« Ainsi font, font, font,

Les petites marionnettes,

Ainsi font, font, font,

Trois p’tits tours et puis s’en vont … »

Malcolm, la tête dans les nuages, s’efforça d’ouvrir les yeux et jeta un rapide coup d’œil sur sa montre : 5h47.

À côté de lui, la belle brune avec laquelle il avait passé la nuit s'était envolée.

Plus une seule trace de son existence. Ne restait à Malcolm que ses vêtements froissés et une érection à peine contrôlée.

« Les mains aux côtés,

Sautez, sautez, marionnettes,

Les mains aux côtés,

Marionnettes, recommencez… »

Pour son vingt-cinquième anniversaire, il venait de vivre une nuit mémorable à Bilbao, sans doute l’une des meilleures de son existence.

Cette odyssée fortuite avec Carmen, la jeune Espagnole rencontrée la veille, s’était révélée nettement plus fructueuse et orgastique que prévu.

« Ainsi font, font, font,

Les petites marionnettes,

Ainsi font, font, font,

Trois p’tits tours et puis s’en vont… »

Après être partis à la conquête des monuments avant-gardistes de la ville tels que l’illustre Guggenheim local, le sigisbée et sa dame d’un soir s’étaient adonnés à des activités bien plus sémillantes.

Visite du casco viejo – le vieux quartier historique bilbaínos, excursion dans l’incontournable marché couvert de la ville – le plus grand d’Europe – incursion dans les ateliers d’artistes, tournée des bars branchés… Malcolm et Carmen s’étaient livrés à tous les petits plaisirs de la cité basque.

« Les mains sur la tête,

Sautez, sautez, marionnettes,

Les mains sur la tête,

Marionnettes, recommencez… »

Pourtant, cette longue journée achevée au crépuscule n’avait reflété que les prémices d’une nuit encore plus attrayante.

Une nuit où les deux amants avaient sombré dans la luxure au coucher du soleil, impétueusement installés au pied de la passerelle suspendue Zubizuri.

Et leur pied justement, ils l’avaient bien pris…

« Ainsi font, font, font,

Les petites marionnettes,

Ainsi font, font, font,

Trois p’tits tours et puis s’en vont… »

Or, Malcolm, les paupières encore mi-closes, s’éveillait seul au bord de l’eau.

Ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait au lendemain d’une nuit embrasée, souvenirs d’une jeunesse tourmentée.

Ce qui l’intriguait davantage, c’était la comptine familière qu’il percevait près de lui – à plus de cent vingt kilomètres de sa contrée originaire – bien loin des matinées aux sonorités de flamenco qu’il imaginait.

Ainsi que cette douce voix qui psalmodiait ces paroles, accompagnée par un instrument à l’intonation singulière dont il ne saurait donner le nom. Un objet propre au Pays Basque supposa-t-il, candide.

« Puis la tête penchée,

Sautez, sautez, marionnettes,

Puis la tête penchée,

Marionnettes, recommencez… »

Le jeune homme s’activa pour mettre fin à ce mystère. Il enfila son jean en vitesse et gravit les quelques marches qui le séparaient du pont.

« Ainsi font, font, font... »

Il aperçut enfin sa conquête d’un soir… dans les bras d’un autre.

De ses mésaventures, c’était de loin celle qui le marquerait le plus.

« Les petites marionnettes... »

Carmen avait tout perdu de sa lascivité de la veille.

Elle n’avait plus grand-chose pour elle d’ailleurs.

« Ainsi font, font, font... »

Deux coloris s’enchevêtraient lentement dans son champ de vision : l’aurore et le rouge carmin.

« Trois p’tits tours et puis s’en vont. »

Chantait une jeune courtisane, dépouillant avec adresse la sylphide de tous ses membres, une scie circulaire entre les mains.