5 Août 1940
Je viens de faire quelque chose de mal. De très très mal. Tellement mal que je suis persuadée qu'on va m'envoyer en enfer pour ça. J'ai volé quelque chose à quelqu'un. J'ai même du mal à l'écrire. Cela ne me ressemble pas. Je suis pas une voleuse habituellement. Et s'il le découvre, c'est sûr, je vais passer un très mauvais quart d'heure. Peut-être même que je vais me faire tuer, allons savoir.
Mais je n'ai pas réfléchi ! Je l'ai vu au pied de son lit sans surveillance. Je me suis approchée lentement, et je l'ai pris délicatement. Sans bruit, sans trace, sans preuves. Je ne voulais pas le voler au départ, ce fut plus fort que moi. Je n'ai pas réfléchi une fois que je l'avais dans les mains. J'aurai du le reposer. Il est posé là devant moi sur mon lit. Je n'ose y croire et pourtant, je l'ai fait. J'ai été très imprudente. Comment je vais pouvoir le rendre ? Car il est évident que je vais le remettre à sa place. Devrais-je le perdre ? Ou le garder ? Question de survie.
J'ai devant moi le carnet de Martin. Une sorte de cahier vert avec des bouts cornés et des pages ondulées, comme si elles avaient pris l'eau. Le carnet doit le suivre depuis un certain moment. Je l'ouvre ?
Je l'ai ouvert. J'ai feuilleté les pages délicatement. Je ne veux pas compromettre ce carnet. Une seule déchirure, corne ou marque de crayon viendrait me trahir. J'espère qu'il soupçonnera un de ses camarades. Je ne préfère même pas imaginer ce qu'il se passera s'il apprend que c'est moi qui l'ait. Tout est écrit en allemand dedans. Son écriture est agréable, beaucoup de boucles. Je dirai même qu'il a une écriture féminine. J'ai naïvement pensé qu'il écrirait en français. Au moins, j'aurai pu me mettre quelque chose sous la dent. Je repère des dates, mais elles ne se suivent pas, quelques mots que je reconnais mais je ne saisis pas le sens des phrases. Il y a des « J » majuscules aussi. Il doit sûrement se plaindre de Jäger. Ce « J » revient beaucoup quand même. Et si c'était son journal ? Pourquoi je ne parle pas allemand ??!!!! S'il écrit autant de choses inavouables que moi, je détiens un véritable trésor ! Mais un sacré trésor caché, alors que le mien, il pourrait le lire sans problème. Il faut que je te trouve une meilleure cachette que mon armoire.
Je viens de découvrir une enveloppe. Il y a des lettres à l'intérieur. Je vois que l'un des expéditeurs se nomme Ernst Krause et l'autre Katarina Schmidt. Martin ne m'a jamais parlé de l'un ou de l'autre. J'ai ouvert sa correspondance. Je suis la parfaite incarnation du diable. Pourquoi je fais ça ? Pourquoi ?
Sur la lettre de Ernst, j'ai distingué le mot « Freund ». Je me souviens que cela veut dire « ami ». Ernst est donc un ami de Martin. Il doit même être un ami assez proche pour lui écrire pendant la guerre. La lettre de Katarina m'a donné mal au ventre. « Ich küsse dich », « Meine Liebe », un cœur dessiné. Je ne suis pas dupe... Une boule s'est formée dans ma gorge. Je reconnais bien ces mots là. Cette Katarina doit être sa petite amie. Ou pire, sa fiancée ou sa femme. Martin a 23 ans, il doit avoir une vie. Ce qui ferait de moi... Rien, en fait vu qu'il ne se passe des choses que dans ma tête ! Je ne suis rien pour lui. Ouf ! J'aurai pu avoir le titre de Maîtresse en chef !
Tiens le prénom de Colette apparaît aussi. Enfin je le déchiffre. « Kolett ». L'écriture a l'air plus vive. Les traits sont plus vifs, tirés. Plus aucune boucle, que des traits. C'et une lettre qu'il est en train d'écrire, pas encore postée. Surement pour son ami Ernst.
Ceci dit, « J », ça peut aussi dire Joséphine.
Annotations