Bal de promo

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Recherche cavalier pour le bal de promo

Garçon gentil, un peu fou et drôle

Annonce catégoriée : urgent !!

— Tiens, c’est exactement ce qu’il te faut, mon p’tit puceau ! fit le superbe Stéphane, un beau blond qui drainait tous les cœurs de l’École depuis son entrée, trois ans plus tôt.

C’est qu’on approchait de la fin de l’année, et que le bal de promo se profilait à l’horizon… sachant que ces jeunes gens auraient leur diplôme sans difficulté. Et l’on venait donc de découvrir une annonce, dans le grand hall.

Stéphane s’adressait à Bérenger, son ami depuis le lycée, et qui s’il était un excellent élève et pas le moins beau des mectons de la boîte, restait désespérément seul.

Doué d’une gentillesse à toute épreuve, il était surtout affligé d’une timidité maladive, et n’existait que dans l’ombre et le sillage de son ami, l’étincelant Stéphane.

On le savait drôle et immensément cultivé, mais… il était l’ombre de Stéphane, et voilà. Au reste, encore qu’iceluy eût mainte fois tenté de lui mettre dans les bras telle ou telle donzelle — il ne se les faisait pas toutes, quand même ! —, ça n’avait jamais marché.

Et de fait, le fin Bérenger était toujours puceau, à vingt-deux ans…

Il était gracieux comme tout, cet enfant-là : long et fin, brun au teint pâle et pourvu d’yeux d’un bleu plus soutenu que celui du regard de son ami, il était parfaitement craquant. Mais voilà…

Sa timidité faisait disparaître tout ce que son physique avait de charmant.

— Oh, moi, tu sais !... soupira-t-il alors.

— La femme de ta vie, mon pote ! Allez hop, tu notes le numéro, et tu lui prêtes ton bras pour danser, et ta bite pour sauter au plafond !

Il avait son parler, le Stéphane… Bérenger dut sourire… mais il souriait à tout ce que disait Stéphane : c’était un fan club à lui tout seul.

Bérenger dut noter, et commença à se ronger les sangs. Il y pensait depuis le début de l’année, à ce foutu bal… Cette corvée intersidérale ! Bien sûr, il avait assisté aux deux précédents et ne s’y était pas ennuyé, mais là… c’était la soirée de sa promo, et donc il y serait, comme les autres, sous les regards de tous.

Oui, quelle corvée ! Et pas moyen de s’y faire porter pâle ! Sauf à se faire écraser par un tramway, ou quelque autre triporteur du même acabit…

Il soupira in petto. Au fond… le coup de la petite annonce lui éviterait sans doute des déconvenues, s’il devait s’adresser à l’une ou à l’autre…

Stéphane, lui, n’en risquait pas : il n’avait que l’embarras du choix, et c’est tout juste si ces demoiselles ne se crêpaient pas le chignon pour avoir le rayonnant honneur de paraître à ses côtés !

— Bon ! Tu me promets d’appeler ? fit Stéphane. D’abord tu regardes dans tes affaires si tu connais pas déjà ce numéro, on ne sait jamais… C’est p'têt' Super-Boudin, qu’a passé l’annonce ! Ah ! Ah ! Ah !

— Oh, ça va… soupira Bérenger, défait.

— De toute façon, tu vas appeler devant moi, comme ça je serai sûr que tu te défiles pas !

Ainsi fut fait. Bérenger affirma ne pas connaître la voix de la nana, et il avait constaté ne pas posséder déjà ce numéro.

L’École, une boîte huppée, disposait à la sortie de la ville, d’une sorte de petit campus, qui pouvait loger tous les élèves.

Autant vous dire que le cœur de Bérenger battait un peu plus fort que tous les tambours de la Grande Armée, un 15 août ![1]

Mais il frappa tout de même à cette chambre qu’il ne connaissait mie (ceci pour dire qu’il n’y était jamais venu… car toutes les chambres étaient identiques !). Pour tomber sur Johann Wilhelm von Hetzelburg von Bergenforst. Dit plus simplement « Yoyo ».

Il eut un mouvement de recul. L’autre l’attira promptement et referma.

— Oh, c’est toi ! dit le garçon, l’air surpris… mais souriant.

— Je crois qu’il y a maldonne… fit Bérenger, tétanisé.

— Non. D’abord, je te demande le secret le plus absolu, s’il te plaît, Bérenger !

— Je… Je te le promets, mais… pourquoi ?

— Viens.

On se posa sur les petits fauteuils (façon années septante de l’autre siècle) dont toutes les chambres étaient pourvues.

— Je te propose un challenge… On se connais pas beaucoup mais… tu es exactement celui qu’il me faut !

— Mais… pour quoi ? souffla Bérenger, qui n’en revenait pas d’être dans la chambre de Yoyo.

Expliquons la stupéfaction de Bérenger : Johann était connu pour être non seulement l’héritier d’une grande fortune aristocratique allemande, mais aussi pour être de loin le meilleur élève de l’École : il était major de promo dès le premier jour, ou presque !

Ajoutez à cela qu’il était la beauté absolue : un mannequin international, et même interplanétaire, pas moins. Châtain aux yeux verts, il possédait une classe à tomber par terre et un sourire à faire sauter les bunkers les mieux ficelés.

Ce mec était la perfection.

Autant vous dire que ça défilait, dans son lit. Et que dès qu’il paraissait, la moindre petite culotte qui se trouvait à moins de cent mètres s’en trouvait ruinée aussitôt !

Bref, c’était l’étoile absolue. L’Étoile.

D’où venait évidemment que Bérenger ne voyait du tout ce qu’il faisait là… sauf à sauver l’honneur d’un petit laideron que Monsieur aurait pris sous son aile ?

— Tu ne te repentiras pas de ton silence, Bérenger, reprit le garçon, sérieux.

— Tu… recrutes pour une copine, c’est ça ? osa Bérenger.

Bien sûr, Johann était le premier de la classe d’allemand, où fréquentait aussi Bérenger, alors que leurs autres cours différaient. Mais on ne s’y était jamais vraiment parlé.

— Et puis, on pourra se parler en allemand, tranquillement, reprit le garçon.

— Si… tu me disais…

— Je te propose… quelque chose de difficile, Bérenger.

— S’il faut juste danser avec une de tes copines, je crois que j’y arriverai… fit Bérenger, essayant de sourire.

— Bérenger… C’est… C’est avec moi, que je voudrais que tu danses.

— Hein ? sursauta Bérenger, toi ? Mais…

— Vite, du champagne ! fit Johann en sautant du fauteuil pour se jeter sur le mini frigo qu’il y avait céans. Et de saisir une demi-bouteille, et deux verres… en cristal de Bohême, magnifiques !

Il servit et l’on trinqua, presque fébrilement.

— J’avais pas pensé à toi, mais… t’es l’évidence même, Bérenger !

— Je comprends rien.

— Je voudrais… que tu m’aides… à faire… mon… coming out.

— Hein ? cria Bérenger, sidéré. Toi… Toi ?...

— Tu comprends pourquoi je t’ai demandé le secret. Je nique depuis toujours presque exclusivement des nanas… mais là… là… je suis au bout de mes expériences. Pas facile de se savoir gay, dans une famille comme la mienne, tu sais ?

— Ni ailleurs.

— C’est vrai. Tu… es gay, toi ?

— Hein ? Heu, non, pas à ma connaissance !

— Ce n’est pas important : tu peux parfaitement être mon cavalier à la soirée, sans faire de coming out, toi ! On dira ce qu’il faut, et voilà !

— Mais… fit Bérenger, absolument dépassé par l’énormité de la chose.

— Oh, dis oui, Bérenger ! fit Johann en prenant la main du garçon, et en brandissant sa flûte de l’autre main, pour trinquer.

— Je… Oh… C’est si…

— J’avais pas pensé à toi, mais t’es si évidemment le plus parfait pour jouer ce petit rôle, Bérenger ! Je suis si heureux que tu aies répondu !

— Mais… si je refuse ?

— Je ne veux ni ne puis te forcer à rien. Tu me rendrais un immense service, Bérenger. Il reste un mois : je te propose de le passer ensemble.

— Hein ?

— J’ai un studio en ville, loué par mes parents, qui souhaitaient quand même que je vive ici, avec tout le monde. On peut aller y faire un tour, et y passer des moments pour parler, simplement. Ne serait-ce que pour que tu m’encourages à passer à l’acte… ce qui n’est pas si facile, crois-moi !

— Mais…

— Ce qui est sûr, c’est que je n’irai pas avec une nana sous le bras ! Et je te dis pas les pressions, les soupirs, et toutes ces sortes de choses !... Sans compter les pipes… de celles qui détestent ça !

— Oh ! fit Bérenger… obligé de sourire devant la grimace comique du sublime Johann.

— On est vendredi : on va dîner chez moi ?

Le champagne terminé, Bérenger, subjugué, suivit le bel Allemand. Il était sept heures, et dans le fond du tram, Johann murmura :

— Je serai super fier, si tu m’accompagnes à la soirée !

— Je… Je sais pas encore.

Le studio évidemment était plus large que la chambrette du campus. Et autrement meublé ! Champagne encore. Mais après une gorgée, Johann se leva et commença à se déshabiller.

— Nous, les Allemands, on fait pas de manières avec la nudité : je te choque pas ? T’en fais autant ? Il commence à faire chaud, là… et je sais pas si c’est moi ou le Réchauffement, mais…

Bérenger dut sourire, une fois de plus. Il était sublime de partout, ce garçon-là. Il se déshabilla donc aussi.

On se rassit dans les petits fauteuils baroques, et l’on retrinqua. Johann dit alors sa vie, celle d’un fils de la haute aristocratie européenne — sa mère était la fille d’un duc français… et il descendait de douzaines de rois !

Bérenger n’arrivait pas à croire à ce qui lui arrivait là. Il buvait du champagne dans le studio de l’Étoile de l’École, qui le priait d’être son cavalier au bal de promo !

Il y eut, plus tard, un court silence, et il souffla :

— Johann… C’est d’accord.

— Oh ! Tu le feras ? Bérenger !

Alors Johann jaillit de son petit cabriolet baroque et tira Bérenger du sien, pour le serrer fortement en ses bras.

— Merci, Bérenger, merci !

Et puis… deux immenses soupirs issurent[2] de ces jeunes poitrines.

— T’es sûr que… tu veux ça ? demanda enfin Bérenger… alors que ces jeunes gens ne pouvaient ignorer ce qui commençait à déformer leurs membres intimes.

— Oui, et je le veux avec toi, Bérenger.

Sauf que là, Bérenger ne savait trop de quoi parlait Johann… vu qu’on bandait tous les deux et que…

— Moi aussi, je le veux ! lâcha soudain Bérenger.

— Bérenger ! J’ai jamais… avec un garçon…

— Moi non plus.

— Alors…?

— Oui.

Plus belle première fois, vous ne la sauriez imaginer.

Après qu’on eut pris un plaisir fort délicatement partagé, Johann murmura, regardant Bérenger dans les yeux :

— C’est tellement différent, avec un garçon !...

— Moi… j’en sais rien.

— Oh ! fit Johann… tu…?

Tendresse et émotion. Bérenger sut qu’il aurait désormais à mentir à son meilleur ami… au moins jusqu’au bal ! Mais… l’expérience avec Johann était si…

Johann tint à habiller son cavalier : on prit donc rendez-vous chez le meilleur tailleur de la ville, afin que les garçons eussent exactement le même habit : un pantalon noir à pli, une chemise blanche bouffante, et un gilet bleu outremer brodé de doré. Et une sorte de lâche cravate, bleue pour Bérenger et rouge pour Johann. Et souliers vernis, évidemment.

Les garçons étaient de mêmes taille et corpulence. On demanda d’ailleurs au tailleur de se faire photographier, au dernier essayage… et il déclara que ces Messieurs faisaient un couple magnifique.

Bérenger parvint à mentir sans rougir, ni sourire. Mais il était heureux, et ça, Stéphane ne put s’empêcher de le remarquer. Bérenger resta de marbre. Un soir sur deux ou trois, il allait dormir avec Johann, en ville.

Vint, après les résultats (heureux, comme attendu), le grand soir. Il était de tradition que le major parût en dernier. Il fit attendre, un peu ; on était dans ses petits souliers, disons-le ! Puis on se lança… en se tenant la main. Un silence polaire s’abattit sur la salle… et même la musique douce du moment fut stoppée.

Les garçons s’avancèrent, rayonnants et timides à la fois, qui firent chacun un geste du bras, pour saluer. Ce fut Stéphane qui donna le signal de l’ovation.

Le major devait ouvrir le bal, et ces jeunes gens s’élancèrent — on avait bien sûr répété !

La stupéfaction fit bien jaser, un peu… mais la fête fut une réussite. Stéphane attira son ami à l’écart, évidemment. Et Bérenger dut raconter les choses…

— T’es heureux ? demanda enfin Stéphane.

— T’imagines pas combien !

— Je me trouve un peu con, là…

— Et pourquoi ? T’es mon meilleur ami, Stéphane, et c’est grâce à toi que j’en suis là !

— J’ai l’impression d’avoir raté quelque chose…

26. VIII. 2020

[1]. Anniversaire de Napoléon Ier.

[2]. Passé simple du verbe issir (dont le participe passé est : issu).

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Commentaires & Discussions

Bal de promoChapitre14 messages | 3 ans

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