage très doué. Cependant, il ne débordait pas de charisme, malheureusement pour lui. Ses cours se noyaient dans le bruit et les bavardages incessants.

A vrai dire, il n’y avait que moi qui m’intéressais vraiment à la géographie. Les autres préféraient les cours de langues, ou encore l’histoire. Mais moi je trouvais ça merveilleux, la géographie ! Moi qui n’avais jamais vraiment vu autre chose que les maisons de mon village et la Tour Sacrée d’Hinsra, découvrir les autres régions du monde m’intéressait beaucoup.

Le son de la cloche résonna dans le couloir, interrompant le brouhaha constant pour le remplacer par le raclement des chaises sur le sol. Le professeur repoussa sa chaise, signe que le cours était terminé, et nous autorisa à sortir. Dès que je fus dans le couloir, je fus assaillie de questions.

- Wil ! Alors, tu t’en es sorti ? me demanda Lyrus en me rejoignant.

- Comme tu vois, répondis-je.

- Dis, c’est vrai que le médecin ressemble à une souris ?

Je haussai les sourcils. En effet, il y avait une légère ressemblance. Sa manière nerveuse d’écrire me revint à l’esprit.

- Ouais. Sa blouse est grise, en plus.

On me tapota l’épaule. Avvan et Cyll se tenaient derrière moi, souriants.

- Salut, Wil ! Ça va mieux ?

- Oui, oui ! Je suis bien remis !

- C’est dommage que tu te sois senti mal. Après le match, tout le monde nous a applaudi ! Et le Grand Mage en personne est venu nous féliciter ! fit Yenn en se frayant un passage entre les élèves pour marcher à ma droite.

- Je te l’avais dit, qu’on allait les exploser ! cria Lyrus assez fort pour que tous les élèves présents dans le bâtiment l’entendent.

Plusieurs d’entre eux se retournèrent, agacés. Le silence était de mise ici. Tout en discutant, notre petit groupe se dirigea vers le réfectoire. Cette fois, Cassa allait être contente : j’avais une faim de loup. Mademoiselle Vin Asse n’était pas là, elle devait avoir quelque chose à faire de plus important que de surveiller les élèves, ce qui nous soulagea grandement. Une queue s’allongeait devant le comptoir du réfectoire ; il nous fallut attendre plusieurs minutes. Il y avait du plek fumé au menu. La délicieuse odeur qui me parvenait me donnait l’eau à la bouche.

Je pris quelques crudités et acceptai avec joie l’assiette bien remplie que me tendit Cassa, qui salua mon geste -d’après elle digne d’un miracle- d’un grand sourire. Avvan, qui était parti devant, me fit signe pour que je le rejoigne. Le réfectoire était bruyant, comme toujours lors de la pause de midi. Je m’assis à ses côtés et commençai à manger en attendant les trois autres garçons.

- Wil ? m’interpella Avvan.

- Mmm ? fis-je en avalant de travers une bouchée de crudités.

Je me mis à tousser, et remplis précipitamment mon verre d’eau pour boire et faire passer ce qui était bloqué dans ma gorge. Je toussai de plus belle, projetant de l’eau sur ma tunique. Je m’essuyai la bouche avec ma manche et hochai la tête pour signifier à Avvan que je l’écoutais.

- Tu...Tu as l’intention de continuer, ici ? Je veux dire... ça te plaît, l’école de Shün ?

- Bien sûr, c’est mon rêve ! Pourquoi ? fis-je en haussant les sourcils.

Avvan baissa les yeux et se tortilla sur sa chaise.

- J’ai entendu dire que plus on avançait, plus il y avait d’élèves qui abandonnaient. Il paraît que dès la deuxième année, tout le monde se fait concurrence pour être classé dans les dix premiers de la classe, et que ça crée de grosses tensions entre les élèves.

- Pourquoi est-il si important d’être classé dans les dix premiers de la classe ? Tout le monde deviendra mage, de toutes façons, non ?

Mon ami secoua la tête et posa sa fourchette sur son assiette, plongeant son regard dans le mien.

- Wil, ne me dis pas que tu as cru qu’il suffisait juste d’entrer dans cette école pour devenir mage ?

- Eh bien... Ce n’est pas le cas ? m’étonnai-je.

- Bien sûr que non ! Lorsque nous serons en quatrième année, seuls les dix premiers de la classe seront pris ! Ils sélectionnent ceux qui vont devenir des mages au contrôle continu !

L’information mit du temps à monter jusqu’à mon cerveau. On ne m’en avait absolument jamais parlé. Même à la réunion de début d’année, le Grand Mage ne l’avait pas dit.

- Tu en es sûr ? demandai-je, perplexe.

- Oui, acquiesça Avvan, moi non plus je ne le savais pas avant de venir ici, c’est un élève de troisième année qui me l’a dit. En fait personne ne nous prévient, pour éviter qu’on se décourage à l’avance.

- Mais... En fait ça veut dire qu’on va tous finir par se battre pour la première place ?

Avvan secoua la tête, contrarié. Connaissant sa nature timide, il avait en effet des raisons de s’inquiéter : pour ne pas se mettre les autres à dos, il était bien capable de faire exprès de finir dernier.

- J’en suis incapable, Wil, ajouta-t-il tristement. Je... Je pense que je vais arrêter. Je veux devenir mage, mais s’il faut se battre avec ses propres amis, je préfère partir. Je suis trop faible pour ça.

- Ce n’est pas de la faiblesse, Avvan. Tu as totalement raison, ce fonctionnement est beaucoup trop compétitif. Mais...

Je fus interrompue par une exclamation de Lyrus, qui se dirigeait vers nous accompagné de Cyll et Yenn. Ils prirent place à nos côtés, et discutèrent pendant tout le repas sans laisser le temps à Avvan et moi de terminer la conversation. Malheureusement, nous manquions de temps ; il fallait déjà bientôt retourner en cours. Alors que tout le monde se levait déjà pour sortir du réfectoire, j’engloutis ma tranche de pain en vitesse, finis mon verre d’eau et rangeai précipitamment mes couverts avant de rattraper mes amis qui s’éloignaient déjà.

Comme je n’avais pas eu l’occasion d’en parler aux autres garçons, les paroles d’Avvan se tournaient et se retournaient dans mon esprit, et au fur et à mesure que j’avançais derrière les autres, j’étais de plus en plus perplexe. C’était clairement de l’arnaque. On nous avait menti. C’était très compréhensible puisque si moi-même j’avais su que pour former des mages on encourageait un tel esprit de compétition, j’aurais hésité à y aller, mais on nous avait vraiment fait croire que tout le monde deviendrait mage à la fin de nos études. Alors que c’était faux : seule la moitié de la classe serait qualifiée. Sans m’en rendre compte, je me mordais les lèves. Je venais de prendre conscience que j’allais devoir me battre. Vraiment. Contre mes camarades, et même contre mes amis. Mais je n’avais pas l’intention d’abandonner pour autant, c’était mon rêve et j’allais le réaliser. La voix de Wahcka résonna dans ma tête : « Quel qu’en soit le prix ». Oui, j’allais encore devoir faire des sacrifices pour y arriver, mais des sacrifices j’en avais déjà fait. « Et j’en ferai encore. » songeai-je en me rangeant à côté de Lyrus dans le couloir.

(Note : durant ma grande pause de Scribay, j'ai considérablement modifié les chapitres et notamment écourté la longue période de la vie d'Ewila à l'Académie que vous avez lue. Je vais donc terminer ce tome avec les anciens et longs chapitres, puis refaire une réecriture complète avec toutes les modifications lorsque j'aurais terminé le Tome 1. Merci beaucoup de votre compréhension et de votre lecture !)

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