Chapitre 6
Je pousse la porte de ma chambre et m'écroule sur mon lit. La journée a été épuisante, je ne pensais pas que les cours seraient si différents de ceux que j'avais dans mon ancien lycée. Les profs sont deux fois plus exigeants, j'ai l'impression que ma tête va exploser, bourrée de calculs mathématiques et de dates historiques. Ce n'est que la première semaine et j'ai l'impression qu'un mois s'est écoulé. J'espère que ce n'est que l'effet secondaire d'un été à ne rien faire, simplement à profiter du soleil et des baignades dans l'océan. Être à l'internat n'aide pas beaucoup. La solitude commence à me peser un peu et tous mes essais pour engager une conversation se sont soldés par un échec. Les mecs ici pensent juste à s'amuser alors parler des devoirs n'est pas la meilleure tactique. J'avoue avoir jeté des regards envieux vers des chambres qui ont servi de base stratégique pour des attroupements nocturnes. Mes oreilles ont traîné à la cantine et dans les douches à la recherches de commérages.
On m'a adressé la parole bien sûr, mais c'était simplement pour me demander si j'avais prévu de libérer la table pour qu'un groupe d'amis s'installent, le portable à la main et débutent une partie de jeux vidéo, ou si la douche à côté de la mienne était libre.
Mes yeux aperçoivent les habits achetés avec Anna hier. Ils traînent sur ma chaise de bureau. Si elle voyait ça, ma mère m'aurait déjà enguirlandé. Poussé par les remords, je me relève pour les ranger. Mon regard s'arrête sur la seconde armoire, je jette un coup d'œil à la porte entrouverte. Le couloir est désert ou presque, tout le monde a rejoint sa chambre ou les salles communes. Ma curiosité me démange de nouveau, je sais que je ne dois pas farfouiller dans ses affaires mais la tentation se fait toujours plus forte. Ou bien mon colocataire n'est toujours pas arrivé, ou bien il est là, mais par un mystère non résolu, il a décidé de ne pas rejoindre sa chambre et de dormir ailleurs. Je peux juste jeter un coup d'œil à l'intérieur, si ces affaires sont encore là, ça veut dire qu'il est prévu qu'il séjourne bel et bien ici.
En deux pas, je rejoins son côté de la pièce. Après un dernier regard angoissé vers l'entrée, je tire la poignée de l'armoire. J'en suis presque surpris quand je la vois s'ouvrir. Je m'attendais à quoi ? Qu'elle soit fermée à clé alors qu'il n'y a pas de serrure ? Qu'une force machiavélique m'en empêcherait ?
Tout est bien là. J'aperçois plusieurs chemises blanches ainsi que l'uniforme de l'établissement. Des vêtements personnels sont pendus également : t-shirts, pantalon, quelques pulls. Tous dans des couleurs sombres, aucun n'attire mon regard. Ragaillardi, je continue mes recherches et passe en revue le reste : des sous-vêtements sont parfaitement rangés sur les tablettes, quelques effets personnels, des sacs. La panoplie entière d'une garde-robe est présente.
Je referme l'armoire, fais face au petit miroir accroché dessus. Il me renvoie mon air déçu. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, peut-être une explication de son absence. Ou je ne sais pas, quelque chose qui me mènerait sur une piste, pourquoi pas même son cadavre à l'intérieur ? Je grimace de dégoût. Tu vas trop loin, Noah.
Je soupire, range mes affaires en me promettant de les ramener chez mes parents pour leur montrer. Je rejoins la salle d'études en traînant des pieds. Je vais devoir me faire à l'idée de rester dans cette incompréhension. Il a pu avoir un empêchement, il pourrait revenir la semaine prochaine.
Je ne comprends pas vraiment pourquoi j'attache une si grande importance à avoir un compagnon de chambre. Au contraire, je devrais être soulagé de ne pas avoir à partager, je n'ai jamais eu le faire avec mon grand frère et je n'aurais jamais voulu. Alors pourquoi d'un seul coup, je veux que quelqu'un dorme à deux pas de moi ? Surtout que j'ai bien plus de chance de ne pas l'apprécier. En plus, il doit certainement ronfler. Pourtant, j'aurais voulu savoir. C'est ça, je n'aime pas l'incertitude, rester dans cette attente alors que rien ne vient.
Le repas était médiocre. Je n'ai pas mangé grand-chose alors j'ai volé quelques morceaux de pain pour plus tard. J'ai encore quelques gâteaux en réserve qu'Anna m'avait donné. Ils feront mon dessert.
Je rejoins les douches ; mon rituel est maintenant bien établi. Une envie me prend juste avant de quitter ma chambre : la majorité des mecs sont en caleçon quand ils vont à la douche. Je n'ai jamais été trop pudique quand je suis seul, mais ici, c'est compliqué. Je ne compare pas aux autres mais je ne peux pas m'empêcher de me sentir vulnérable. Peut-être que si je fais comme eux, que je copie les codes, je m'intégrerai plus facilement.
Je sais que c'est une réflexion complètement idiote. Je me déteste de réfléchir comme ça. Mais je m'étais promis de sortir de ma zone de confort.
J'enlève mes habits, ne garde que mon caleçon et le nécessaire pour me doucher. Je traverse le couloir, je baisse la tête quand je croise des garçons. Ils ne m'adressent pas un regard, comme si tout était normal. J'ai presque envie de rire de moi-même quand j'arrive aux douches sans incident. Suis-je aussi bête que ça ?
Je m'apprête à entrer dans une douche quand on me hèle.
— Excuse-moi !
La première chose que je remarque quand je me retourne c'est qu'il est torse nu, une serviette nouée autour de sa taille. Est-ce qu'il porte un caleçon en dessous ? Ses cheveux châtains sont en bataille et encore humide de la douche qu'il vient de prendre.
— Tu es nouveau ?
Sa voix est claire, il me fixe d'un regard interrogateur, presque curieux. Je hoche la tête. Je ne sais pas ce qu'il me veut, je reste sur mes gardes. Je regrette d'être en caleçon, je me sens vulnérable et ses yeux qui semblent vouloir me sonder me mettent mal l'aise. Je hoche la tête.
— C'est que je pensais. Désolé, je t'ai vu hier à la salle d'études, ta tête me disait quelque chose. Tom !
Il me tend sa main. Je la scrute avant de la serrer.
— Noah.
— Tu verras Noah, on s'habitue vite ici. Il suffit d'avoir une petite routine. Tu es en quelle année ?
Je souris intérieurement à ses paroles qui font écho à mes pensées.
— Je suis en troisième année et toi ?
— Deuxième ! Je suis à l'internat depuis le premier jour alors si jamais tu as des questions tu peux tout me demander ! Franchement, c'est pas si mal en vérité, on s'amuse bien et parfois, y'a des choses qui mettent un peu de piment.
— Comme quoi ?
Tom s'appuie contre un lavabo.
— Des histoires de cul principalement. Il se passe pas un mois sans qu'un mec se fasse choper dans l'internat des filles. Une fois, on a retrouvé deux meufs dans la piole d'un mec de première année. Il était chaud bouillant. Il y aussi eu la fois où des quatrièmes années avaient organisé une piste de glisse dans les douches et le couloir. C'était vraiment drôle.
Son enthousiasme est communicatif, je me mets à sourire. Finalement, ce n'est pas si nul que ça.
— Les surveillants sont tous sympas, si tu sais les brosser dans le sens du poil. Mais je ne pense pas que tu sois du genre à faire des histoires.
Je secoue la tête.
— Non, pas vraiment.
— Bon allez ! s'écrie-t-il en frappant le lavabo du plat des mains. Je te laisse tranquille, si jamais, hésite pas.
— Merci, en tout cas.
Il me fait un clin d'œil.
— Ah, j'ai failli oublié ! Tu verras assez vite que la pudicité n’existe pas vraiment ici, mais je vois que tu as commencé à piger le truc !
Je reste là, à le regarder s'éloigner. Comment peut-il savoir que c'est la première fois ? Finalement, je ne suis pas aussi invisible que ce que je croyais. Une vague d'angoisse monte en moi. Est-ce que d'autres m'ont remarqué ? Que pensent-ils de moi ? Je pensais que j'étais tranquille, mais je devrais faire plus attention à mes actes.
Je pose mes affaires en vitesse et entre dans une cabine. Aussitôt, l'eau froide me cueille et je retiens un glapissement. Mais ça a eu l'effet escompté : calmer mes ardeurs. Je me suis fait une promesse, rester moi-même. Tom n'a pas été méchant avec moi, c'était une simple remarque pour te taquiner. En plus, il est le premier vrai contact que j'ai avec un garçon de l'internat. Mon cœur se gonfle d'espoir : finalement, je vais y arriver. Je me mets à sourire bêtement tandis que je me savonne. Isaac et Eloise sont super gentils, ils nous aident à prendre nos marques dans le lycée, on rigole bien ensemble. Je peux demander conseil à Tom si j'ai un souci à l'internat et c'est sûr qu'on sera amené à se croiser. Mes craintes de la rentrée commencent à s'estomper et les regrets d'avoir quitté mon ancien lycée avec elles.
Soudain, des éclats de voix m'alertent. Je tends l'oreille. Un groupe de garçons sont entrés dans la douche. Ils doivent être quatre ou cinq et parlent fort.
— Tu vas déjà pas tenté le truc ? Ça fait à peine une semaine qu'on est revenu !
— Ben justement, les surveillants vont pas s'attendre à ce qu'on se barre en douce.
— Laisse tomber, Ben a le feu au cul ! raille un des mecs.
— À la bite, plutôt.
— Peut-être qu'il kifferait se le faire goder, renchérit un autre.
— Fermez-là, vous êtes trop cons. Moi ce que je veux, c'est baiser une meuf. J'ai rien fait de tout l'été les gars, donc ouais, clairement ma main me suffit plus. Je serais même prêt à me taper Laura.
Des hoquets et des bruits de dégoût retentissent.
— T'es malade ! Même pas je la touche avec un bâton cette grosse vache.
Ils ricanent ensemble. Mon cœur se pince. Même si je ne la connais pas cette fille, les entendre parler d'elle comme ça me révulse. J'espère sincèrement qu'ils la laisseront tranquille.
Des portes claquent et des loquets se baissent.
— Ouuuh, Jordan ne veut pas qu'on voie sa petite bite !
— Pourtant, il disait pas non hier quand Dylan l'a branlé.
— Mais ferme ta gueule c'est même pas vrai !
— Ta gueule Ben ou tu vas la gober pour voir si elle est si petite que ça.
Nouveaux éclats de rire. J'ai fini ma douche depuis longtemps mais hésite à sortir. Je ne veux pas être pris à partie dans leurs joutes verbales voire pire, être leur cible. Ce ne sont que des idiots qui ne méritent aucune attention. J'enfile mon caleçon propre, pose la main sur la poignée. Allez, Noah.
J'ouvre la porte et m’extirpe de la cabine. Aussitôt, quatre paires d'yeux se tournent vers moi. Je sens mes joues chauffer et baisse le regard. Je rassemble mes affaires en quelques mouvements, fait mine de ne pas avoir entendu. Heureusement, un autre garçon sort à son tour. Ils se désintéressent de moi et se mettent à parler entre eux.
Quand j'arrive à leur hauteur, mon instinct me fait relever la tête. Je me tétanise quand je reconnais le garçon aux cheveux blonds qui me scrute, ma gorge devient sèche et je manque de m'étouffer avec ma salive.
Anthony.
J'aurais dû m'en douter, il n'y a que lui et ses potes débiles pour avoir des conversations comme ça. Je me prépare au pire, attends qu'il me tombe dessus, qu'il me pointe du doigt à ses amis et qu'ils se mettent à rire de moi.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Ce mec me dégoûte, il a pris mon cœur, l'a arraché de ma poitrine, a joué avec pour le jeter au sol et le piétiner. Il m'a humilié, malmené, s'est moqué de moi en me faisant croire monts et merveilles. Et pourtant, tout ce qui me revient en mémoire à l'instant ou je croise son regard, ce sont les baisers échangés, les caresses, les murmures de sa voix grave qui me faisait glousser. Je me souviens des rendez-vous nocturnes dans un parc, assis sur ses genoux alors qu'il enlevait mon t-shirt pour frôlait ma peau de ses mains rugueuses de sportif.
Je me maudis de repenser à tout ça, me hais encore plus d'espérer qu'il s'approche de moi, qu'il vienne me demander comment je vais. On ne s'est pas parlé depuis notre rupture il y a trois mois, je suis quasiment sûr qu'il ne savait pas que j'intégrais le lycée à la rentrée, tout s'est fait si vite. Et pourtant, il reste aussi immobile que moi, sans aucune surprise peinte sur le visage. En vérité, j'ai l'impression qu'il ne me voit pas vraiment, ou pire, qu'il ne me reconnaît pas.
Il ne fait pas mine de bouger. Dans un effort difficile, je reprends contrôle de mon corps et m'échappe par la porte. Ce n'est qu'arrivé dans le couloir que je me remets à respirer. Je serre ma serviette contre mon torse, refoule les larmes derrière mes paupières. Tu ne pleureras plus pour lui, Noah, ni aujourd'hui, ni jamais plus.
Je m'éloigne d'un pas pressé, et claque la porte de la chambre derrière moi. Je me jette sur mon lit, enfouis ma tête dans l'oreiller et me mords violemment la lèvre. Je ne veux pas qu'il vienne chambouler mes plans, qu'il remette en doute toutes les certitudes que je me suis forgées cet été. C'est hors de question !
Je me lève d'un bon et me précipite sur mon bureau. J'ouvre un cahier et me plonge dans mes devoirs. Je ne le laisserais pas polluer mon esprit une seconde de plus.
Ce n'est que lorsque le surveillant toque à ma porte que je me rends compte que je n'ai pas vu le temps défiler, perdu entre l'étude composants chimiques et les fois où je décrochais, la boule au ventre et le regard fixé à l'horizon, à rassasser des douloureux souvenirs.
— Désolé, mec, je voulais pas te faire peur. Mais il est l'heure d'éteindre.
Je lui souris. C'est le même que le premier jour, celui qui m'a souhaité bonne nuit alors que j'étais au téléphone avec Anna. Tony, je crois qu'il s'appelle.
— D'accord, merci.
Il esquisse un sourire, passe une main sur ses cheveux coupés très court.
— Bonne nuit.
Je hoche timidement la tête. Il reste là une demi-seconde, comme s'il s'apprêtait à ajouter quelque chose mais change d'avis et ferme la porte.
Je fronce les sourcils. Je me rappelle brusquement que je suis toujours en caleçon et la honte brûle la pointe de mes oreilles. Bon sang, quand je me suis dit qu'il était temps que je prenne les codes de l'internat, je ne voulais pas dire me montrer à moitié nu à tout l'internat !
J'éteins ma lampe de bureau et rejoins mon lit à tâtons. Il faut voir le positif à ne pas avoir de colocataire : je peux aller dormir sans me préoccuper de qui que ce soit ni être dérangé.
J'écris un rapide message de bonne nuit à maman et papa, en profite pour les rassurer sur ma journée, puis à Anna, quand mon téléphone se met à vibrer entre mes doigts. Mon cœur rate un battement alors je décrypte la notification. Mes mains se mettent à trembler et mon téléphone tombe sur le lit. Le message reste à l'écran, comme pour me narguer et me balancer la réalité en pleine face pendant que je suffoque, les yeux brouillés de larme.
« Anthony a demandé à s'abonner votre compte ».
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