Chapitre II: Les âmes oubliées des profondeurs
Je me sentis de plus en plus à l'aise en compagnie de Madeleine et Gustave. Leur convivialité et leur chaleur me réconfortais après une longue journée de travail.
-Eh bien, si l'envie d'une histoire vous titille, laissez moi vous en conter une, commençai je, captant leur attention. Lors de mes pérégrinations dans le nord de la France, j'ai croisé la route de Pierre, un mineur au regard buriné par les profondeurs. Ses récits sur la vie en sous-sol, jonchée de défis et de dangers, m'avaient fasciné. Madeleine, illuminée par la perspective d'une nouvelle histoire, s'installa plus confortablement:
-Je suis tout ouïe, Émile. Veuillez partager avec nous l'une de ces épopées minières.
Je plongeai alors Madeleine et Gustave dans l'univers obscur et poussiéreux des mineurs du nord de la France:
-C'était lors d'un été torride, il y a de cela quelques années. Errant de ville en ville dans le bassin houiller de Courrière, je…
-Vous étiez seul dans cette errance ? interrompit Madeleine, curieuse.
-En effet, seul. Et c'est ainsi que j'ai fait la rencontre nocturne de ces âmes souterraines.
Je marquai une pause, me remémorant:
Un soir, j'ai rencontré Pierre, le mineur.
-Était il aimable ? demanda-t-elle, l'œil pétillant de curiosité.
-D'une gentillesse rare. Il m'a confié le mécontentement des mineurs face aux salaires dérisoires et aux conditions de sécurité précaires.
Je remarquai son intérêt grandissant.
Puis, il évoqua un tragique accident...
-Un accident ? Qu'est-il arrivé ? Elle se pencha en avant, absorbée.
-Dans un conduit étroit, un mineur a accidentellement enflammé une poche de grisou avec la flamme de son casque. Cela a déclenché une explosion dévastatrice.
-Mon Dieu, que c'est affreux ! s'exclama Madeleine, visiblement émue.
-Effectivement. Pierre décrivit l'ascension d'un nuage sombre s'échappant du puits, tel une funeste cheminée. Je fis une pause, laissant l'horreur de la scène s'installer dans leur imagination.
-Et les mineurs, que sont-ils devenus ? demanda-t-elle, suspendue à mes mots.
-La gendarmerie a scellé l'accès au puits, continuai je.
-Les mineurs découvrirent que les propriétaires tentaient d'étouffer l'affaire. Révoltés, ils se mirent en grève, exigeant des conditions meilleures.
-Ça me rappelle 'Germinal' ! s'exclama-t-elle, faisant le lien.
-Tout à fait. Et ce qui est encore plus remarquable, c'est que certains mineurs, donnés pour morts, ont survécu et refait surface plusieurs jours plus tard.
-C'est incroyable, murmura Madeleine, émue par le récit.
-Ces hommes sont soit d'une bravoure sans nom, soit fous de risquer leur vie ainsi, intervint Gustave, d'une voix sombre. Dans ces accidents, les plus chanceux s'en tirent avec des blessures superficielles, les autres perdent des membres, voire la vie. Vous devez bien connaître cette réalité, étant originaire de cette région.
-Hélas, oui. Beaucoup de mes amis d'enfance avaient des pères blessés ou mutilés par ces tragédies. Les accidents de mine sont fréquents. Sous terre, nul ne peut vous secourir. À l'instar des marins, ce sont des métiers périlleux, aux fins souvent tragiques.
-Vous êtes déjà passé par une ville portuaire ? s'enquit Madeleine.
-Non, pas encore. Mais quel plaisir ce serait de voir les vagues d'azur se briser en une palette de couleurs jusqu'au vert des plages. D'admirer les hautes falaises de grès et de calcaire, où l'on embrasse l'horizon et respire l'air marin mêlé à l'embrun remontant des parois rocheuses.
Madeleine laissa échapper un soupir empreint de désir, ses yeux perdus dans l'imaginaire des vagues lointaines.
-Rien qu'à entendre votre description, j'aimerais m'y rendre moi-même !
Sa voix trahissait une pointe de mélancolie.
Mais hélas, me voici bloquée, faute de moyens.
Observant avec attention l'éclat de rêverie dans les yeux de Madeleine, je penchai ma tête, un air pensif colorant mes traits. Après un moment de silence, je pris la parole, ma voix douce et empreinte d'un espoir naissant.
-Madeleine, vous rêvez de voir la mer, n'est-ce pas ?
Un sourire bienveillant fleurit sur mes lèvres.
Je parcours souvent les routes et les sentiers. Je serais plus qu'heureux de vous guider vers ces rivages que vous désirez tant découvrir. Que diriez vous de transformer ce rêve en une réalité, ensemble ?
À ces mots, une lueur d'espoir et d'excitation s'alluma dans les yeux de Madeleine.
-Vraiment ? Son visage s'éclaira d'un mélange d'incrédulité et de joie. Mais comment ferais je avec mes obligations à l'auberge ?
Je réfléchis un instant, pesant mes mots avec soin.
-Eh bien, il y a toujours moyen de trouver un arrangement avec le gérant et sa femme, Armand et Jeannette, n'est-ce pas ? suggérai je avec optimisme.
Madeleine acquiesça, mais une ombre de doute persistait.
-Certes, mais cela ne règle pas la question de l'argent…
Un éclat de détermination traversa mon regard.
-Laissez moi m'en occuper, dis-je avec confiance. Je trouverai un moyen. L'important, c'est de ne pas laisser s'échapper vos rêves.
Alors que nos conversations se poursuivaient, entrelacées de rires et de moments de réflexion profonde, l'ambiance autour de nous commença doucement à changer. Les éclats de voix s'estompaient peu à peu, tandis que les bougies brûlaient plus bas, projetant leurs dernières lueurs chaleureuses dans la pièce. Je remarquai que quelques clients commençaient à quitter l'auberge, jetant des regards somnolents vers le comptoir où l'aubergiste, d'un geste lent, commençait à nettoyer les verres.
C'est alors que Gustave, baillant légèrement, jeta un coup d'œil à l'horloge accrochée au mur.
Gustave, jetant un regard à l'horloge murale, afficha un sourire fatigué.
-Il semble que le moment soit venu de clore cette belle soirée, annonça-t-il doucement. L'auberge ne va pas tarder à fermer. Il est temps pour chacun de nous de rejoindre son lit.
Madeleine, semblant se réveiller d'un rêve éveillé après les histoires partagées, hocha la tête en signe d'accord, une lueur de fatigue dans ses yeux.
-Oui, il est l'heure de se reposer. La journée de demain s'annonce longue pour nous tous.
Je me levai, m'étirant pour chasser l'engourdissement de mes jambes.
-Vous avez parfaitement raison, répondis je en adressant un sourire chaleureux à mes nouveaux amis. Cette soirée était enrichissante. Il est temps pour moi de gagner ma chambre.
Nous échangeâmes quelques mots de bonne nuit, et je me dirigeai vers les escaliers. Mon esprit était encore animé par les échanges de la soirée, me faisant oublier la fatigue.
Juste avant de me quitter, Gustave me lança :
-Émile, as-tu des plans pour demain ?
Intrigué, je répondis :
-Non, rien de particulier, pourquoi ?
-Je prévois d'aller dans la forêt au nord. Tu pourrais m'accompagner, j'ai quelques endroits à te montrer.
-Cela me ferait plaisir, Gustave. À demain, alors.
-Au plaisir, Émile. Bonne nuit.
Madeleine m'accompagna jusqu'à ma chambre, me guidant à travers les couloirs silencieux. La porte grinça légèrement en s'ouvrant sur une chambre sombre, éclairée seulement par une bougie vacillante sur la table de chevet, révélant les contours d'un lit rustique.
-C'est ici que nos chemins se séparent pour ce soir, dit Madeleine avec un sourire. J'ai beaucoup apprécié notre conversation.
-Moi aussi, Madeleine. C'était un réel plaisir.
Elle s'attarda un instant, une lueur de curiosité dans les yeux.
-Combien de temps comptes tu rester en ville ?
-Je ne suis pas encore sûr. Quelques jours, peut-être, pour voir si mes services trouvent preneurs. Sinon, j'irai dans le village voisin, expliquai je.
-Oh, je vois, dit-elle, son sourire s'élargissant légèrement. C'était juste par curiosité. Bonne nuit, Émile. À demain.
-À demain, Madeleine.
Je refermai doucement la porte derrière elle, me laissant envelopper par le calme de la nuit.
Annotations
Versions